Privée de son unique carré de verdure, une cité algéroise se révolte (+vidéo)

Privée de son unique carré de verdure, une cité algéroise se révolte (+vidéo)

À Alger, les habitants de la cité du Bois des Pins se sont confrontés aux forces de police pour empêcher la destruction de la forêt du quartier par les autorités de la ville. En vain : d’ici 18 mois, ce carré de verdure devrait être remplacé par un parking.

C’est en mai dernier que la décision a été prise par la municipalité d’Hydra, le quartier résidentiel qui abrite la cité populaire du Bois des Pins. Le projet de construction de ce nouveau parking nécessitait de raser les 11 000 m2 de forêt, unique poumon du quartier.

La semaine dernière, et durant plusieurs jours, les riverains se sont révoltés contre cette décision jugée arbitraire. Ils dénoncent notamment un projet non conforme aux lois d’urbanisme. Malgré cette opposition, l’intégralité du Jardin des Pins a été rasé le 10 juillet, provoquant ainsi de violentes émeutes. Plusieurs riverains ont été brutalisés par les forces de police qui ont également procédé à des arrestations. Le comité de quartier se bat désormais pour récupérer le terrain.

“Les autorités n’imaginaient pas que les Algériens puissent se révolter pour sauvegarder des arbres”

Abdelghanni Mhenni, 61 ans, est responsable du comité de quartier du Bois des Pins.

Cette affaire a commencé au début du mois de mai lorsqu’une équipe est venue faire des relevés topographiques dans la forêt. C’est là qu’on a appris que la mairie projetait de détruire la forêt du Bois des Pins pour construire à la place un complexe de 12 étages. Nous avons été à la fois surpris et en colère de ne pas avoir été tenus au courant.

La procédure légale qui doit précéder ce genre de projet a été totalement bafouée. Il n’y a pas eu d’enquête de commodo et incommodo auprès de la population [enquête administrative dont le but est d’étudier les avantages et inconvénients d’un projet ou d’une opération pour le public, ndlr]. Nous n’avons pas non plus eu connaissance d’un permis de lotir qui doit délimiter le terrain à construire et la nature du projet. Par ailleurs, il n’y a eu aucun affichage public portant le numéro du projet, la durée des travaux, les noms des organismes qui les ont commandé et qui les exécuteront ni celui de l’organisme qui a délivré le permis de construire. Ce sont là les lois sur l’urbanisme auquel tout projet de construction doit se conformer en Algérie, exception faite pour les édifices de défense nationale. De plus, Alger est une zone sismique et notre commune est placée en zone orange. Est-il raisonnable d’y construire un édifice de 12 étages sans qu’une étude sérieuse ne semble avoir été engagée et alors que l’édifice le plus élevé est de 9 étages ?

La cité du Bois des Pins, qui compte 4 500 habitants, est la plus peuplée du quartier d’Hydra qui compte plus de 35 000 habitants.

“Nous avions rassemblé près de 4 500 signatures auprès des habitants de la cité et des riverains d’Hydra”

Pendant la première moitié du mois de mai, les équipes topographiques sont venues à plusieurs reprises au Bois des Pins et, à chaque fois, la population de la cité les chassait. Le 16 mai, nous avons fondé un comité de quartier ainsi qu’un comité de sages dont la mission est de dialoguer avec les autorités. Nous avons rassemblé près de 4 500 signatures auprès des habitants de la cité et des riverains d’Hydra.

Durant près de deux mois, nous avons multiplié les démarches auprès de la mairie d’Hydra et de la wilaya d’Alger [la plus importante institution administrative régionale en Algérie]. Nous avons contacté le maire d’Hydra, la waly d’Alger et même le ministre de l’Environnement. Nous avons obtenu de vagues promesses qui n’ont jamais été accompagnées d’actes ou de prises de position officielle [FRANCE 24 a contacté la mairie d’Hydra, la wilaya d’Alger ainsi que la Direction des travaux publics, aucun responsable n’a accepté de nous parler].

Les premières émeutes ont éclaté le 7 juillet. La police était alors venue en grand nombre pour protéger les ouvriers venus ériger des barrières métalliques autour de la forêt. On a réussi à calmer les jeunes durant la journée, mais la nuit, ça a explosé. Les jeunes sont sortis dans la rue et ont affronté les forces de police.

Nous avons ensuite eu deux jours de calme relatif jusqu’au dimanche 10 juillet. Ce jour-là, à 7 heures 30, nous avons été surpris par un déploiement sans précédent des forces de sécurité : près de 5 000 policiers, ramenés par des centaines de camions, ont encerclé toute la commune d’Hydra. Ils sont montés dans les terrasses et sur les toits des immeubles et se sont installés dans les cages d’escalier pour pouvoir tout surveiller et empêcher les habitants de sortir. Ils étaient munis de bombes lacrymogènes, de tasers et de flash-ball [armes à balles en caoutchouc].

Mais dès que les ouvriers sont arrivés et qu’ils ont commencé à abattre les arbres, ce fut l’affolement. Les habitants sont sortis de chez eux malgré l’interdiction de la police et de violents affrontements ont eu lieu. Il y a eu des blessés des deux côtés. Personne n’a été épargné, même les vieilles dames ont été brutalisées par la police. Une dizaine de personnes ont été arrêtées, dont moi. Nous n’avons été libérés que dans l’après-midi de mardi et nous sommes convoqués pour comparaître devant le tribunal d’Alger le 6 octobre pour ‘atteinte à la sécurité publique et aux biens de l’Etat’.

“La loi algérienne punit de 10 ans de prison tout individu qui arrache un arbre sans autorisation”

Les autorités sont arrivées à leurs fins en rasant quasiment tous les arbres de la forêt dont certains étaient centenaires. Je crois que les responsables n’imaginaient pas que les Algériens puissent se révolter pour sauvegarder des arbres. Il n’y a jamais eu de manifestations chez nous, pas même lors de la hausse des prix en janvier dernier, alors que nous avons aussi des problèmes de logement et de chômage. Nous n’avons jamais demandé à ce que ce terrain soit transformé en lotissements et nous n’avions pas besoin d’un parking (il y en a déjà un à 50 mètres de là). Tout ce que nous voulions, c’était préserver le poumon de notre cité. Nous continuerons d’ailleurs à nous mobiliser et on espére récupérer ce terrain et replanter des arbres.

Des habitants des autres quartiers sont venus nous voir quand ils ont appris ce qui s’est passé. Si la mobilisation continue et que de nouvelles émeutes éclatent, c’est tout Alger qui se soulèvera car le malaise est général et tout le monde sait que la corruption est au rendez-vous dans ce genre de projet. Ironie du sort, la loi algérienne punit de 10 ans de prison tout individu qui arrache un arbre sans autorisation.”

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Sarra Grira