La Chine a-t-elle exercé des pressions sur l’Algérie afin que celle-ci s’abstienne de participer vendredi 10 décembre à Stockholm, Suède, à la remise du prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiabo ? Plusieurs agences de presse ont annoncés mardi 7 décembre que 19 pays dont la Tunisie, l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran, le Venezuela, l’Egypte, le Maroc, se sont abstenus de leur présence à cette cérémonie. L’Algérie n’a pas encore annoncé sa décision.
DNA a tenté d’entrer à maintes reprises d’entrer en contact, mardi 7 décembre, avec le ministère algérien des Affaires étrangères pour obtenir confirmation sur la participation ou non de l’Algérie à cet événement.
Toutefois, nos appels sont restés vains. La journée du mardi 7 décembre est décrétée jour férié en Algérie pour cause de la fête du Mawlid qui correspond à la naissance du Prophète Mohamed. Toujours est-il que l’Algérie et le Sri Lanka sont les seuls pays, à l’heure actuelle, à avoir gardé le silence sur cette affaire. Dix-neuf pays, au total, ont officiellement décliné l’invitation du Comité du Prix Nobel pour la cérémonie de remise du Nobel de la paix.
L’appel au boycottage lancé par la Chine, qui a entamé son lobbying diplomatique avant même l’annonce officielle du lauréat, a été efficace. Autant que la menace de « rétorsions » commerciales.
Ancienne figure de proue du mouvement pro-démocratique de Tiananmen en 1989, Liu Xiaobo a été condamné, le 25 décembre 2009, à 11 années de prison pour « subversion du pouvoir de l’Etat », après avoir participé à la rédaction de la Charte 08, un manifeste qui réclame l’ouverture et la démocratisation du régime politique chinois. « Liu Xiaobo est un criminel condamné par le système judiciaire chinois parce qu’il a enfreint les lois chinoises », a tenu à rappeler la Chine dans un communiqué.
Ni oui, ni non. Le silence est d’or- diplomatique s’entend. Telle est, visiblement, la position de l’Algérie, qui n’a toujours pas répondu à l’invitation du comité du prix Nobel pour la cérémonie officielle de remise du prix Nobel de la paix au Chinois Liu Xiaobo, 54 ans. Une attribution qualifiée d’ « obscène » par les autorités chinoises qui ont condamné l’homme, qualifié de dangereux dissident, à une peine de 11 ans de prison en 2009.
C’est que le Nobel a ses raisons que la diplomatie et les gros contrats ignorent. Qualifié depuis une décennie de nouvel eldorado chinois, l’Algérie n’aucune envie de froisser l’un de ses principaux partenaires économiques. Quitte à s’asseoir sur les principes universels du Nobel. Alors que des échanges commerciaux entre les deux pays étaient insignifiants à la fin des années 1990, la Chine est devenue aujourd’hui le deuxième fournisseur de l’Algérie avec 12 parts de marché, juste derrière la France. La Chine compte plus de 20 000 ressortissants en Algérie sur les 30 000 étrangers recensés en Algérie.
Hors de question, en effet, de remettre en cause les milliards d’euros en jeu. Programme du million de logements, projets de lignes ferroviaires, une autoroute est-ouest qualifiée de chantier du siècle, barrages hydrocarbures…les entreprises chinoises se sont taillées la part du lion sur les juteux marchés publics qui se multiplient en Algérie depuis le début des années 2000.
En 2006, le groupement CITIC-CRCC s’est ainsi vu confier la construction de près de 600 km d’autoroute. Montant du contrat : 5,2 milliards de dollars. Qui se sont gonflés d’une rallonge de 650 millions de dollars après que le groupement chinois a « proposé en mars 2007 une autre solution (du bitume modifié, ndlr) pour la chaussée que celle prévue par le cahier des charges », notait l’économiste Abderrahmane Mebtoul en août 2010.
Un autre groupement chinois, CGC-SIPSC, a remporté en 2007 la réalisation d’un réseau de transfert des eaux souterraines, qui court sur 750 km d’In Salah à Tamanrasset, dans le Sahara algérien, pour 2 milliards de dollars. De son côté, CSCEC a multiplié les contrats de construction de logements. Dans le ferroviaire, CCECC et CRG Limited ont décroché plusieurs marchés pour de nouvelles lignes de chemin de fer dans les Hauts-Plateaux.
Reste que nombre de soupçons de malversations ont émaillé l’octroi de ces marchés, conduisant à l’annulation de certains, à l’instar des précités. En mai dernier, le consortium sino-algérien CRG-Infrarail s’est ainsi vu écarté au profit d’un groupement hispano-algérien. Fin octobre, ce sont deux gros contrats attribués à CCECC qui ont été annulés, celui-ci ne conservant que la réalisation de la ligne entre Saida et Tiaret. Et plusieurs autres dossiers, portés en justice, sont toujours à l’étude. Par ailleurs, des entreprises chinoises, chargées de la réalisation du projet de l’autoroute seraient impliquées dans des affaires de malversations présumées dans lesquelles sont impliquées de hautes personnalités algérienne. Plusieurs cadres du ministère algérien des Travaux publics, en charge de ce projet, ainsi que des personnes civiles et militaires font actuellement l’objet de poursuites judiciaires dans le cadre de ce scandale.
Début 2010, la Chine chiffrait à quelque 900 millions de dollars ses investissements en Algérie. Rapportés aux milliards engrangés grâce à la dépense publique par les entreprises chinoises, le montant fait grincer des dents. « Les Chinois ont très peu investi en Algérie, reconnaît Abderrahmane Mebtoul. Ils ont contribué à la réalisation d’infrastructures, ce qui n’est pas pareil ». Et d’ajouter : « Les Chinois investissent beaucoup plus au Soudan et en Angola. »
Autre reproche formulé à l’encontre de l’omniprésence des entreprises chinoises en Algérie : le transfert de savoir-faire, inexistant. « Les Chinois viennent, prennent les contrats, puis repartent », souligne, un brin amer, un chef d’entreprise. Les autorités algériennes, qui n’ont de cesse d’exiger un transfert de savoir-faire de la part des entreprises étrangères, notamment européennes, présentes en Algérie, semblent se montrer bien moins sourcilleuses à l’endroit des Chinois.
Sur fonds de milliards d’euros ainsi dispensés, le ballet de courtoisie diplomatique se fait d’ailleurs réciproque. Ainsi la Chine n’a-t-elle pas pipé mot, en 2009, à l’annonce des dernières mesures régissant les investissements étrangers en Algérie, tandis que l’Union européenne, par ses protestations, n’a fait que se mettre à dos davantage encore les autorités algériennes.
Si la décision des autorités algériennes de boycotter la cérémonie du Nobel devait se confirmer, elle ne pourrait être que l’aboutissement de pressions exercées sur elle de la part du gouvernement chinois. Sinon, on ne comprendrait pour quelle raison l’Algérie, qui postulait à un prix Nobel en faveur du président Abdelaziz Bouteflika, serait absent à cette grande cérémonie.