Plus de cinq millions de Tunisiens auront à trancher, aujourd’hui dimanche 21 décembre 2014, sur l’identité de leur futur président de la République, le troisième dans toute l’histoire de la Tunisie depuis son indépendance, en 1956, et le premier à l’être de manière démocratique. Déjà que la tenue même de ce deuxième tour des présidentielles entre Moncef Marzouki et Béji Caïd Essebsi est en soi un événement historique et une première dans tout le monde dit arabe.
Une élection présidentielle également inédite du fait qu’elle soit organisée, non pas par le gouvernement ou le ministère de l’Intérieur mais par une structure autonome et souveraine, «l’Instance supérieure indépendante pour les élections».
Cette même instance qui a déjà eu à organiser, avec le succès que l’on sait, les élections législatives en octobre puis le premier tour des présidentielles le 23 novembre dernier. Les deux scrutins qui seront dévastateurs pour le mouvement islamiste Ennahda de Rached Ghanouchi qui a perdu, coup sur coup, la position de première force politique du pays puis celle d’un mouvement qui peut influer de manière décisive sur le cours des événements. Ce mouvement, qui a, comme c’est de tradition de tous les mouvements islamistes, tout simplement détourné la «révolution du jasmin» ayant abouti à la chute du régime Benali, en sort vaincu et considérablement affaibli.
L’exercice direct du pouvoir a levé le voile sur la véritable nature de ce mouvement : un parti islamiste au sens «médiéval» du terme qui n’a dû ravaler ses démonstrations de force et ses ambitions que grâce à une société civile tunisienne forte et progressiste. Il faut dire que, malgré tout, Bourguiba et Ben Ali ont laissé comme héritage un système éducatif sain, un statut pour la femme le plus avancé du monde arabe et une culture laïque bien ancrée dans les mœurs de nos voisins de l’Est. Ennahda reculera avant d’abdiquer carrément.
La fin tragique de leurs «frères» en Égypte balayés du pouvoir par un coup d’Etat militaire appuyé par Washington finira par donner à réfléchir à un Rached Ghanouchi au point de ne même pas se présenter aux présidentielles. Lui et son mouvement préférant appuyer, en sous-main, la candidature de leur allié dans le gouvernement de la troïka , au pouvoir depuis la chute de Ben Ali, le président du Parti du Congrès pour la République, et actuel président par intérim, Moncef Marzouki.
Un appui qui s’avérera nettement insuffisant pour résister face à la percée spectaculaire de la nouvelle force politique du pays, le parti Nidaa Tounès, de Béji Caïd Essebsi. Après avoir remporté les législatives, Nidaa Tounès, en fait une large coalition de toutes les forces politiques progressistes et laïques, a réussi à mettre aisément son candidat Béji Caïd Essebsi en pole position, à l’issue du premier tour des présidentielles. A 39, 46%, l’homme de 88 ans, ancien ministre de Bourguiba, qui a été au régime sous Ben Ali et même Premier ministre après la «révolution du jasmin», est bien parti pour triompher face à son rival, Marzouki, qui aura du mal à surmonter l’écart. A seulement 33,43%, Marzouki aura fait le plein. Cela, malgré une campagne électorale extrêmement vigoureuse et où les deux candidats ne se sont épargnés aucun coup ! La violence verbale était telle, qu’à deux reprises l’Instance indépendante a dû intervenir par souci de «préserver l’unité et la sécurité nationales».
Quand Marzouki accuse Essebsi d’être le candidat de l’ancien régime, celui-ci n’en qualifie pas moins son rival de n’être que le candidat des islamistes et des djihadistes ! Et dans un pays qui vient de subir à son tour des frappes terroristes d’ampleur ces dernières années, ce genre d’arguments fera certainement mouche.
L’intrusion brutale du mouvement terroriste Daesh dans la campagne électorale, qui vient de revendiquer les assassinats politiques qui ont bouleversé les Tunisiens en plus des menaces lancées contre le «peuple impie» et les élections, fera le reste…
K. A.