Le « Printemps des poètes » à Tipasa : «Dame Nature» aux vers d’Hugo et de Sand

Le « Printemps des poètes » à Tipasa : «Dame Nature» aux vers d’Hugo et de Sand

Écrit par Seddiki Djamila

« Il y a longtemps que je ne suis pas venu en Algérie, je ne me souviens plus de la date, mais me voilà, aujourd’hui, ici et je suis très étonné, très touché de ce que j’ai vu. » Ce sont les propos de Michael Lonsdale, l’acteur de cinéma français, interrogé par Reporters, qui était l’invité d’honneur à la 5e édition du Printemps des poètes qui a eu lieu samedi à Tipasa.

Etonné de quoi, pourquoi, lui demandons-nous ? « Je suis étonné par la façon de recevoir ici, de la façon dont j’ai été reçu, avec beaucoup de partage, par des gens très bien, très intéressants qui vivent un dur moment de vie politique. » Concernant sa tournée poétique en Algérie, puisqu’après Alger et Tipasa, il va se rendre à Annaba, Constantine puis à Tlemcen, il dira à Reporters : « J’ai beaucoup voyagé en Tunisie et au Maroc, mais pas en Algérie, et mon arrivée ici est une découverte qui a été organisée par Patrick Scheyder le pianiste. C’est lui qui est à l’origine de ce voyage et m’a invité dans cette aventure poétique que j’apprécie beaucoup. Nous avons choisi ensemble les textes à lire », lors de ce rendez-vous poétique du printemps, organisé par l’Institut français en collaboration avec l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC). Le thème de ce cinquième rendez-vous dédié à la poésie est « Des hommes et des Jardins », ce qui explique le choix de poèmes de Victor Hugo sur la nature et le texte de Georges Sand, l’écrivaine française qui a poussé, en son temps, un grand coup de gueule pour empêcher la destruction de milliers d’hectares de la forêt de Fontainebleau. Georges Sand prit sa belle plume et écrivit pour mobiliser les grands noms de la littérature pour interpeller, à travers un pamphlet, le président de la République française qui a, aussitôt, arrêté la destruction de la forêt, dira d’emblée Michael Lonsdale en ouverture de sa lecture. Cette femme, intelligente, belle et douée, qui a eu plusieurs centres d’intérêt dans sa vie, a sauvé des centaines d’hectares d’arbres de la forêt de Fontainebleau et rendu hommage à la nature. Elle aimait les fleurs, les enfants, la nature. Cette femme excentrique, qui se déguisait en mec, a écrit plus de 40 livres et poèmes chantant la vie et la nature. Voici un extrait du jardin naturel : nouvelle lettre d’un voyageur : « N’abîmez pas les mauvaises herbes, elles sont un être complet, la passion de l’horticulteur… » Lonsdale lira, aussi, le discours d’un chef indien écrit en 1854 au gouverneur pour lui signifier que la terre est précieuse et ne peut pas être rachetée car elle « n’appartient pas à l’homme ». Pour Patrick Scheyder, le pianiste, qui, finalement, n’a pas pu accompagner musicalement la lecture, faute de piano dans le site romain -apparemment une entreprise difficile à mettre en place pour les organisateurs et ceux de l’Obec et la direction de la culture- l’idée de ce récital musical et poétique est basée sur les hommes et les jardins. Le concept imaginé « Des Hommes et des Jardins) qui, selon son initiateur, existe depuis dix ans, fait penser au mot biodiversité, c’est-à-dire que toute chose sur la surface de la terre, les hommes, les animaux et les végétaux, est liée. D’où l’idée de se produire dans les jardins, les parcs (ici, à Tipasa, le site archéologique) pour parler et défendre la nature de manière artistique. Le jardin, qui est un lieu d’entente, de rencontre et de concorde des cultures est, en fait, un prétexte pour dire que les différences sont des richesses au service de la tolérance. Autrement dit, le jardin est un lieu commun, une base de vie et d’harmonie à l’image du monastère de Tibhirine qui veut dire jardin en berbère. Lonsdale, du haut de ses 90 ans et malgré le poids de l’âge, a réussi lors du rendez de Tipasa à faire passer son message d’une voix basse, douce à la limite de l’inaudible, pour dire : « Dans ce lieu magique, plein d’universel, d’une richesse forte et très belle, quelques poèmes pour rappeler que la poésie est importante pour la civilisation. Quelque chose qui nous lie dans l’imaginaire, la sensibilité, le rêve… Parmi les onze auteurs, dira-t-il, j’ai choisi et suggéré à Patrick de petites pièces de Victor Hugo -un génie du roman et de la poésie- teintées d’une imagination forte et prenante qui sont un art et un hymne aux arbres. S’il avait connu ce lieu magique qu’est le site de Tipasa, Victor Hugo aurait été gâté ».  Alors, il a murmuré à l’assistance nombreuse et attentive, l’amour de ces deux auteurs pour la nature en parlant de contemplation, de clairières, de vallées, d’arbres dont les feuilles et les branches bruissent et font tressaillir…

Le parc archéologique s’est avéré un lieu magnifique pour célébrer Dame Nature, en plus de la journée ensoleillée ponctuée par une légère brise matinale qui ont bercé les invités amateurs de poésie, de récital musical ou de nature qui ont fait le déplacement à Tipasa pour la 5e édition du Printemps des poètes. Le récital poétique était complété par la prestation du trio algérien, composé des deux poétesses, Mouna Ayad et Fouzia Laradi, et du jeune auteur en herbe Ayoub Boularès de Koléa. Ils ont lu quelques-unes de leurs œuvres qui parlaient, pêle-mêle, de la culture sans laquelle la vie serait une nature morte, une vie égarée, de l’amour, de la douleur, de la lettre d’une mère à sa fille… déclamées aussi bien en arabe littéraire, dialectal qu’en français. La brève incursion du jeune poète en herbe de Koléa, qui a lu son poème dédié à l’amour, un thème tabou en ces temps de bigoterie, a été fort appréciée. Le récital, accompagné d’interludes musicaux joués par un jeune au guembri et une violoniste, ont constitué une jolie mixture de culture et de sensibilités multiples qui ont ajouté à la diversité et la richesse de la rencontre. Cette manifestation culturelle a été une belle offrande à la nature de l’avis de nombreuses personnes qui se sont déplacées au parc archéologique de Tipasa qui accueillait l’événement. Michael Lonsdale, l’acteur français, qui a mis à profit son séjour en Algérie pour se rendre au monastère des frères de Tibhirine à Médéa, où vivaient, en harmonie avec leurs frères musulmans, huit moines chrétiens français. Lonsdale a campé le personnage de frère Luc, le médecin du monastère, dans le dernier film « Des dieux et des Hommes » de Xavier Beauvois, inspiré de l’histoire des frères de Tibhirine assassinés par les terroristes. L’acteur est connu pour ses rôles au théâtre et au cinéma et il a, également, prêté sa voix à divers projets. La manifestation de Tipasa a été retardée de plus de deux heures en raison du passage du semi-marathon qui a bouclé la ville, laissant les invités venus d’Alger poireauter à Bou Ismaïl en attendant la fin de l’activité sportive. Dommage pour les élèves de l’école des frères Chabati de Delly Ibrahim, venus en excursion et qui, après avoir patienté deux heures, sont repartis déçus et frustrés de ne pouvoir assister à la lecture de poèmes.