A la fin de la lecture du très long arrêt de renvoi (quatre heures et demie), il est apparu deux faces dans ce dossier.
La part du lion de ces deux premières journées, dimanche et lundi, aura été la fastidieuse lecture de l’arrêt de renvoi, heureusement lu avec beaucoup de conviction par Aïssa, le greffier de l’audience. Celui-là même qui avait débuté sa carrière au sud-ouest du pays aux côtés d’un certain Tayeb Louh, alors jeune magistrat ambitieux, décidé (déjà) à changer les choses. 32 ans! Et si la lecture de l’arrêt de renvoi avait ses partisans et ses détracteurs, la réception des mots débités à une vitesse vertigineuse, le dimanche après-midi et ce, jusqu’à 17h, a laissé transparaître des accusations nées de la bouche des suspects répondant aux milliers de questions des enquêteurs.
C’est ainsi que la salle d’audience a vibré (intérieurement) à la seule prononciation de noms de personnalités non concernées par le dossier: il y a eu, coup sur coup, Bedjaoui Mohammed, Abdelmalek Sellal, Amar Ghoul, (mais, bien sûr!) Abdellatif Benachenhou…
Une affaire personnelle
Les amateurs de scoops d’audience seront mi-déçus, mi-réjouis: «On a quand même entendu leurs noms sur l’arrêt de renvoi!» clame un jeune avocat relayé par un second: «Oui, mais l’arrêt de renvoi c’est l’accusation. Attendons le son des intéressés et de leurs conseils.»
Dans les rangées et surtout dans la salle des «pas perdus», on murmure des: «Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas eu de prises de corps de Mohamed Bouchama, l’ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics, Addou Sid Ahmed, et surtout Kheir Allah qui était en état de fuite avant de se livrer à la justice pour «associations de malfaiteurs, corruption, trafic d’influence, abus de fonction, violation de la réglementation des marchés publics et des mouvements de capitaux et autres réceptions indues de cadeaux».
On réévoque le cas de certaines personnalités ayant facilité les démarches administratives et financières, ou encore l’absence d’une entreprise française qui aurait été généreuse avec Sellal au moment où il occupait le département des ressources en eau.
Ce qui est certain, les «mauvaises langues» se contentent d’accabler par le bouche-à-oreille les seuls Chani, l’Algéro-Luxembourgeois, dont les deux avocats européens ne le rejoindront au Ruisseau que ce matin. Beaucoup a été dit et écrit sur les accrochages verbaux entre le juge à qui on a dû rappeler son rôle d’arbitre et seulement celui-là sans s’emballer, ni paniquer, ni ouvrir des débats stériles et inutiles avec la défense.
Et ce lundi matin, tout le monde s’est calmé. Maître Abdelaziz Cherfouh était de passage en compagnie de Maître Rezki Ramdani et Maître Kamel Alleg, et en a profité pour glisser un large sourire: «Ici, on rend justice. Celui qui a du temps à perdre, doit libérer ceux qui sont occupés en cessant de bavarder.»
Aïssa le greffier est en train de voir les centaines de pages «maigrir». Il est en forme ce Aïssa, il a dû prendre à l’aube un quart de litre d’huile d’olive pour préparer ses cordes vocales à une lecture lourde. Lorsqu’on sait qu’à Oran, les juges passent immédiatement au «par conséquent!», on peut pleurer à Alger d’avoir perdu une journée pour l’arrêt de renvoi que la loi prévoit, mais que le bon sens aurait pu régler. Bref, passons! Les juges d’Oran ne seront jamais ceux d’Alger en matière de «pouvoir discrétionnaire».
Revenons dans l’arrêt de renvoi pour relever que, outre Salim Hamdane, l’ex-directeur central des travaux publics qu’on accuse d’avoir livré les numéros de comptes à l’étranger au nom de madame et ses deux soeurs (elles aussi poursuivies), l’ex-colonel Khaled du ministère de la Justice qui aurait cédé une villa à Chani qui l’aurait offerte au… cheb Khaled!!!
Pour se détendre un moment dans la salle d’audience, il y avait des Khaled à la pelle. D’abord, le colonel, les deux avocats Bergueul et Bourayou, le chanteur et… Benyounès le jeune magistrat d’El Harrach venu pour une affaire personnelle à la cour au… 8e étage. Fermons la parenthèse pour ré-atterrir dans le palier où un écran géant permettait aux curieux de suivre les débats. On parle même de la présence d’un diplomate européen venu suivre ce procès qui ne peut être une mascarade! Non jamais. Notre justice à travers, mais elle existe et elle fonctionne au grand bonheur de notre peuple jaloux de son bien-être mental.
Le mot «pots-de-vin» est revenu mille fois dans la bouche de Aïssa le greffier que suivent les inculpés chinois, canadiens, italiens, suisse et japonais en tant que personnes morales.
Ahmed Rafik Ghazali de l’agence de gestion des autoroutes, Belkacem Ferach, ex-chef de cabinet de Ghoul, ancien ministre des Travaux publics, Madani Bouznacha, Addou Sid Ahmed et Tadj Eddine, Naïm Bouznacha, le frangin de Madani, poursuivis pour effectuer les opérations de change et de transfert de devises.
Seul Medjdoub Chani suit depuis le box, ramassé, silencieux, sans bouger ses lèvres, estimant que de toutes les façons, les «carottes étaient cuites», car les charges, elles, brrr!
Des murmures évoquent le nom de Khelladi Mohand. «C’est Amar Ghoul qui le ‘transportait » dans ses bagages d’un département ministériel à un autre. Comme quoi, trop se coller à un ministre a ses risques, sauf si on est… net!» commente une jeune avocate venue apprendre…
A 10h15, ce lundi où le vent d’ouest rafraîchit les mines de ceux qui ont trop veillé, Aïssa entamait le feuillet cent et quelques…
Ce qui est tuant, c’est tous les termes lus dans l’arrêt de renvoi accablant tous les accusés et inculpés. Le jeune avocat, Maître Okba-Amine Hassani d’Alger-Centre est revenu écouter et… apprendre de ses aînés. Il faut aussi reconnaître que la salle est aux trois-quarts vide. L’intérêt était tombé dimanche soir lorsque les personnalités avaient été citées, mais non comparaissantes…
Les caméras des TV privées «soutirent» de nombreuses déclarations aux avocats, heureux d’informer plus objectivement… Aïssa, lui, continue à lire l’arrêt de renvoi avec énormément de détails. Il en est aux auditions d’après-minuit… Il lira un passage plutôt clair: «Il n’y a aucune loi qui interdise une présentation de nuit!» C’était juste pour répondre aux protestations des avocats qui considèrent cette manière de faire comme un dépassement, voire un déni de justice.
Le texte revient aux douteuses relations de certains accusés avec des sociétés étrangères. On évoque Hongkong. La liste de nombreux cadeaux offerts en guise de corruption est aussi fournie. Tout ce que peut faire un arrêt de renvoi en vue d’enfoncer les accusés. Pour ne pas changer, Maître Mohamed Djediat ne peut s’empêcher de saluer Maître Toufik Ouali en franche discussion avec Maître Mohamed Fatnassi, qui venait d’arriver.
Il est 10h30. Seule la voix rauque de Aïssa domine. Les autres avocats sont sceptiques quant à la suite de cette journée après la lecture de l’arrêt de renvoi. «Nous avons l’impression que Tayeb Hellali, le président, ne veut pas se précipiter. Ce qui explique qu’il prenne tout son temps», commente une avocate de Blida, concernée par le dossier Khalifa qui débutera le 5 mai.
«Ce n’est pas gentil d’avoir programmé deux grosses pointures durant la même période!» lâche un avocat qui a un client à Blida et un autre à Alger. Amar Benkharchi, le président de la première chambre, vient faire la bise à Maître Khaled Bergueul et à son ami de toujours, Maître Mohamed Fatnassi qui le boycotte depuis une dizaine d’années.
Et ce boycott d’audience est né de la déception à l’époque de Maître Fatnassi qui adore le respect des procédures et du formalisme sans concession. Il est vrai que le magistrat de la cour d’Alger est très estimé et respecté, malgré tout ce qui se dit à son propos. Hongkong, le Luxembourg reviennent toutes les dix lignes ainsi que l’ex-colonel Khaled, alors chargé de mission au ministère de la Justice sous l’ère de Tayeb pas Louh, mais Belaïz.
Nous remarquons aussi que Aïssa respecte la lecture intégrale de l’arrêt de renvoi puisqu’il cite: le colonel Khaled à plusieurs reprises!
10h50. Aïssa achève un paragraphe et Hellali fait un beau geste en sa direction: «Si Aïssa est fatigué. Levons l’audience pour une courte et bénéfique détente. Tayeb Hellali est de meilleure humeur qu’hier. Il a dû comprendre la nuit que la rigueur valait mieux l’humour, car il y a des gens qui risquent gros et donc, le sérieux doit l’emporter…»
Le tribunal revient. Le greffier s’est reposé 20 minutes et il reprend de plus belle.
Pour Maître Naziha Selmi du cabinet Nouri qui défend la société chinoise, l’arrêt de renvoi laisse apparaître deux parties concernées: l’autoroute et le ministère des Transports. «Pour tout avocat qui n’a pas parcouru tout le dossier, cette affaire est plus complexe que l’on puisse le croire. En effet, il y a aussi et surtout le ministère des Transports qui est mouillé dans l’arrêt de renvoi. Donc, en ce qui concerne nos mandats, il n’y a rien à retenir contre eux. Je ne comprends pas pourquoi les Chinois sont poursuivis, même en qualité de personne morale», conclut l’avocate blonde, motivée…
Maître Tayeb Belarif nous fait part de ses sentiments: «Je pense que le président va établir un planning en vue d’aller sur une cadence qui ne gêne pas les débats», lance-t-il, la mine ravie après une belle nuit où le repos était roi après la première journée passée au Ruisseau…
Les mauvais dysfonctionnements
12h. La lecture de l’arrêt de renvoi se poursuit. Dans la salle des «pas perdus», c’est franchement le souk! Un autre avocat revient sur le prochain procès d’El Khalifa: «Que faudra-t-il faire?», balance-t-il avant de tomber sur l’absence totale de concertation entre les cours voisines: «Vous rendez-vous compte ce que représente un déplacement sur Blida en plein jour? Deux heures de route avec cette infernale circulation! Franchement, je crois que je vais me déconstituer pour El Khalifa…», conclut l’homme qui reste interdit…
L’après-midi verra-t-il l’entrée des débats? Les accusés vont-ils être entendus enfin? Chani va-t-il passer à la barre et se défendre en toute liberté? Nous ignorons tout des intentions du juge qui aurait dû, dès l’ouverture du procès, donner le planning à suivre et l’évaluation des jours des débats, car mathématiquement, il ne reste que six jours avant l’ouverture du procès «El Khalifa», et Menaouar Antar, le président du tribunal criminel de Blida, a envie lui aussi d’en finir avec ce dossier qui empoisonne le quotidien des responsables de la justice. Oui, beaucoup d’avocats sont d’accord avec les mauvais dysfonctionnements de la justice, même avec un Tayeb Louh à cheval pour ce qui est de la concertation, de la réflexion et de l’efficacité.
Une chose est certaine: à ce train-là, le dossier autoroute Est-Ouest prendra une douzaine de jours! Soit le… 8 mai! Le procès El Khalifa en sera à son… troisième jour!
En tout cas, vers les 12h15, juste après la lecture intégrale de l’arrêt de renvoi, Hellali décide d’une suspension d’audience bénéfique pour tous. Ouf! Car ce qui est à retenir ce lundi, c’est que l’arrêt de renvoi a laissé se dégager deux faces: il y a l’autoroute et il y a le ministère des Transports. La suite du procès le prouvera certainement…