Les parents de prisonniers incarcérés loin de leur wilaya d’origine endurent une autre peine.
Etre chômeur en Algérie, c’est ressentir avec beaucoup de douleur et de souffrance le fait qu’on soit rejeté par la société. Y a-t-il plus dur que ça? Non! répond-on. Seulement, la réponse peut être oui, quand il y a plus amer que le fait d’être un chômeur avec tous les ressentiments que cela engendre. Et pour cause, être prisonnier, c’est multiplier cette affliction, cette amertume et ce ressentiment. Car un prisonnier est après tout un chômeur; plus la privation terrible de sa liberté.
Et quand on est doublement condamné – pas au sens juridique du terme, mais dans le sens où on est condamné à purger une peine et éloigné de sa wilaya d’origine – la peine devient plus lourde. Et c’est là que s’exacerbe le calvaire de ceux qui, parmi nos parents et nos amis, veulent encore nous rendre visite dans nos geôles.
Pour comprendre la difficulté d’une telle situation, il suffit, à juste titre, de retourner dans tous les sens les chansons des chanteurs algériens engagés et qui en ont fait la triste expérience, que soit à Berrouaguia ou à la sinistre prison de Tazoult, comme Aït Menguellet et Ferhat Mhenni où ils dénoncent justement la souffrance dans ces centres de détention. En plus des conditions inhumaines dans lesquelles ils évoluent, les prisonniers éloignés de leur wilaya souffrent de l’isolement et leurs parents vivent le calvaire à chaque visite. Les cas sont certainement nombreux et on peut retrouver les prisonniers ayant subi cette «double peine» dans les différents centres pénitenciaires répartis à travers les wilayas du pays.
Conscients du calvaire de leurs parents et proches, certains détenus n’hésitent pas à leur demander de ne pas venir leur rendre visite pour leur épargner les tribulations et les voyages coûteux et interminables.
Pour s’en rendre compte, imaginons la peine d’un père habitant Tizi Ouzou et ayant un fils incarcéré à Batna, ou une mère résidant à Tamanrasset et dont le fils croupit dans une geôle à Alger. Le tourment commence au stade de l’imagination. Le calvaire devient un cauchemar et «ses vérités nous agressent à chaque instant», pour paraphraser feu Matoub Lounès qui a beaucoup chanter l’enfer de la vie carcérale.
12 prisons en 2 ans
Le cas d’une dame dont le mari est condamné à deux ans de prison ferme et qui a fait le tour de 12 prisons durant cette détention, est significatif à plus d’un titre. Les transferts d’une prison à l’autre ont fait que l’épouse qui le suivait, ne pouvait se sentir autrement, outre les autres peines, qu’à faire du «tourisme» carcéral.
En effet, à chaque fois que son mari est déplacé, c’est le stress. Chaque visite est, de ce fait, payante et plus chère. Transport, bouffe et si la prison est à plus de 300 kilomètres, il faudrait aussi penser au gîte. Dans ce cas, la souffrance est double, car il faut dépenser autant d’argent que d’énergie pour tenir le coup. Le tiers du Salaire national minimum garanti (Snmg), voire plus pour une seule visite. Si on applique, à titre d’exemple, cela à un parent de Béjaïa qui a un fils incarcéré à Oran, il dépenserait environ 6000 dinars (3000 dinars pour le transport aller et retour, 1000 dinars pour la restauration et 2000 dinars pour la chambre d’hôtel).
Cette situation double la peine des prisonniers qui se voient de moins en moins visités par leurs parents donc, de plus en plus abandonnés à leur sort.
Le cas d’une autre dame de la wilaya de Blida, dont le fils est emprisonné à El Harrach est plus que frappant. Rencontrée à l’entrée de cette prison «célèbre», (plusieurs livres ont été écrits dans ses geôles), cette dame d’une cinquantaine d’années environ, s’est plainte de sa situation. Retenant péniblement ses larmes, elle nous a révélé qu’elle n’a pas vu son fils depuis 12 jours à cause, justement, de cet éloignement et de ses moyens limités.
«Je souffre, il y a 12 jours que je n’ai pas vu mon fils et aujourd’hui que je suis ici pour le voir, pour lui remettre ce couchage, ils ne veulent pas me laisser passer car il faut au préalable une permission», a-t-elle dit très peinée. Impliqué dans une affaire de drogue, son fils âgé de 25 ans est placé sous mandat de dépôt en attendant son procès.
«Ce n’est pas évident de venir souvent de Blida à El Harrach, il y a d’abord le problème de transport, la distance et il faut beaucoup d’argent à chaque visite», a-t-elle ajouté non sans amertume. Elle nous parlait, mais l’esprit préoccupé, il lui faudra une connaissance pour au moins lui confier le linge de rechange de son fils. Elle a pris son téléphone pour chercher quelqu’un qui puisse lui rendre ce service. «C’est ça notre pays, il faut toujours une connaissance ou un pot-de-vin pour avoir nos droits», déplore-t-elle.
Karim AIMEUR