Ahmed Ouyahia s’est enfin exprimé sur la situation actuelle de l’Algérie émaillé par un bouillonnement social qui se manifeste par des grèves, sit-in et émeutes et par un activisme politique exceptionnel orienté vers des questions relatives au changement de système et à la transition démocratique.
L’homme à double casquette, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) et Premier ministre, a également lancé une allusion sur ses ambitions présidentielles pour 2014 qui les associe à une question de «mektoub».
Invité de l’émission «Hiwar Essaâ» de la Télévision nationale (A3) diffusée mercredi soir, Ahmed Ouyahia n’a pas écarté l’idée de se porter candidat à la magistrature suprême en 2014. Il était discret sur la manière avec laquelle il a levé le voile sur ses appétits présidentiels, mais il faut admettre que le sous-entendu employé en dit long sur son ambition de prendre les rênes du pays en tentant de succéder à l’actuel président de la République, Abdelaziz Bouteflika à la prochaine échéance présidentielle.
Ahmed Ouyahia a paraphrasé, en guise de réponse à une question d’un journaliste, l’ancien président français Valery Giscard d’Estaing qui avait déclaré que son accession à la présidence en 1974 était «la rencontre d’un homme avec son destin».
«Venant d’un chrétien, pareille réplique prendrait plus de sens lorsqu’elle est le fait d’un musulman », a affirmé Ouyahia pour appuyer son allusion. Ainsi, Ouyahia lie la candidature à la magistrature suprême d’un homme politique qui avait occupé le poste de chef de gouvernement de 1995 à 1998, puis de mai 2003 à mai 2006 et Premier ministre depuis novembre 2008 et d’un homme de fer qui a survécu à tous les naufrages aussi bien économiques que politiques qu’a connus l’Algérie depuis l’ère de Lyamine Zeroual, à une simple question de Mektoub.
Un coup de bluff ou tout simplement Ouyahia juge que le moment opportun est enfin arrivé ? La question aura sans aucun doute des tribunes et des débats à lui consacrer dans les jours à venir.
Mais en attendant qu’il confirme ses intentions, Ouyahia a délibérément laissé échapper cette phrase qui offre, non seulement libre-cours à la rumeur, mais aussi à la réflexion. Peut être, une façon pour lui de tâter le terrain avant de passer à l’action ? Wait and see.
«IL N’Y A PAS DE CRISE POLITIQUE EN ALGÉRIE»
Après être resté de marbre face à l’effervescence sociale qui ne cesse de se généraliser et de se manifester à travers l’observation de grèves, sit-in et parfois par l’éclatement d’émeutes et face à un activisme politique exceptionnel orienté vers des questions fondamentales relatives au changement de système et à l’impérative transition démocratique, Ahmed Ouyahia a brisé la loi de l’omerta en répondant à un bon nombre d’interrogations qui taraudent les esprits des Algériens.
À cet effet, Ahmed Ouyahia a affirmé que « l’Algérie ne vit pas, à l’heure actuelle, une crise politique mais plutôt des crises sociales qui ne nécessitent ni la dissolution du parlement ni un changement de système politique ». « En Algérie, le changement est intervenu en 1989.
Il y a plus de 30 partis politiques, une centaine de titres de presse, nous n’avons pas d’opposants politiques en prison, ni d’exilés politiques. Le développement économique profite à toutes les régions du pays, même Bordj Badji Mokhtar est devenue une petite ville «, a-t-il souligné. Donc, pour l’invité de « Hiwar Essaâ », les problèmes sociaux auxquels sont confrontés les Algériens au quotidien et les problèmes politiques sont de natures distinctes.
Pour lui, tout ce qui se trame en ce moment en Algérie en terme de grèves, tentatives de marches échouées et la multiplication des initiatives émanant de plusieurs formations et personnalités politiques ayant trait au devenir de l’Algérie, n’a rien de politique. Mais peut-on dissocier la sphère sociale de son aspect politique ? Les problèmes sociaux n’ont pas pour origine un faux diagnostique et une mauvaise solution politique ?
Par ailleurs, le premier responsable du RND a fait savoir que son parti s’opposait à ceux qui appellent à un changement de système politique en Algérie alors que le pays ne traverse, à son avis, aucune crise de nature politique.
Pour lui, le recours à une Assemblée constituante, comme le suggèrent certains partis politiques, «ne peut intervenir que dans des circonstances bien précises, comme dans les cas d’une crise politique ou d’une paralysie des institutions», a-t-il expliqué.
«Accepter l’idée d’une Assemblée constituante, et donc d’une nouvelle Constitution, reviendrait à effacer d’un trait 50 ans d’existence de l’État algérien et n’apporterait rien au pays. Après, vat- on s’entendre sur quel type d’État? islamique, laïc, républicain ? «, s’est?il interrogé avant de faire savoir qu’il est pour une une révision profonde de la Constitution et l’instauration d’un système semi-présidentiel.
«Le système parlementaire peut être viable dans 50 ans en Algérie, mais aujourd’hui il provoquera la paralysie du pays «a?t?il estimé. Il a tenu à souligner, toutefois, que certains articles de la Constitution «ne peuvent, en aucun cas, faire l’objet de révision comme ceux en relation avec la langue, la religion, l’intégrité territoriale et le caractère républicain de l’État algérien ».
DERRIÈRE LES ÉMEUTES DE JANVIER, LES BARONS DE L’INFORMEL
Revenant par ailleurs sur la crise du sucre et de l’huile qui a débouché sur l’éclatement d’émeutes à travers plusieurs villes du territoire national, le Premier ministre, après avoir reconnu l’existence d’une crise sociale dans le pays en affirmant que « le front social est en ébullition», a indiqué que les émeutes ont été préfabriquées à 60 % par les barons de l’informel, sans donner de noms, ni de précisions.
Concernant l’abandon de certaines décisions du gouvernement dont le paiement par chèque des transactions commerciales, Ahmed Ouyahia a indiqué qu’ « il s’agit de la sérénité, de la stabilité du pays et de la satisfaction des aspirations des citoyens ».
« La contrebande et l’informel, si on les combat frontalement, on risque de déstabiliser le pays. On le fait par tranches », a-t-il dit tout en mettant en évidence la puissance des tenants du commerce informel et leur grande capacité de nuisance sur la stabilité du pays. Dans le même sillage, il a dénoncé l’alliance de «la mafia financière avec les barons».
À une question sur le manque de liquidités au niveau des bureaux de poste, le Premier ministre s’est interrogé sur les raisons de ce phénomène, rappelant que «la Banque d’Algérie a augmenté en octobre dernier l’émission de billets de banque de 10 à 18 milliards de DA par jour». «Les fonds émanant des centres de chèques postaux ont quant à eux augmenté de 250%.
Où va donc cet argent», s’est il encore interrogé. Concernant la surévaluation de la devise sur le marché parallèle, il a pointé du doigt «la contrebande et le commerce illicite», précisant encore une fois que la lutte directe contre ce phénomène «pourrait menacer la stabilité du pays» préconisant d’y remédier progressivement. Toutefois, il dira que « l’État est suffisamment fort pour faire face aux barons mais pas à ses enfants et à son peuple, notamment les jeunes» et il préconise à cet égard que tout règlement doit être réfléchi.
VERS DE NOUVELLES MESURES SOCIALES
Le Premier ministre, a saisi son passage à la Télévision nationale afin d’annoncer que de nouvelles mesures à caractère social et économique seront prochainement rendues publiques, sans pour autant donner plus de précisions.
Ces mesures seront sans nul doute un prolongement de celles déjà arrêtées par le Conseil des ministres lors de sa réunion du 22 février dernier en ce qui concerne l’emploi et le logement. Par ailleurs, Ahmed Ouyahia reconnaitra toutefois, que «la machine économique n’est pas en mesure d’absorber le nombre important des demandeurs d’emploi». C’est pourquoi les efforts ont été orientés vers d’autres formules telle l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej).
Pour le logement, une série de mesures, a-t-il dit, ont été prises pour résoudre ce problème et 2 millions d’unités sont au programme au moment où des instructions ont été données pour accélérer la réalisation de logements en milieu rural, outre les mesures pour encourager l’investissement dans le secteur dont la création du Fonds national d’investissement.
Mais, cela demeure, selon lui, insuffisant malgré leur importance, la crise du logement n’a pas été résolue, a-t-il dit. « Il y a un problème de transparence dans le logement », a-t-il ajouté en substance.
Concernant les étudiants qui réclament la suppression du système LMD, le Premier ministre s’est montré catégorique : «il y a 600 000 étudiants inscrits au LMD. Comment peuton supprimer ce système ?».
Abordant la prise en charge de nouveau du tissu économique public, Ahmed Ouyahia dira que cela «n’est pas un gaspillage» car le secteur public étant le seul déployé à travers le territoire national garantissant ainsi les salaires des travailleurs.
Le secteur privé, a-t-il précisé, est encore en évolution et 90% des entreprises sont familiales. D’ailleurs, il saisi cette occasion afin de répondre aux patrons privés qui veulent bénéficier également des aides de l’État en affirmant que «si les aides sont octroyées exclusivement au secteur public c’est parce que ce dernier appartient à l’État. Si ces entreprises font des bénéfices, l’État va en bénéficier». Cependant, ajoute- il, l’État est prêt à aider le privé à condition qu’il accepte de lui ouvrir son capital.
Hamid Mohandi