Face au manque de moyens matériels, le professeur M’hamed Afiane, chef du service de radiothérapie au Centre Pierre et Marie Curie (CPMC) a qualifié jeudi à Alger la prise en charge des cancéreux de «drame».
Les capacités actuelles ne permettent pas de prendre en charge tous les cancéreux orientés vers le service de radiothérapie du CPMC qui dispose de trois appareils, a-t-il déploré, en marge de la 6e journée d’oncopsychologie, sous le thème «Qualité de vie et cancer». Malgré la mise en marche d’un appareil supplémentaire en 2012, les capacités du service demeurent en deçà de la demande exprimée.
Bien que le service fonctionne à raison de 12 à 13 heures par jour, «nous ne pouvons pas aller au-delà des capacités des appareils», a-t-il soutenu, poursuivant que son service peut, théoriquement, prendre en charge entre 1 500 et 2 000 malades /an alors que le nombre de malades traités atteint le double, sans pour autant pouvoir soigner l’ensemble des cancéreux orientés vers ce service. Il insistera sur «l’urgence de lancer les nouveaux centres de lutte contre le cancer à travers le pays car il est inadmissible qu’un malade se déplace à 500 km, voire plus, pour se soigner».
Le lancement des nouveaux centres est urgent
La structure du CPMC ne permet plus d’accueillir de nouveaux appareils de radiothérapie. Il a annoncé, par ailleurs, que deux nouveaux centres privés seront lancés à Tizi Ouzou (2014) et Constantine (juillet prochain), en plus du centre créé à Blida l’an dernier. La saturation du CPMC est mal vécue par les malades et le corps soignant, en même temps. «Nous vivons mal cette situation.
Quelle image peut-on avoir de nous-mêmes devant notre impuissance de soigner des malades en raison du manque de moyens matériels», a regretté le professeur, reconnaissant que «les délais pour obtenir un rendez-vous en radiothérapie sont trop lents et dépassent une année». Tout en prônant des formations pratiques pour les physiciens afin d’améliorer leurs qualifications, le Pr a estimé que les capacités humaines sont suffisantes et qu’il est temps de décentraliser la prise en charge des cancéreux à travers le lancement rapide de nouveaux centres.
Ces derniers doivent être dotés de tous les moyens matériels et humains nécessaires. Selon lui, personne n’est en mesure à présent de définir le nombre exact de malades en attente d’un traitement en radiothérapie. Depuis longtemps, le traitement du cancer est perçu sous l’angle quantitatif tandis que l’aspect qualitatif des soins n’est pris en considération que depuis peu. «Nous ne parlons pas encore de qualité de soins», a-t-il reconnu, réitérant l’appel des praticiens, qui réclament la décentralisation des soins et la disponibilité des traitements.
Souffrir moins avec l’aide d’un psychologue
Pour sa part, Zina Fettouchi Oukkal, oncopsychologue au CPMC, a indiqué que face à l’important manque de moyens matériels et la hausse du nombre de malades, même les professionnels de la santé sont menacés de stress et de troubles psychologiques car ils se voient impuissants à soigner leurs malades. Quant à la prise en charge psychologique des cancéreux, elle a estimé qu’elle est «sous évaluée».
Plusieurs psychologues intervenant à la rencontre ont réitéré leur appel pour la valorisation de la spécialité de l’oncopsychologue dans le milieu hospitalier et pour la création d’une structure spécialisée au niveau du ministère de la Santé. Tout en plaidant pour la création de la Société algérienne d’oncopsychologie, qui active officieusement depuis 20 ans, les psychologues ont plaidé pour l’amélioration de la qualité de vie des patients afin de diminuer leurs souffrances, leur éviter des troubles psychologiques et psychiatriques et leur faciliter une insertion familiale et sociale. Les psychologues peuvent apporter aussi un soutien précieux aux parents des malades surtout ceux des enfants malades.
Les malades pris en otages
Les psychologues tentent également de répondre aux besoins psycho-sociaux des malades dont certains sont dépourvus d’une couverture sociale, a-t-elle noté. Cependant, Mme Hessas Boumghar, psychologue, a regretté que «les psychologues ne puissent pas compenser les défaillances du système de santé qui se situent à un autre niveau». « Il faut mettre les moyens pour prendre en charge les malades sinon arrêtons de leur mentir », a-t-elle insisté, irritée de cette situation qui dure depuis des années. Elle a assimilé la politique actuelle de santé à une « non assistance à personne en danger », surtout que les rendez-vous de soins sont généralement dépassés de loin.
Les familles des malades sont également livrées à elles mêmes, a-t-elle dénoncé considérant que l’accompagnement des malades en fin de vie dans certains services comme le service de l’hématologie du CHU Mustapha Bacha est « lamentable ». L’accompagnement psychologique des malades reste « une mission difficile » à accomplir devant les flagrantes insuffisances du système de la santé, a-t-elle encore regretté. Malgré les efforts consentis par l’Etat, les patients déplorent principalement la qualité précaire des soins et de prise en charge. Selon le professeur Afiane, « quand le malade arrive au niveau de l’hôpital et on lui dit qu’on ne peut pas le guérir, que pourrait faire le psychologue ».
Karima Sebai