Dans son arrêt du 29 janvier 2015, la Cour suprême s’est prononcée pour la non-réactivité de la loi sur le blanchiment d’argent et la prescription de l’action publique. Mais le procureur ne tient pas compte de cet avis et demande la reconduction de toutes les peines prononcées, lors du premier jugement.
Programmé dans la journée de jeudi dernier, au niveau de la cour d’Alger, le procès de l’affaire Algérie Télécom, revenu après cassation, n’a débuté que dans l’après-midi. Poursuivis et condamnés par le tribunal de Sidi-M’hamed à une peine de 18 ans de prison ferme, pour “corruption et blanchiment d’argent” (entre 2002 et 2006), Mohamed Boukhari, ancien conseiller du P-DG d’Algérie Télécom, et Mejdoub Chani, homme d’affaires algéro-luxembourgeois, ont interjeté appel qui leur a permis de baisser cette sentence à 15 ans. Ils ont, par la suite, introduit un autre pourvoi en cassation au niveau de la Cour suprême. Le parquet général a également requis, jeudi, la confirmation de la peine prononcée en première instance contre les deux sociétés chinoises ZTE Algérie et Huawei Algérie, qui était de trois ans d’interdiction de soumission aux marchés publics.
C’est donc pour la troisième fois que ce procès se tient, sans susciter cette fois-ci, un grand intérêt. La salle d’audience était, à moitié vide. Juste avant le début du procès, l’avocat de Chani Medjdoub, Me Sidhoum, nous a déclaré qu’“il y a un bon espoir d’aller vers un non-lieu”. Il avance que la Cour suprême a, en janvier dernier, accepté le recours de Chani, en tenant compte de deux points de droit. À savoir la non-rétroactivité de la loi et la prescription de l’action publique. Me Amine Sidhoum explique : “Il n’y avait pas de loi sur le blanchiment d’argent en octobre 2003 et en janvier 2004, au moment où Chani a signé les deux formulaires qui sont à l’origine des poursuites engagées contre lui.
Il ne peut pas être poursuivi pour blanchiment d’argent pour un délit qui n’existait pas à l’époque. La loi sur le blanchiment d’argent n’a été promulguée que le 10 novembre 2004.” Dans ces attendus, la Cour suprême a également considéré que l’action publique, en matière de blanchiment d’argent, se prescrit par trois ans révolus, à compter du jour où le délit a été commis.
Dans leurs plaidoiries, les avocats de l’homme d’affaires algéro-luxembourgeois ont rappelé que les faits se sont déroulés au Luxembourg, où Madjdoub Chani était propriétaire d’une société conseil depuis une quinzaine d’années. La banque Natixis Luxembourg a demandé, à l’époque, à Chani d’être mandataire de deux sociétés non résidentes de droit (BVI) et (British Islandes).
La prestation de Chani s’est limitée, toujours selon sa défense, à la signature des deux formulaires qui ne servaient que pour introduire une demande d’ouverture d’un compte bancaire. “Tout ce qui a été entrepris, ensuite, a été l’œuvre unilatérale de la banque Natixis qui a utilisé les deux sociétés au profit de l’un de ses clients, que Chani ne connaissait pas.” La demande du collectif d’avocats de convoquer à la barre, le représentant de la banque Natixis de Luxembourg, ainsi que le nommé Dominique Fermier, qui exerce au sein de la même institution, n’a pas été acceptée, du fait qu’elle n’a pas été formulée durant l’instruction ou lors du procès en première instance. La défense de Mohamed Boukhari précise qu’Algérie Télécom ne s’est constituée ni partie civile ni partie plaignante. Car, il n’y a aucun préjudice financier causé à Algérie Télécom ou au Trésor public.
Les avocats concèdent que Boukhari était effectivement conseiller en communication d’Algérie Télécom entre 2000 et 2002, puis a occupé le même poste au niveau d’Algérie Poste. Par la suite, il s’est installé à son propre compte comme consultant des entreprises chinoises concernées par cette affaire.
Sa mission se limitait, selon ses avocats, à faciliter le travail de ces sociétés en Algérie, qui lui versaient de l’argent en contrepartie de cette prestation de services.
L’affaire d’Algérie Télécom a éclaté à la faveur de la commission rogatoire transmise par le juge d’instruction, en charge du dossier de l’autoroute Est-Ouest, au Luxembourg pour enquêter sur les biens de Chani Medjdoub. Dans leur réponse, les autorités luxembourgeoises font état d’une société fiduciaire où étaient domiciliés les comptes de deux entités économiques fictives appartenant à Mohamed Boukhari et alimentés par les sociétés chinoises ZTE et Huawei. Pour Mohamed Boukhari, les sommes versées, qui ont atteint 9 millions de dollars, représentaient sa rémunération en tant que conseiller à la communication, soutenant aussi que les contrats de consulting qu’il a signés avec les Chinois n’avaient aucun lien avec les marchés qu’ils avaient obtenus en Algérie. Ses avocats ajoutent que la rémunération qu’il percevait des Chinois ne peut constituer le produit de la corruption, à partir du moment où le prévenu n’avait aucun pouvoir pour peser dans l’octroi des marchés au sein d’Algérie Télécom. Verdict dans cette affaire, le 15 octobre prochain.