Les «petits» ont imité les «grands» et la pratique de la cooptation filiale s’est généralisée dans la société.
L’ambition affichée des réformes politiques engagées par le gouvernement est de promouvoir la citoyenneté. Les dispositions contenues dans le projet de révision de la Constitution constituent un début de solution. Cela peut répondre aux revendications des partis et des leaders de l’opposition, mais ce n’est pas pour autant la réponse qu’attend le citoyen, dont la définition du concept de citoyenneté n’est certainement pas celle des élites au pouvoir. En effet, dans le mot citoyenneté, il y a l’égalité des chances entre tous les enfants du même pays quelle qu’en soit l’origine sociale. Un Algérien né à Tamanrasset, dans une famille de nomades et un autre élevé sur les hauteurs de la capitale sont égaux en droits et en devoirs et peuvent prétendre aux mêmes postes de responsabilités à compétence égale. Et si le nombre d’opportunités sont réduites, ce devrait être un concours qui départagera l’un et l’autre. C’est le plus apte à occuper une fonction déterminée qui devrait l’exercer. Toutes les Constitutions du pays défendent ce principe, au nom de la citoyenneté et de l’égalité des chances entres les citoyens de la République. Mais la réalité du terrain est tout à fait autre. Et pour cause, en contradiction avec ce principe constitutionnel, des arrêtés ministériels, des conventions collectives et des décisions internes émanant de conseils d’administration de prestigieuses entreprises publiques, édictent des règles, à tout le moins bizarres, qui obligent l’enfant de Tamanrasset à abandonner toute ambition de postuler pour un poste, s’il se retrouve en compétition avec un autre citoyen, dont le père exerce un métier, lui ouvrant une voie «filiale» au même poste. L’on en veut pour preuve qu’au ministère des Affaires étrangères, une tradition établie veut que les enfants de diplomates et de cadres du secteur, soient prioritaires pour des bourses à l’étranger. Il est aussi inscrit noir sur blanc, dans les conventions collectives du secteur des hydrocarbures que les enfants des travailleurs disposent de postes garantis à leur majorité. Dans le cas de la bourse d’études à l’étranger, comme dans celui du poste de travail à Sonatrach, les enfants du peuple sont soumis au concours, après que tous les fils de «la boîte» aient pris leurs fonctions. Il est arrivé à Alger que deux amis d’enfance d’égal niveau et de compétence, aient des destins totalement contradictoires, pour la simple raison que le parent de l’un d’eux était employé de Sonatrach. Ce dernier se retrouve, à 30 ans, avec une voiture, de l’argent à la Cnep, un projet de mariage, tandis que le premier galère de petit boulot en petit boulot.
Quant à l’accès aux études supérieures à l’étranger et surtout aux postes plus que gratifiants à Air Algérie, dans les plus belles capitales du monde et payés en devise, c’est une pratique courante que tout le monde, dans les arcanes de l’administration centrale, connaît et admet avec une trop grande facilité. On trouve même légitime que le fils ou la fille d’un haut responsable puisse être prioritaire pour occuper les postes les mieux payés, même si au point de vue de la compétence, certains parmi ces «fils à papa», laissent à désirer.
Cette pratique de «favoritisme» n’est peut-être pas spécifique à l’Algérie. Le privilège du poste peut ouvrir pas mal de portes, que l’on soit à Alger, Paris ou Washington, mais pour le cas de l’Algérie, il y a une ligne rouge qui a été franchie aux premières années de l’indépendance, par tellement de hauts responsables que l’on en a effacé les traces. Il est des observateurs algériens et même étrangers qui estiment qu’il y a de l’abus dans la cooptation des enfants de la Nomenklatura. Une «tradition» qui a fait tache d’huile jusqu’à concerner les postes les plus banals dans l’administration et les grandes entreprises publiques. En d’autres termes, les «petits» ont imité les «grands» et la pratique s’est généralisée dans la société, créant une sorte de super-citoyens à qui la vie sourira certainement et des sous-citoyens, condamnés à cravacher dur pour réussir quelque chose. A compétence égale, voire même si les seconds sont mieux formés, ce sont les fils de… qui prennent les postes les mieux rémunérés. Cet état de fait ne relève pas du «sentiment général», mais d’une réalité établie qui donne, de fait, au concept de citoyenneté une définition à deux niveaux. La nouvelle Constitution fera sans doute avancer les choses en Algérie, mais les Algériens attendent de l’Etat un accès égalitaire aux fonctions gratifiantes, à travers la promotion effective de la «méritocratie». C’est là une condition sine qua non pour donner au pays et à la société motif à espoir.