Le principal accusé dans une affaire qui n’a pas tout dévoilé
Le bras de fer, défense-magistrats, a fait que le collectif d’avocats se retire. Report du procès…
Il a fallu attendre 10h40 pour que la composition correctionnelle d’Alger entre et prenne place avec l’appel de la vingtaine de prévenus et de la quarantaine d’avocats constitués.
Ces derniers, par la bouche du bâtonnier Abdelmadjid Silini, vont ouvrir les hostilités en réclamant une énième fois la présence de l’auteur du rapport dressé par la Dgsn pour son ex-directeur général, le défunt Ali Tounsi, qui avait pris la résolution de vérifier la régularité des marchés de gré à gré passés entre la Dgsn et ABM.
Cette demande avait été appuyée par le reste du collectif d’avocats très remuant, ce jeudi et pour cause, une demi-heure plus tard, on en était encore aux exclamations, interrogations et autres commentaires balancés, à haute voix.
Zaâtout, le procureur général, intervient pour mettre à profit ce brouhaha et annoncer que «ces histoires de document ou d’expert à convoquer ne doivent aucunement empêcher la cour d’aller au fond le plus tôt possible».
Chouaïeb Oultache prend lui aussi la parole pour se demander pourquoi cet acharnement contre l’équipe de patriotes qui ont réalisé un travail admirable.
«Pourquoi aussi, Monsieur le président, avoir mis l’accent sur le marché et jeté à l’eau Toufik Sator, mon gendre? Pourquoi? Oui, pourquoi?», siffle Oultache qui dégèlera plus tard l’ambiance en balançant à la face de Tayeb Hellali, le président, qu’il était solidaire de ses avocats: «Si, vous, Monsieur le président, décidiez de m’entendre je serai un sourd et un muet, pas sourd-muet.»
Et ce petit numéro qui avait décontracté les avocats stressés par tant de mépris, avait eu lieu au moment où tout le collectif d’avocats avait annoncé sa déconstitution. Maître Silini, le bâtonnier, en digne porte-parole distingué dira: «Nous refusons de cautionner cette opérette et à aucun moment, l’Histoire ne retiendra que des robes noires ont participé à une mascarade tragique où la liberté des gens était passée à la potence.»
Maître Mostefa Bouchachi va lui aussi s’avancer pour exprimer son indignation devant le refus constant depuis Sidi M’hamed et maintenant jusqu’au Ruisseau, aujourd’hui,considérer que l’unique expertise qui peut apporter un bol d’air au droit de la défense reste ce témoin-clé qui a réussi à effectuer du bon boulot pour ce qui est de la transparence qui a existé dans les relations ABM-Dgsn.
Maître Tayeb Belarif reparle de soustraction de documents. Le juge parle lui de sérénité. Un vrai dialogue de sourds s’instaure. Le brouhaha de l’arrière-salle pousse Hellali à appeler les policiers à plus de fermeté dans le maintien de l’ordre.
«Aidez-moi, merci», avait-il lancé en direction du nombre effarant de policiers présents dans la salle d’audience. Maître Rihioui reprend la parole.
Madame Oultache, impatiente, effarouchée, se lève et suit les débats debout. A un moment donné, elle craint une remarque des policiers lesquels, par galanterie et politesse, ne dérangent pas cette dame si digne qu’elle a préféré suivre debout…
Le bâtonnier Silini, tout comme Maître Douane, revient à la charge. On cite les arrêts de la Cour suprême, on brandit le Code de procédure pénale. Tout est bon et utilisé pour retenir l’attention de la chambre correctionnelle. Maître Boudjemaâ Raham est solidaire de tout ce que ses collègues balancent.
Maître Dendani Amel se mêle à la… mêlée. Elle explique les déboires vécus durant l’instruction. Hellali décide une petite mise en examen des demandes des défenseurs. A ce moment-là, apparaît sous son mignon minois Maître Ahmed Benantar, venu aux nouvelles.
La tension monte. Seul l’avocat de la Dgsn est muet. Il attend, assis près de Maître Bekkat et Maître Fatiha Sahraoui qui avait, auparavant, dit toute son amertume devant tant de rigidité et d’entêtement de cette justice qui agace plus qu’elle ne réjouit en respectant les parties et surtout en obéissant à la loi, à la seule loi.
Ça chauffe sur et dans le périmètre des avocats qui sont décidés à ce que le trio de juges Hellali, Samia-Bouachioune et Hammadouch soient à la hauteur de leur réputation de magistrats courageux.
Pour Maître Houcine Bouchina pourtant discret, il n’est pas question que la parodie de Sidi M’hamed se répète. Maître M.F. Ksentini est plus que déçu: «Bon sang! avec un minimum de courage et d’audace, nous pourrions aider la cour à aller vers la seule vérité.»
Maître Nacéra Ouali ne craint personne et rien. Ce sera la demande de la défense ou le retrait pur et simple.
Maître Tayeb Belarif, Maître Tayeb Bouitaoune et Maître Miloud Brahimi pensent qu’ils ne lâcheront pas le morceau. Maître Belarif, sans sourire, ni sourciller, balance au trio de magistrats: «Il y a rétention de document officiel. Il y a même soustraction du dossier.»
L’autre Tayeb, Hellali, le président s’empresse de rétorquer que ce document n’existe pas dans le dossier. Et Maître Belarif que Maître Karim Douane réjouit, siffle: «Justement, parce qu’il y a eu soustraction de ce feuillet d’où jaillira la vérité et l’annulation des procédures.»
Assise, la face livide, Mme Djaïder a peur du renvoi.
Pour elle, le renvoi signifie une autre douloureuse attente. Dans le box, Toufik Sator a toujours la mine jaune-citron. Il jaunit de désespoir. Cela va faire une année qu’il se demande ce qu’il fait avec le statut de détenu. Curieusement, Oultache tient le coup grâce aux sourires de son épouse et ses deux filles même si Naïra, la cadette est «out». Elle aussi ne cesse de se poser des questions autour des malheurs qui les frappent outre son papa Chouaïeb, Toufik est détenu. Sa soeur est sans mari et sa maman porte le fardeau des familles.
Dans le périmètre de la barre, Maître Mouloudji cause avec Maître Raham qui suit avec beaucoup d’intérêt les exclamations de Maître Abdelhamid Rihioui et la brève question de Mostefa Bouchachi qui veut lui aussi que le «droit de la défense reste intact, sauf, loin de tout piétinement».
Yahiaoui, Daâs, Antri Bouzar, Djamila L. et tous les autres prévenus comme Djaïder, trouvent un moment pour saluer leurs proches dans un brouhaha indescriptible. L’essentiel étant que chaque partie tente de tirer la couverture à soi! Mais, ce sera bientôt la fin de cette journée à bruits.
Et lorsque Hellali eut fini de dicter au greffier le retrait du collectif des avocats sauf celui de la Dgsn qui a répondu qu’il n’avait aucune raison de se solidariser avec ses confrères constitués en faveur des prévenus, il y eut un brouhaha vite dissipé par la voix neutre du juge qui s’adressa aux détenus en commençant par Oultache.
«Chouaïeb Oultache, vos avocats viennent de se retirer. Voulez-vous être entendu malgré tout ou vous voulez constituer d’autres défenseurs et là, le report est nécessaire?», murmure le président qui a pour toute réponse de la part de l’ex-chef de la Sûreté aérienne de la Direction générale de la Sûreté nationale des propos prononcés avec un large sourire certes, mais un regard gris «souillé» d’amertume et de gros dommages moraux qu’il a peine à cacher:
– «Non, Monsieur le président, je suis solidaire avec mes conseils, et si vous décidiez malgré tout de m’entendre, je serais «sourd et muet», pas sourd-muet!»
Un à un, Hellali passe en revue tous les prévenus. Rien à faire. Ce sera leurs avocats ou personne!
C’est alors que le magistrat qui jette un oeil amical en direction de Zaâtout, le plus compétent des adjoints de Belkacem Zermati, le procureur général, dicte au greffier, soulagé, les causes du renvoi et la date: 19 janvier 2012!
La salle sera vite évacuée. Les détenus d’abord, encadrés fortement et solidement. Visiblement, on ne veut pas de surprise: on n’a pas peur de Oultache mais on a peur pour lui, pour sa vie! Les parents et amis le sentent. Ils le disent. Ils oublient pour un instant ce qu’ils sentent et ressentent. Ils causent beaucoup plus autour du rapport de la Dgsn et du témoin-clé que Maître Bouchachi et Maître Douane ont vivement réclamé avec le renfort de leur bâtonnier Maître Abdelmadjid Silini qui a été le «meneur» de la troupe au front, portant haut l’étendard du droit à la défense.
En face, au bâtonnat, on vote pour le représentant algérien au sein de l’Union internationale des avocats dont c’était le second tour.