C’est une évidence : la consommation de la drogue en Algérie devient, depuis quelques années, un véritable problème non seulement de santé publique mais aussi de société.
Selon l’Officie national de lutte contre la drogue et la toxicomanie, l’Algérie compte plus de 300 000 consommateurs, essentiellement jeunes. Qu’il soient lycéens, étudiants, collégiens, issus d’un milieu aisé ou d’un milieu défavorisé, ils cèdent tous à la tentation. Au-delà de ce constat établi depuis déjà un moment, l’Algérie, qui était jusque-là un pays de transit seulement, est devenue un grand pays consommateur. Et les statistiques le montrent bien. En effet, nous sommes passés de 6 tonnes de cannabis saisies en 1992 à 182 tonnes en 2014. À cela, il faut ajouter les quantités de substances psychotropes, notamment le Rivotril et le Diazépam, régulièrement saisies par les services de sécurité.
Face à cette situation inquiétante, quelle est la parade pour la prise en charge des toxicomanes en Algérie et pour endiguer le phénomène ? Le pays est-il suffisamment outillé pour faire la guerre à ce fléau qui gangrène notre société et risque d’hypothéquer sérieusement l’avenir de toute une génération ?
Le carrefour du trafic
L’inondation du marché algérien par ce poison n’est pas le fruit du hasard. En 2014, 80,80% des quantités de cannabis saisies ont été enregistrées dans la région ouest du pays. Autrement dit, 105 tonnes de ce type de drogue ont été saisies aux frontières, selon un bilan de l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT). Mais il n’y a pas que l’Ouest qui est concerné par ce trafic vu la proximité avec le Maroc, premier producteur mondial de cannabis. Les narcotrafiquants ont également organisé des réseaux dans le sud du pays. C’est ainsi que 50,11% de substances psychotropes saisies en 2014 ont été enregistrées dans le désert. En plus clair, 136 691 comprimés saisis à Tamanrasset, alors que 206 639 autres ont été saisis à Ghardaïa et 128 917 comprimés à Adrar. Mais les narcotrafiquants ont tracé d’autres réseaux au centre et à l’est du pays pour mieux écouler leurs marchandises et pouvoir faire transiter de grandes quantités vers le Moyen-Orient.
Quand le marché coule à flots
La disponibilité de la drogue est un facteur aggravant de l’augmentation de la consommation ainsi que du nombre des usagers. Dans le passé, la consommation de drogue se limitait à certains quartiers fréquentés essentiellement par des marginaux.
De nos jours, la donne a changé. La drogue est présente dans tous les espaces de la cité, du village ou du douar, dans les écoles, les lycées et même l’université.
L’usage du cannabis et des psychotropes concerne toutes les couches sociales. Selon une étude réalisée conjointement par l’ONLDT et le groupe Pompidou, il ressort que le nombre de consommateurs de substances psychotropes serait près de 302 000 personnes âgées de 12 ans et plus, soit une moyenne de 1,15% de cette tranche d’âge. Le taux le plus élevé de consommation concerne la population âgée entre 20 à 39 ans qui est de l’ordre de 180 000 personnes.
Nous n’avons pas fini d’entendre parler des ravages de la drogue dans notre pays. La situation risque de s’amplifier du fait que l’Algérie est un pays situé à la croisée des chemins entre l’Afrique et l’Europe et constitue de part cette position géographique la porte de transit de tous types de trafic entre les deux rives ; et du rétrécissement du marché européen du fait que plusieurs pays envisagent de légaliser la consommation de certaines drogues.
Prise en charge pour les toxicomanes, la carence
Si les services de lutte que sont la gendarmerie, la police et la Douane sont des institutions fortes, bien organisées et dotées de moyens suffisants pour mener efficacement leurs missions de répression de trafic illicite de drogue, démanteler les filières et appréhender les trafiquants, malheureusement l’aspect le plus important de la lutte contre la drogue et la toxicomanie, à savoir la prise en charge, reste le maillon faible dans ce combat permanent.
“Il n’y a aucun centre de sevrage ou de suivi en Algérie. Toute personne, qui veut arrêter la drogue, doit passer par la psychiatrie”, constate le professeur en addictologie, Nadir Bourbon. Tout en soulignant que les services en psychiatrie ne sont pas adaptés pour la prise en charge des toxicomanes. L’addictologue insiste sur le fait que la prise en charge de cette frange de la population fait face à 3 importantes problématiques. Le premier obstacle concerne le manque de centres de sevrage, de cure et de suivi. En 2007, le gouvernement algérien avait lancé un programme pluriannuel de la mise en place d’un vaste réseau de centres de prise en charge des toxicomanes.
Il était prévu la création de centres de cure dans chaque CHU du pays, ainsi que l’ouverture de 53 centres intermédiaires de soins en addictologie (CISA).
“Un ambitieux programme est mis en place par le gouvernement algérien. Mais la réalité est autre. L’Algérie compte deux centres de cure et 30 CISA”, détail le Pr Bourbon.
Le second problème est la formation. D’après le professeur, l’Algérie n’a pas de personnel qualifié pour prendre en charge les toxicomanes. “La majorité du personnel de santé en relation avec les toxicomanes n’ont pas les outils techniques et pédagogiques pour la prise en charge. Alors, dans la plupart des cas, ils finissent par partir”, confie l’addictologue.
La 3e problématique, selon le spécialiste, est l’absence de programme national pour la prise en charge de la pathologie. “Chaque médecin travaille seul. Il n’y a aucune coordination ni échange d’expérience”, déplore-t-il.
Le praticien fait savoir que le traitement d’un toxicomane suit un long processus et un cheminement compliqué, ce qui demande d’énormes moyens humains et matériels. Le sevrage passe par plusieurs étapes. Le médecin explique : “Quant une personne est déterminée à arrêter la drogue, elle passe par plusieurs phases”, éclaire-t-il. Le professeur détaille les différentes étapes avant la guérison. Au début, le patient est en phase de précontemplation, soit le déni total et le refus d’admettre qu’il a une addiction. Vient ensuite la phase de contemplation, à ce stade de la cure, le toxicomane reconnait qu’il a un problème avec la drogue mais ne sait pas comment s’en défaire. La 3e phase est l’action. Dans cette partie, le patient commence à diminuer graduellement les doses jusqu’à l’arrêt total de la consommation. Et la dernière phase consiste en l’abstention et le maintien. Le praticien reconnaît que ce cycle n’est pas facile à suivre en Algérie, dans certains cas, faute de traitement de substitution. “Certains médicaments de substitution comme le Subitex, pour le traitement des patients addicts aux drogues dures, ne sont pas disponibles pour les thérapeutes, mais ils existent au marché noir”, se désole-t-il. Il y a lieu de noter que le traitement de substitution aux opiacés n’a pas encore été introduit en Algérie, contrairement à d’autres pays en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Europe. La loi 04-18 du 25 décembre 2004 relative à la prévention et à la répression de l’usage et du trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, que l’Algérie a promulguée, a constitué une avancée indéniable dans la qualification et le traitement de l’usager problématique de drogue en situation de dépendance, qui est passé du statut de délinquant à réprimer à celui de patient à prendre en charge et à soigner, avec tous les droits que lui confère ce statut. Des acquis importants ont été réalisés dans ce domaine tels que l’injonction thérapeutique, l’abandon des poursuites judiciaires pour les toxicomanes qui acceptent de suivre un traitement. Mais les usagers en situation de dépendance aux opiacés, même si leur nombre reste réduit par rapport aux autres addictions, ne bénéficient pas encore de tous les soins adéquats possibles et nécessaires, en raison de la non-introduction du traitement de substitution aux opiacés dans le système national de soins.
D. S