Oultache est certes reposé, serein, mais il a toujours ce regard qui fuit au loin
C’était une mascarade à laquelle des avocats ont refusé de participer. Pas de débats sans le rapport salvateur de la Dgsn!
A dix heures quarante-cinq, les six détenus de ABM et de la Dgsn entrent dans le box où ils s’installent avec d’affectueux gestes en direction de leurs proches. Trois minutes après, la sonnerie retentit trois fois. C’est Zahia Houari du ministère public qui montre le bout du nez suivie de la présidente et du greffier. Le service d’ordre est sur les dents. Ayant liquidé les justiciables qui n’avaient plus d’affaires à traiter, le tribunal va devoir travailler dans la sérénité contrairement à l’audience du 28 septembre où la pagaille avait été la tâche noire du début des débats renvoyés pour pouvoir permettre au tribunal de ramener le précieux document de la Dgsn que le juge d’instruction avait examiné sans le prendre en considération.
Hier, le premier avocat à prendre la parole verra ses interrogations et ses exclamations arriver aux oreilles de la présidente moins stressée que la dernière fois. L’intervenant refuse un autre renvoi et veut, au nom de ses confrères, «que le procès se tienne et qu’on en finisse». Maître Karim Douane, le jeune du collectif, regrette que le juge d’instruction et le parquet ne soient pas allés plus loin dans les positions qui vont de pair avec l’esprit de justice qui les anime. Un autre avocat regrette amèrement que quinze jours n’avaient pas suffi pour faire respecter le voeu-ordre-désirata de la présidente. Cette dernière semble avoir saisi l’ire de la défense mais ne montre aucun signe d’autorité du tribunal en vue d’obtenir ce document capital. Maître Tayeb Bouitaoui est scandalisé: «Je ne comprends pas que l’on puisse discuter durant des heures pour un dossier monté de toutes pièces.» Il faut vite ici préciser que la pièce exigée par la défense commence et finit en un document qui souligne fort bien que l’enquête diligentée par la commission formée du vivant de Ali Tounsi, alors directeur général de la Sûreté nationale, avait conclu une netteté, une transparence sans égale de tous les marchés passés entre la société ABM (Algéria Busness Media) et la Dgsn. C’est souligner l’importance de la présence de cette «attestation» dont la lecture depuis le pupitre par la présidente, pourrait mener droit à l’annulation des procédures et la fin des poursuites avec le retour chez eux des inculpés, Chouaïb Oultache en tête. La présidente commence à paniquer. Elle reproche à certains avocats de parler sans l’autorisation du tribunal. Maître Bouitaoui s’énerve sans rouler sur la ligne…jaune du tribunal. Il le crie haut et fort: «Est-ce qu’un seul avocat vous a manqué de respect?» Une voix s’élève du parquet d’avocats, debout à la barre: «Madame la présidente, donnez-nous acte que l’on refuse de vous remettre la pièce déterminante.» Cette fois, la juge estime que l’on vient de la titiller. Elle lève l’audience. Deux minutes après, Abdelmadjid Benhadj, le procureur en titre, effectue un bref saut dans la salle d’audience, sourit et tourne les talons pour les…guichets. Maître Lotfi, Saïdi et Maitre Kamel Maâchou, dont les poils poivre et sel du bouc, sont dressés, se concertent en faveur de leurs clients, deux commissaires de police et une officier de police non-détenue. Maître Tayeb Belarif, tout comme Maître Fayçal Benabdelmalek et Maître M.F. Ksentini sont scandalisés par l’affirmation de la présidente concernant la présence dudit fameux document réclamé à cor et à cri par la défense. Et alors que la juge du siège se trouvait dans l’arrière-salle en train de chercher une sortie loyale de cette obstruction, Maître Belarif prend à témoin l’assistance y compris les curieux que la juge du siège vient de faire des déclarations mensongères depuis le pupitre. Maître Miloud Brahimi ne tient pas en place tout comme Maître Mostefa Oukid.
De toutes parts, on commente et on désavoue la remarque peu élégante de la magistrate qui avait décidé de lever l’audience, «le temps que vous vous organisiez mieux». A midi quarante-neuf, le tribunal revient et maintient ses positions: «Pas de prise d’acte de la demande essentielle de la défense.»
Dans le box, les détenus suivent sans trop se faire d’illusion sur le lâchage de la «corde» par la juge. Chouaïeb Oultache est certes reposé, serein mais il a toujours ce regard qui fuit au loin, probablement que l’inculpé d’abus de pouvoir, un délit qu’il nie avec force, pense déjà au retour à Serkadji, à l’infernale circulation et surtout si ce procès se tiendra ou pas! Maître Mostefa Bouchachi prend le relais de Maître Belarif pour ré-ré-ré-expliquer la teneur de ce fameux document qui précise que «Oultache a comme interlocuteur d’ABM, son gendre et le reste des cadres, mais sans que pour cela, on relève la moindre magouille ni dépassements lors des transactions ABM/DGSN!»
Et Maître Bouchachi de rappeler que la rétention de documents officiels n’est pas un délit mais un crime! Maître Brahimi redemande poliment à la présidente de prendre acte, de la défection dudit document. Maître Khaled Bourayou va dans le même sens.
Pour la première fois, la jeune juge sourit. Elle réplique, en marmonnant. Maître Badredine Mouloudji hoche la tête d’impatience. Il a une envie démesurée d’en découdre. Entre-temps, la juge a levé une troisième fois les débats houleux et au retour, en pleine ire les confrères de Maître Houcine Bouchina décident de se retirer.
Malheureuse comme tout, la jeune présidente respecte les procédures et demande aux inculpés un à un s’ils désirent être jugés malgré la défaillance de leurs défenseurs. C’est Niet!
Et alors que dans le sous-sol du palais de justice le collectif d’avocats s’apprêtait à organiser une conférence de presse pour dénoncer cette grave atteinte aux droits de la défense, un confrère arrive en trombe pour annoncer le renvoi. Le troisième du procès ABM-Dgsn au 17 Octobre 2011. Ouf! Il était temps car cinq heures harassantes et stériles de débats avaient empoisonné le mercredi gris malgré un soleil de plomb.