Torchère en pleine ville
Depuis la découverte du pétrole en 1956, le statut administratif de la ville s’est transformé à chaque génération.
Le 10 décembre 2014 la presse nationale a évoqué les manifestations de 300 jeunes bloquant l’emblématique base de vie du 24-Février 1971. Cette base-vie, comprenant les divisions régionales de forage et d’exploration ainsi que les sièges des compagnies étrangères associées à Sonatrach, se trouve à l’entrée de la ville de Hassi Messaoud et abrite les centres névralgiques de décision des compagnies pétrolières. Après avoir été évacués des lieux par les forces de police alors qu’ils voulaient tenir un sit-in permanent, les manifestants ont exigé des autorités locales qu’elles règlent dans un délai d’une semaine leur problème de mal-vie au moyen de la levée du gel des constructions en vigueur à Hassi Messaoud en vertu du décret exécutif n°05-127 du 24 avril 2005. Ce décret déclare la région de Hassi Messaoud «zone à risques majeurs» et porte transfert du siège du chef-lieu de la commune au lieudit Oued El Meraâ.
Le droit légitime
Le chef de daïra a reçu les représentants des manifestants qui demandent, par ailleurs, la constitution d’une commission interministérielle avec la participation d’un représentant personnel de M.le Premier ministre ainsi que des délégués des ministères chargés de l’Intérieur, de l’Energie, de l’Emploi et de l’Habitat ayant toutes les prérogatives pour prendre les décisions sur place.
Cette crise est une manifestation supplémentaire des ressentiments de la population de Hassi Messaoud que j’ai déjà constatés en janvier 2014 lors de ma visite sur place.
Les habitants des 13 quartiers de la ville ont de nouveau exprimé leur mécontentement face à une situation de paralysie urbaine.
Toute construction, réalisation ou investissement à caractère industriel, commercial, touristique, agricole ou résidentiel qui ne serait pas directement liée à l’industrie des hydrocarbures serait gelée du fait du décret sur les risques majeurs. Plus de 80.000 personnes seraient concernées par cette réglementation et la ville s’enfonce d’année en année dans une situation de précarité croissante. Les populations revendiquent «le droit légitime à une vie décente dans une ville qui les a vu grandir, un environnement propre et agréable et avant tout un travail et un logement».
La présence du chef de daïra et des délégués des 13 quartiers de Hassi Messaoud atteste de la gravité du problème communautaire à régler. Il ne s’agit pas de manipulation politique ou de désinformation. Que la population affirme son droit à un cadre urbain adapté est tout à fait naturel et normal compte tenu en particulier des rigueurs climatiques ambiantes.
Cependant, ce que demandent les manifestants c’est-à-dire la levée de la réglementation sur les risques majeurs reviendrait à sacrifier le moyen terme pour répondre à l’urgence.
Il faut gérer l’urgence sans attendre, mais on ne peut pas ignorer la vision à long terme à la fois pour la ville nouvelle et pour le complexe industriel. Cette vision a le mérite de corriger une situation chaotique qui s’est développée sur le poumon énergétique national en prévoyant une nouvelle articulation entre la composante centrée sur la production industrielle et celle assurant en toute sécurité la vie collective et urbaine.
De ce point de vue, le décret sur les risques majeurs trouve sa pleine justification. C’est en effet une réglementation permettant de mettre en place une vision saine et viable à la fois de la composante urbaine et de la composante industrielle de Hassi Messaoud.
La ville actuelle de Hassi Messaoud est l’expression manifeste de négociations jamais résolues entre l’exploitation des ressources naturelles, la planification du territoire et les impératifs sécuritaires. L’histoire de la ville est une succession de visions contradictoires sur son statut et son organisation.
Depuis la découverte du pétrole en 1956, le statut administratif de la ville s’est transformé à chaque génération dans le but de tenter de concilier les impératifs industriels et les impératifs urbains.
Jusqu’en 1962, la ville bénéficiait d’un statut d’exception et était gérée par les compagnies pétrolières SN Repal (Société nationale de recherches de pétrole en Algérie) et Cfpa (Compagnie française des pétroles – Algérie). A l’indépendance, la ville prend le statut de Centre industriel saharien (CIS) dont la gestion est assurée par Sonatrach.
En 1984, avec les projets nationaux visant à sédentariser les populations nomades, la ville se développe et acquiert le statut de commune. La ville s’étend au cours des décennies suivantes et en particulier durant la décennie noire quand de nombreux arrivants s’y installent à la recherche d’emplois et de sécurité. En 2005, l’Etat prend finalement la décision d’édifier la nouvelle ville de Hassi Messaoud. Cette décision est formalisée par l’adoption du décret exécutif N°527 du 24 avril 2005 déclarant Hassi Messaoud «zone à risques majeurs».
L’Etat a décidé par cette loi de mettre fin au chaos urbain où s’entremêlaient de manière anarchique zones industrielles, bases-vie et quartiers urbains. C’est dans ces conditions que fut lancé le projet de la construction de la ville nouvelle de Hassi Messaoud qui a pour légitime ambition d’héberger les populations dans un environnement sain et de prévenir les catastrophes majeures pouvant toucher les citoyens et partenaires étrangers de par leur proximité aux sites industriels.
La nouvelle ville
C’est le non-respect des délais de réalisation du projet de la nouvelle ville de Hassi Messaoud qui a entraîné les effets préjudiciables aujourd’hui. La nouvelle ville tarde à voir le jour puisque seules les plantations de zones vertes ont été réalisées. Le glissement de calendrier rend la situation difficile. Ne pas prendre des mesures de mitigation serait une injustice envers la population qui souffre de la paralysie. Mais annuler la loi serait renoncer à la vision à moyen terme qui promettait à cette même population une ville conviviale ne mettant plus les vies en péril, ce qui serait également une injustice plus grave encore. Dans cette situation, il ne s’agit pas de jeter la pierre à telle ou telle institution mais d’envisager la solution la moins mauvaise qui règle l’urgence sans compromettre la vision d’ensemble. Il faut en effet nommer une commission incluant aussi bien les collectivités locales que les différents acteurs et représentants locaux afin d’étudier les moyens de mettre en place des structures temporaires, modulaires ou en préfabriqués qui puissent répondre aux besoins de structures scolaires, médicales, commerciales et résidentielles tout en conservant les dispositions du décret sur les risques majeurs. Une deuxième commission serait chargée de l’adaptation de la perspective à moyen terme. Elle devrait étudier notamment, le calendrier et les modalités du transfert de la ville actuelle vers la ville nouvelle avec la nécessité pour les acteurs de prendre des engagements fermes en termes de délais.
Rassurer la population
Le transfert de la cité est une question difficile car il n’y a pas réellement d’exemple similaire qui puisse servir de précédent. Préparer une démarche qui sera la moins traumatisante possible devrait mettre l’accent sur les mesures incitatives rehaussant l’attractivité de la ville nouvelle. Il faudra aborder au plus tôt ces questions pour permettre leur gestion de manière optimale en évitant autant que faire se peut la contrainte.
C’est cette vision d’ensemble de l’urgence et du moyen terme qui sera de nature à rassurer la population et à lui donner le sentiment d’appropriation d’une démarche qui s’avèrera bénéfique pour elle et qui l’aurait déjà été, n’étaient-ce les retards intervenus dans la mise en oeuvre de la ville nouvelle.
(*) Professeur d’architecture et d’urbanisme université de Michigan (Etats-Unis)