Présidentielle algérienne : Ahmed Benbitour, seul contre personne

Présidentielle algérienne : Ahmed Benbitour, seul contre personne

Unique candidat déclaré à la présidentielle algérienne d’avril 2014, l’ancien chef du gouvernement Ahmed Benbitour prône une refondation en profondeur de l’État et l’instauration d’un nouveau mode de gouvernance.

Il ne se bat pas contre des moulins à vent et on ne lui connaît pas de Sancho Pança, mais l’ancien chef du gouvernement Ahmed Benbitour, 67 ans, est désormais surnommé le Don Quichotte de la vie politique algérienne. Depuis décembre 2012, il est en effet l’unique candidat déclaré à l’élection présidentielle d’avril 2014, soit dans un peu plus de six mois. Pourquoi cette singularité ? « Je n’ai pas à commenter la démarche des autres candidats potentiels pour cette échéance.

En revanche, je peux vous dire les raisons qui m’ont conduit à me déclarer il y a plus de dix mois : s’il n’y a pas de changement de système de gouvernance, une opportunité qu’offre la prochaine présidentielle, l’État algérien achèvera d’ici à 2020 son processus de déliquescence entamé depuis plus d’un quart de siècle. » Selon Benbitour, ce processus est né de l’institutionnalisation de l’ignorance et de l’inertie. En clair, la méritocratie a cédé la place à l’allégeance « au puissant du moment ».

La déliquescence est également liée à d’autres facteurs comme la généralisation de la corruption dans les institutions de la République – notamment l’administration -, les dysfonctionnements dans la prise de décision, l’émiettement au sein des différents clans au pouvoir, qui, « s’ils se connaissent, ne se reconnaissent plus », et, enfin, le retour au culte de la personnalité.

Un parrainage de 600 élus et 60 000 Algériens

Une révolution à la tunisienne ou à l’égyptienne ? La perspective serait porteuse de risques aux conséquences imprévisibles sur la stabilité du pays. Une alliance stratégique des forces politiques qui réclament le changement du système de gouvernance ? « Difficile de l’envisager quand ces forces sont dirigées par des personnes qui conjuguent le changement à la première personne du singulier, martèle Benbitour. C’est pourquoi je suis convaincu que l’élément déclencheur pourrait être le prochain scrutin présidentiel. »

Ahmed Benbitour ne sera officiellement candidat qu’après la publication, en janvier ou février 2014, du décret présidentiel convoquant le corps électoral. Pour que sa candidature soit retenue par le Conseil constitutionnel, il lui faudra remplir une exigence : obtenir le parrainage de 600 élus locaux ou nationaux, ou celui de 60 000 citoyens répartis équitablement entre au moins 25 des 48 wilayas (départements). « J’envisage de faire parrainer ma candidature par plus de 600 élus locaux et par plus de 60 000 Algériens », clame Benbitour.

Pour convaincre les uns et les autres, il a élaboré un programme électoral sous forme de feuille de route pour changer le système à un double niveau : dans les institutions et dans les comportements.

Le candidat à la succession d’Abdelaziz Bouteflika énonce quatre grands chantiers. Le premier est la refondation de l’État à travers la refonte de l’administration, la réforme de la justice, la modernisation des moyens de défense avec, à la clé, une redéfinition du rôle et de la place de l’armée dans les institutions de la République. Le deuxième chantier envisagé est la réorganisation de l’école par l’instauration d’un système d’enseignement capable d’améliorer les compétences managériales des futurs dirigeants politiques et décideurs économiques, et de s’adapter aux nouvelles réalités imposées par la révolution numérique.

Le troisième chantier vise « de véritables réformes économiques à travers une redéfinition de la politique énergétique et la création de quinze pôles d’activités spécialisés, dont la répartition régionale s’inspirerait de l’organisation administrative des premières années de l’indépendance. C’est d’autant plus urgent que nous comptons, aujourd’hui, une population universitaire de 1,5 million d’étudiants. Le cycle de formation étant en moyenne de cinq ans, cela signifie que nous devons absorber chaque année 300 000 nouveaux diplômés arrivant sur le marché de l’emploi. Or nulle économie ne peut répondre à cette exigence si sa croissance est inférieure à deux chiffres ». Le quatrième chantier du candidat Benbitour est la promotion des compétences nationales, diaspora comprise, ainsi que la maîtrise du défi qu’imposent les nouvelles technologies de l’information.

S’agissant du changement en matière de comportement, l’ancien Premier ministre promet une lutte efficace contre la corruption qui gangrène les rouages de l’État à tous les niveaux de la hiérarchie. Mais il ne croit pas aux vertus d’une opération mains propres : « Elle a montré son inefficacité chez nous et ailleurs. En revanche, l’instauration d’un nouveau système de gestion des affaires publiques introduirait une traçabilité qui assécherait les niches de corruption. » Ultime point de la feuille de route de Benbitour : la reconstruction de la citoyenneté à travers la consolidation et l’association de la société civile dans le processus de décision avec, à terme, le recours au référendum populaire pour ce qui est des choix stratégiques engageant l’avenir du pays.

Sa candidature n’étant pas encore validée, Ahmed Benbitour ne peut faire ouvertement campagne. Mais cela n’exclut pas le travail politique. Dans chacune des 48 wilayas et dans plusieurs dizaines de communes, sur les 1 541 que compte la République, des clubs de soutien à son programme électoral ont vu le jour.

Très présent dans les médias, le candidat Benbitour sillonne le pays. Seules trois grandes wilayas du Sud ne l’ont pas encore accueilli : Tamanrasset, Tindouf et Illizi. Invité par des associations, il parcourt ainsi l’Algérie profonde, donnant des conférences, exposant sa feuille de route et rencontrant les élites et notabilités locales, qu’il appelle des « personnalités d’appui ». Les multiples sollicitations qu’il a adressées aux chefs de parti n’ont pas reçu d’écho favorable.

Hormis le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD de Mohsine Bellabes, opposition), qui a donné une suite favorable, nul autre leader politique ne l’a reçu. À son grand regret : « Dommage, car je souhaiterais faire adopter par l’ensemble de la classe politique un code d’honneur à l’occasion de l’échéance présidentielle et exiger du pouvoir que l’organisation du scrutin soit confiée à une commission indépendante et non plus au ministère de l’Intérieur. »

Une double transition : économique et politique

Pour l’heure, la campagne de vulgarisation est peu coûteuse, donc financée par ses soins. Ses équipes, locales ou nationale, sont composées exclusivement de bénévoles, et ce « jusqu’à l’issue des opérations de vote, c’est un engagement souscrit par [s]es partisans ».

Seul candidat contre personne, Ahmed Benbitour n’ajoute pas foi aux spéculations autour du calendrier électoral : « Aucun élément tangible ne laisse supposer un report du scrutin. » Même si sa feuille de route fixe à quinze ans la durée du processus de changement – « cinq ans pour achever la double transition que vit notre pays depuis 1988, avec une transition politique [fin du parti unique et choix de la démocratie] et une transition économique [sortie de l’économie dirigée pour aller vers une économie de marché], et dix ans de consolidation démocratique » -, Ahmed Benbitour s’engage à n’effectuer qu’un seul mandat, avant de transmettre le relais aux plus jeunes. Pour terminer le job.