Procès de l’affaire Khalifa Bank, Benyoucef Yousfi, un témoin pas comme les autres

Procès de l’affaire Khalifa Bank, Benyoucef Yousfi, un témoin pas comme les autres

La gestion de la caisse principale de Chéraga et des transferts entre sièges, mais aussi les placements de l’argent de la Cnas et de la CNR chez Khalifa Bank étaient hier au menu des débats au tribunal criminel près la cour de Blida.

L’audience du procès Khalifa d’hier a connu l’intervention d’un témoin pas comme les autres. Il s’agit de l’inspecteur général de la banque Khalifa, Benyoucef Yousfi, qui affirme d’emblée que la banque de Khelifa était gérée dans l’anarchie. Cet autodidacte a travaillé dans une banque de droit français dans les années 1960 et, lors de la nationalisation des banques, il devient directeur adjoint à la BDL. En octobre 1998, il rejoint Khalifa Bank comme chef de projet en compagnie d’Ali Kaci et du DG Faouzi Nanouche. En 2002, il est inspecteur général pendant deux mois puis conseiller du P-DG Moumen Khelifa.

Quelques mois plus tard, il sera affecté à Khalifa Airways pour avoir tenté, selon lui, de fouiner dans les comptes de la caisse principale et établi des rapports à la direction pour dénoncer les anomalies enregistrées dans certaines écritures entre sièges. “Pourquoi ce changement d’un poste à un autre ?”, demande le président de l’audience. “Ils ne voulaient pas de moi. Je dérangeais apparemment”, répond le témoin. “Expliquez-nous comment était la gestion de la banque ?”, demande encore le président. “C’était l’anarchie et j’ai, à chaque fois, adressé des rapports à la DG mais ils restaient sans suite. Une fois, j’ai rencontré Razi Kebbeche à l’agence de Blida et il s’est montré menaçant envers moi. Il m’a dit : arrête tes écrits car tu peux faire un accident avec un camion. Ma visite à l’agence de Blida était inopinée et là j’ai découvert qu’une entreprise (Digimex) a contracté un crédit de 10 milliards de centimes sans dossier ou hypothèque. Les états des écritures en suspens étaient indéchiffrables, on ne pouvait pas comprendre, alors je suis allé à Khalifa Airways et là je n’ai pas eu de problème dans mon travail”, raconte le témoin. “Bien sûr que tu peux travailler sans contrainte car là il n’y a pas d’écritures entre sièges”, fait remarquer le président de l’audience.

“C’est après que j’ai su que l’inspecteur Agaoua a été licencié après avoir voulu, comme moi,

faire une inspection à la caisse principale. Nous, les inspecteurs nous ne savions rien sur ces écritures en suspens”, précise le témoin, avouant avoir contracté un crédit bancaire de 150 millions de centimes après avoir fait une demande écrite au P-DG et remboursé la totalité avec des retraits sur salaire. Aux questions de la défense de Khelifa Abdelmoumen qui a voulu savoir si sa mise à l’écart avait été décidée par le P-DG Khelifa, il répond : “Non”. L’autre témoin, Tahar Mokadem, qui a dirigé les agences de Chéraga et de Blida avant de devenir conseiller et financier de la direction des sports, a été interrogé sur les six crédits dont un était estimé à plus d’un milliard de centimes. Sur ce sujet, le témoin, qui avait purgé une peine de 4 années de prison ferme, explique au magistrat qu’il ne se souvient pas à qui il a remboursé le crédit.

Mais il se dit sûr de ne pas l’avoir remboursé à Khelifa Moumen, comme inscrit dans le PV de l’instruction. “Je ne me souviens pas à qui l’argent a été remboursé. Je crois que c’est à un conseiller dont je ne me rappelle même pas le nom”, dit le témoin, précisant que Khelifa Abdemoumen n’est jamais venu à l’agence de Chéraga pour prendre de l’argent. “M. Mokadem, pourquoi ce revirement ? Lors de l’instruction vous avez déclaré que c’est à Khelifa lui-même que vous avez remboursé le prêt ou le crédit et aujourd’hui, vous dites le contraire ?”, intervient le président de l’audience qui n’obtient aucune information du témoin sur l’implication de Khelifa Rafik dans le retrait ou le transfert d’argent à son profit. “L’argent s’est volatilisé, il n’y a rien, aucune trace, aucune traçabilité”, fait remarquer encore le magistrat qui garde le silence.

Hakim Guers, directeur de l’agence d’Oran, nie également avoir donné ou envoyé de l’argent à Khelifa Abdelmoumen par le biais de particuliers. Il explique au président de l’audience qu’il transférait l’argent de l’agence d’Oran à la caisse principale à Alger par voie aérienne (Khalifa Airways) car, à l’ouverture de l’agence, il n’y avait pas encore d’autorisation de la Banque d’Algérie à Oran pour pouvoir effectuer des dépôts de fonds. Il explique encore que cette situation avait duré 5 à 6 mois et c’est Fouzi Baïchi, le responsable de la trésorerie de la banque Khalifa qui venait assurer le transfert de fonds.

Des commissions estimées à des milliards sans trace

Le témoin raconte que le transfert d’argent se fait régulièrement dans des sacs accompagnés par des écritures comptables. “Écoutez, vous avez déclaré au juge d’instruction que Khelifa Abdelmoumen vous a demandé de lui envoyer 50 millions de centimes avec Baïchi sans présenter aucun document. Pourquoi ?”, demande le président de l’audience. “Non, M. le président. À cette époque, nous n’avions pas de convoyeurs de fonds et c’est Baïchi qui assurait le transfert de fonds en tant que responsable, mais Khelifa m’a jamais demandé quoi que ce soit”, répond le témoin. “Le rapport indique que vous avez donné 1 million de francs français à Baïchi. Comment avez-vous inscrit cette opération ?”, interroge le magistrat. “Il a signé une décharge et j’ai inscrit cette opération dans les écritures entre sièges”, a répondu Guers Hakim qui a purgé une peine de 10 années après avoir été condamné lors du procès de 2007. Il avoue avoir donné de l’argent à plusieurs reprises à Baïchi Faouzi tout en sachant que ces sommes étaient destinées pour des commissions à des responsables des organismes et entreprises de l’État tels les OPGI de la région de l’Ouest.

Benamer Farid, président de la commission des œuvres sociales du secteur de l’éducation, explique que le placement de 500 millions de dinars avec un taux d’intérêt de 12% à l’agence d’El-Harrach de la banque Khalifa a été décidé par la commission nationale des œuvres sociales composé de neuf membres en octobre 2002.

Le témoin explique que l’organisme avait un compte à la BEA avec un taux d’intérêt de 11% qui a chuté à 2%. “C’est cette diminution du taux d’intérêt qui nous a incités à placer à Khalifa Bank uniquement les intérêts issus de nos placements à la BEA”. “Pourquoi en 2002, le taux dans les banques publiques a-t-il chuté subitement de 11%  à 2% ?”, demande le président du tribunal. “Nous nous sommes rapprochés des responsables de la BEA pour savoir les raisons de cette chute du taux d’intérêt. Ils nous ont dit que cela les dépassait”, argumente le témoin. “Pourquoi regardez-vous en direction du banc des accusés ?”, demande le président de l’audience au témoin. Ce dernier répond avec une profonde désolation : “Je me suis souvenu de l’année 2007, quand nous avions laissé nos enfants en pleurs.”

L’autre témoin, Menad Mustapha, condamné à trois ans de prison ferme pour corruption, est appelé à la barre. Ce dernier, qui avait occupé le poste de directeur des finances à la Cnas, explique que la caisse avait d’énormes sommes d’argent et le dépôt se faisait dans plusieurs banques avec des taux d’intérêt qui avaient atteint le niveau de 21% dans les banques publiques. Le témoin explique que le placement dans la banque Khalifa a été décidé par le conseil d’administration présidé par Abdelmadjid Sidi-Saïd. “Je n’ai pas assisté à ce conseil d’administration. J’ai exécuté la résolution du conseil signée par le directeur général et c’est le conseil d’administration qui devait informer la tutelle de la décision du placement”.

En ce qui concerne l’utilisation de la carte du centre de thalassothérapie, le témoin répond par la négative mais en ce qui concerne la carte de transport, il explique qu’il a fait un voyage à l’école des œuvres sociales de Lyon, en France, et que tout était en règle. Le président de l’audience revient sur la convention de placement d’argent et se demande si le directeur financier est obligé d’appliquer la convention. “Oui, car la convention répond à un aspect juridique qui est la résolution prise par le conseil d’administration”, répond Menad qui confirme que les 1 000 milliards de centimes n’ont pas été remboursés en dépit des demandes de remboursement.

Le président appelle Boubadra Hacen, ex-directeur de la Caisse nationale des retraites, qui explique les raisons du placement dans la banque Khalifa par le fait qu’il avait des problèmes de paiement des pensions de retraite. “Nous avons ouvert un compte dans l’agence d’El-Harrach qui nous a permis de régler une bonne partie des pensions des retraités”, affirme le témoin, précisant qu’il avait des facilités de retrait d’argent dans la banque Khalifa. Depuis la création de la Casnos, les placements se faisaient dans les banques publiques pour faire fructifier l’argent de la caisse.

À l’époque, le conseil d’administration avait étudié 10 points dont celui du placement pour répondre aux besoins des augmentations de salaires et il fallait trouver des moyens pour répondre à cette demande d’argent. Résultat : plus de 2,5 milliards de dinars partis en fumée, suite à un placement chez Khalifa Bank. Le témoin avoue avoir voyagé trois fois en famille en France avec la carte de transport mais affirme que son fils s’est débrouillé tout seul pour passer le concours de pilote chez Khalifa Airways.

K. F