Avec l’audition des accusés non «écrasés» par le poids de la détention, le procès a atteint sa vitesse de croisière…
A 10h ce mercredi, l’audience débute par l’audition de Addou Tedj Eddine, l’homme d’affaires proche du ministre. Calmement, il répond aux premières questions de Tayeb Hellali, le président du tribunal criminel d’Alger. A sa droite, Maître Merrah, son conseil, suit sans broncher. L’accusé parle de notification, le juge de pourcentage. «Et les 2%?» L’accusé précise qu’il bosse pour la société et «je n’ai jamais dit ce que m’a dicté l’agent du DRS, qui s’est très mal comporté, à telle enseigne que je vais signer n’importe quoi, pourvu que je retrouve la position idéale pour le sommeil», raconte-t-il avant que le magistrat ne demande les conditions dans lesquelles il a été entendu. «Khelladi m’a téléphoné m’invitant à prendre un café. Dès l’arrivée, deux agents me passèrent les menottes devant Khelladi, resté debout sans bouger le petit doigt. Quelques jours plus tard, ma famille avait appris que la dernière fois que l’on m’avait vu, j’étais chez Khelladi. Est-ce que je suis Ben Laden? De ma vie, je n’ai connu un poste de police. 19 jours au secret! On a tout dicté.» Le juge repose une énième question. Tedj Eddine répond: «Ça m’a été dicté!» L’accusé s’accroche aux sévices. Hellali reprend que «le juge d’instruction avait pris acte de vos déclarations!»
L’accusé parle de cellule, de chantage en cas de revirement dans les déclarations. Pour la première fois, il sourit en affirmant qu’entre les mains de ces gens, «je n’étais rien! Pire, ils riaient à la vue de ma barbe de 19 jours!».
A propos du colonel Khaled, il articule: «J’ai cru qu’il s’agissait du colonel affecté au ministère des Travaux publics et pas du tout celui de la Justice. Je ne l’ai jamais vu!». Hellali évoque les voyages gratuits. «Sacha est un homme d’affaires qui m’a été présenté.» Puis, il parle de sa famille, d’une soeur handicapée invalide et il fallait beaucoup de fric à l’étranger et surtout un visa pour un séjour de deux ans en vue d’être soignée. Khelladi avait, lui aussi, le cas d’un handicapé. «J’ai appelé Sacha et lui ai raconté le problème avant que Khelladi ne cause avec lui au téléphone en échangeant les numéros de phone.»
Tej Eddine affirme n’être pas au courant de ce fameux voyage, signifiant: corruption.
Quant à Chani, il rappelle qu’il ne l’a connu qu’à Sidi M’hamed et à Serkadji cellule 8. Les dires de Khelladi sont aussi démentis. «Mon éducation ne me permet pas de parler d’un inconnu ni de ses agissements», articule-t-il.
«On m’accuse d’abus de pouvoir, alors qu’il a eu trois appels d’offres, et je n’ai pas eu l’idée de m’intéresser aux études d’un projet. Il y a beaucoup de contraintes dans ces histoires de contrats difficiles à honorer!», murmure- t-il avec, au passage, évitant de répondre à une autre question que Hellali considère «gênante».
«Vous êtes à la barre. Je suis sur le pupitre et entre nous, il y a la loi», rumine-t-il avant de permettre à Ben M’hidi, le procureur général, de poser sa première question. Ratage de la sono puis retour au son. «Votre qualité d’homme d’affaires travaillant avec des étrangers est-elle appuyée de documents?» L’accusé dit «oui». «6000 euros ont été versés dans votre compte. Dans quel cadre?» L’accusé explique qu’il possède une carte et le processus de versement d’honoraires. Ben M’hidi rappelle que Khelladi a dit… et Tedj Eddine de couper: «C’est lui qui le dit, pas moi.» «Le témoin qui n’était pas aux mains du DRS, Merabet a apporté un témoignage où il était question d’un accord avec la SM qui n’existait pas avant le lancement du projet. Quelle est votre relation avec Merabet?» Tedj Eddine répond: «Oui, pour les relations d’affaires et j’assume mes propos. Merabet n’a aucun pourcentage. Il était filé pour m’impliquer et il est là dans la salle. Vous l’entendrez plus tard. Il vous dira la pure vérité.»
Mohamed Rafik Ghazali est cité par le parquetier ainsi que la société Koba. L’accusé donne des détails techniques. Tedj Eddine rend hommage à Ben M’hidi pour sa dernière question à propos de son neveu. Puis il raconte sa garde à vue dans un lieu secret avant de passer à «l’interrogatoire», (soudain, il baisse le ton et Hellali prie les dames de quitter la salle). Que va dire l’accusé?
«J’ai signé pour me reposer»
Et lui aussi va raconter l’inénarrable de ce qu’il a vécu jour et nuit, et insiste sur l’absence de sommeil. «Je ne sais rien à ce propos. Que vais-je vous raconter? J’ignore ce que vous voulez. Après, on me présente un PV à parcourir et il ne me restait qu’à signer ce que je n’ai jamais dit.» L’ambiance dans la salle d’audience, le ton est aussitôt tombé lorsque l’accusé s’écrie: «Pourquoi m’a-t-on fait tout cela? Ils se sont attaqués à moi et à ma famille. C’est inacceptable. Même le racket a été de la partie. J’ai même signé un feuillet où il y est transcrit que je n’ai jamais été torturé. Oui. J’ai signé pour me reposer. En 2000 et quelque, la Cour suprême, la cour d’Alger, la chambre d’accusation, le juge d’instruction, le procureur sont restés muets. Je n’ai jamais fourni un quelconque renseignement à quiconque!», conclut-il avant de décrire une anecdote qui fait plus pleurer que sourire… Et le pauvre Hamdane de soupirer en se remémorant ce qu’on a fait à sa famille, qui est issue d’une authentique famille de martyrs et de véritables moudjahidine, tous tombés les armes à la main. Visiblement, il a plus mal d’évoquer sa famille que de son propre corps.
A 15h45, Hamdane était encore sous le «chapiteau» des questions du parquetier et des avocats de la partie civile. Maître Miloud Brahimi arrive. Il salue de la main et s’assoit près de Maître Khaled, pas Bourayou, mais Bergueul. Après une pause de dix minutes, Ouided G. est entendue pour avoir reçu des «cadeaux» indûment contre des tuyaux filés à des entreprises étrangères. Et elle raconta avec beaucoup d’émotion comment, alors que son époux Hamdane était «entendu», des agents sont venus lui soutirer deux énormes sommes d’argent. «Il ne me reste que mes petits bijoux, prenez-les!», avant d’ajouter que son mari était très correct. Le représentant portugais a même répondu en toute clarté aux questions de Ben M’hidi, le procureur général, qui est resté sur sa faim à propos des relations de Addou avec les Portugais qui savent opérer hors du pays, respectant le pays hôte.
Le président, lui, ne veut pas que l’on s’ingère dans la traduction. Sid Ahmed Addou, le neveu de Tedj Eddine, s’avance flanqué de Maître Fatnassi prêt aux questions du tribunal criminel. La sono fait encore des siennes. Le pauvre préposé ne sait pas quoi faire, mais Hellali, lui, parle. Il commente et touche les beaux micros qui ne servent presque à rien. Tant pis pour ceux qui n’entendent pas.
Entre-temps, Sid Ahmed Addou explique ses actions et affirme qu’il n’a rien à voir avec cette histoire, car, conclut-il, «les preuves ont été remises au juge d’instruction». Ben M’hidi revient à la charge: «Bon, le DRS? O.K. Mais le juge d’instruction vous a entendu trois fois!»
«J’étais épuisé, j’ai dû signer sans lire!», répond Addou qui est stoppé par le juge qui veut plus d’éclaircissements autour des réponses posées durant l’enquête. «J’ai passé onze jours qui me paraissaient des années. Le premier enquêteur sorti, un autre arrive sans vous laisser le temps de vous reposer.» Le procureur général sort l’histoire des CD contenant les projets du ministère des Travaux publics, remis par Hamdane: «Non, il n’y a rien de vrai!», réplique l’accusé qui explique le fonctionnement des collaborations entre des intermédiaires et des sociétés. «L’accompagnement se fait après le service fait, jamais avant!» (les micros refonctionnent à nouveau!)
A 12h35, le juge lève l’audience pour deux heures! Au retour, le P-DG d’une entreprise, Usolux, a donné les détails de la réalisation du tram d’El Bahia avant ceux de Mostaganem et de l’ex-Cirta. «Nous avons été toujours entre premiers et troisièmes dans les offres de réalisation. La différence était allée à près de 4 millions d’euros avec en plus la formation des hommes et des femmes chargés de la maintenance.
Les premières trente minutes de la reprise tombent dans le fastidieux, la lourdeur, la complexité technique dans les réponses de ceux qui sont poursuivis à titre de «personnes morales».
«En Europe, on cherche des entreprises qui ont fait leurs preuves ailleurs», dit l’adjoint du DG de Usolux. Les relations Usolux-E.Métro d’Alger sont aussi soulevées. On explique «l’étude et la réalisation».
Le représentant de l’entreprise chargée du téléphérique, de Constantine (la sono va encore mal et nous n’entendons rien de ce qui se dit à la barre) et le juge apparemment d’appeler le préposé à la sono qui semble «égaré».
Et puis, hop! Hellali revient à la corruption! L’étranger parle plutôt d’excellentes relations de travail avec les nationaux, et parle des meilleurs intermédiaires établis à ce moment-là.
«Nous sommes à l’avant-garde dans tous les domaines (la sono est… rétablie!) et à propos d’une quelconque relation d’affaires avec Addou, il répond que c’est un gars bien qui a permis de nouer les contacts avec lui et il a honoré le contrat avec lui. «Il n’y a rien d’illégal, surtout qu’on voulait éviter les retards et les délais», rétorque-t-il. «J’ai rencontré Addou deux ou trois fois ici et en Suisse.» Visiblement, le tribunal avait fini avec les grosses pointures Chani, Ouezam, Bouchama, Khelladi et autres Addou et l’intérêt semble avoir chuté.
Les étrangers nient
L’accusé suivant est assisté de Maître Belloula Jr et est poursuivi d’avoir fourni des renseignements à Addou à propos de la réalisation du projet. Il a longuement expliqué les multiples réunions relatives à l’enveloppe consacrée à cette oeuvre nationale. Il a la voix rauque, lourde dans les articulations d’une bouche aux lèvres serrées, et c’est dire (avec beaucoup de difficultés qu’il se rappelle l’estimation surévaluée entre Tlemcen et Maghnia, et donc, il a fallu réagir et trouver des réponses. «Nous avions demandé une réunion express avec le ministère des Finances, et à la sortie, le colonel du DRS, affecté au ministère, m’appelle et insiste à ce que je le rejoigne ou qu’il se déplace lui-même. Il a la gorge nouée au moment où il a été prié de le suivre. Où? Je n’en sais rien…
«Mon neveu m’a proposé une affaire commune avec une société italienne. Je m’occupe aussi de l’électricité et des travaux publics. Plus tard, on m’a sorti des histoires imaginaires rien que pour obtenir des infos au sujet de x ou y… filés au quotidien.» Ben M’hidi revient sur autre chose, i-e les pots-de-vin. Khalladi est à son tour questionné par Hellali qui aurait mis en place un piège pour cueillir Chani. Khelladi se lève et éclaire les débats en affirmant que l’avenant de 5 milliards de dollars était bel et bien mis à jour. «Il a alors appelé Chani pour l’informer de la ‘cerise » à cueillir. C’est permis de voler, mais pas d’être arrêté.»
Addou Tej Eddine, continue de se défendre, même lorsque le juge s’aperçoit qu’un jeune très bel avocat cherchait des yeux son cadet sans robe noire: «Ça suffit, je ne supporte pas de voir un conseil sans robe noire. Il n’y a pas de raison qu’on se ballade dans une cour sans robe. L’avocat, lui, avait pris le large sans broncher, et ce sera sa consoeur Maître Nacéra Tinedeghar, membre du Conseil de l’Ordre d’Alger, qui a fait la mise au point en vue d’éteindre un éventuel incendie menant à un incident avocats-reste du monde. Les explications techniques l’emportent sur toute considération, alors que dans la salle, quelques personnes aimeraient bien entendre les noms de «pontes impliqués» mais non inculpés dans ce procès.
Le représentant de Koba, société portugaise donne des précisions au sujet de l’ouverture des plis et affirme ne pas connaître Addou Tej Eddine. Le juge répète que l’enquête a abouti à des pots-de-vin distribués en vue d’arracher les marchés de la réalisation de l’autoroute Est-Ouest: «Nous avons arraché 80 km seulement», dit-il, repris par l’interprète qui aura un rapide échange à propos du verbe «accompagner». L’accusation n’est pas établie, donc. Le juge demande s’il y a des justificatifs avec les paiements des services faits.
Ouidad dira de son côté qu’il ne fréquentait personne: «Il ne prenait jamais un café dehors.»
Hellali dit: «C’est lorsque vous aviez nié ce qu’a fait votre mari, que les ennuis ont commencé?»
Oui, mais on ne m’a jamais dit que mon époux était en taule, alors qu’en temps normal, je le voyais deux fois l’an.
Ben M’hidi: «Le jour où votre mari est entré avec ces gas, aviez-vous fait l’objet de contrainte?»
Elle répond «non» avant de jeter un plein en direction de son mari: «C’est un homme honnête sinon je ne l’aurais pas épousé et encore il respecte beaucoup mon père à chaque fois ramené de l’aeroport par sa bonne volonté» (rires dans la salle). Ouidad s’exprime très bien. Elle a tourné la page sans la déchirer pour ce qu’elle a enduré ainsi sa fouille.
Hellali: «Madame vous êtes une Algérienne issue d’une honorable famille qui a beaucoup fait pour le pays (1954-1962). La justice sait ce qu’elle fait! Radia G. sa soeur est a son tour entendue.
Le juge la met à l’aise: «Je vivais à Paris et j’étais loin. La commission rogatoire ayant appris ce qu’avait enduré ma soeur et mes parents, j’ai été toute retournée.»
Le procureur général se lève et demande le relèvé de compte «à l’époque, croyant que c’était votre papa qui avait viré les sommes».
«Oui évidemment mais j’adore mon pays.» C’est au tour de Citic-Crcc la chinoise de passer. Mais l’obligation du bouclage nous pousse à vous donner rendez-vous à la prochaine édition avec comme ultime info: un incident vite stoppé est né à la barre entre Maître Toufik Ouali et l’interprète qui a menacé de s’en aller… Hellali joue son rôle! Ouf!