Près de deux cents familles passeront l’hiver dans la rue Le drame des familles expulsées

Près de deux cents familles passeront l’hiver dans la rue Le drame des familles expulsées
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Etre expulsé de chez soi pour une quelconque raison n’est pas facile à vivre, surtout quand c’est en période hivernale. A l’humiliation certaine, que le plus dur des cœurs vivra atrocement, s’ajouteront les dangers de la rue, son inconfort et le froid.

L’expulsion sera encore plus dure quand on a des enfants en bas âge ou encore des personnes du troisième âge à charge. Et pourtant, il n’est pas rare que des chefs de famille soient jetés dehors accompagnés de leurs épouses, de leurs enfants, de leurs parents… Certaines de ces «victimes» subiront même des traumatismes incurables et en traîneront à jamais les séquelles.

C’est le cas de Samira qui n’avait que 15 ans quand elle a vu sa famille contrainte de quitter leur maison sur décision de justice. «Je pense que je ne pourrais jamais être une femme normale. Les pleurs de ma mère et la résignation de mon père au moment où on nous délogeait sont gravés à jamais dans ma mémoire. Après trois mois, j’ose l’expression,  nous vivions une vie de chiens», dit-elle, les larmes aux yeux.

Selon Salmi Hakim, président du comité SOS expulsion, travaillant sous l’égide de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDL), ce sont jusque-là quelque 810 familles qui ont été expulsées, dont 400 seulement à Alger, et de 150 à 200 sont en voie de l’être. «Ce n’est que l’approche des élections qui a fait que les autorités freinent les expulsions.

L’échéance électorale passée, l’on s’attend qu’elles reprennent de plus belle», dit-il. A ne pas perdre de vue que ces chiffres se limitent à ceux qui ont déposé des dossiers auprès de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme.

Le président du Comité SOS expulsés, qui n’a pas voulu commenter la légalité des décisions de justice, a déploré néanmoins  «le fait qu’on ne prenne pas en compte le côté humain des choses et qu’on ne propose pas de solution de rechange aux expulsés».

Pour les motifs des expulsions, ils diffèrent. Mais le plus souvent les victimes ont occupé durant des années des logements de fonction. Après leur départ en retraite, ils se retrouvent contraints de remettre les clés sans en avoir d’autres. L’autre raison des expulsions est la perspective des propriétaires ou encore des héritiers  de récupérer leurs biens qu’ils ont loués, parfois au lendemain de l’Indépendance.

L’ÉLÉMENT MANQUANT DU PUZZLE

C’est le cas de Mounir qui vivait avec sa mère dans un rez-de-chaussée d’une maison à Kouba. Sans qu’il y ait de rechange, on les a expulsés de leur petite demeure en 2010. Sa mère septuagénaire, Mounir s’est battu, multipliant les correspondances et les démarches, mais s’est à chaque fois heurté au silence des autorités.

«Un expulsé perd jusqu’à sa citoyenneté. Même si j’ai envie d’exercer mes droits et mes devoirs civiques, je ne le pourrai pas, puisque je n’ai même pas une adresse», regrette-t-il. Il a déploré le fait que les décisions de justice soient prononcées et exécutées sans que des enquêtes soient diligentées.

A vrai dire, les conditions sociales des futurs expulsés ne sont pas prises en considération. Dans une correspondance datant du 25 janvier 2010, le wali d’Alger a demandé – démarche louable – aux walis délégués un état des familles expulsées de leurs logements par voie de justice, et le cas échéant, les mesures prises en leur direction. Dans son entreprise, le wali s’est référé aux articles de presse.

Mais le hic est que les forces de l’ordre interdisent à ces familles d’occuper la voie publique, ce qui rend le recensement difficile, voire impossible. De ses familles il y a celles qui se retrouvent contraintes de changer carrément  de wilaya, ce qui ne les arrange en aucun cas. La raison ? Elles ne peuvent prétendre à un logement ni dans la nouvelle wilaya, puisque les décomptes seraient déjà faits, ni celle qu’elles viennent de quitter, puisqu’ils n’y sont plus.

PAS DE TRÊVE HIVERNALE

Ainsi les expulsions sont opérées dans un pays dont la Constitution stipule, dans son article 58, que «la famille bénéficie de la protection de l’Etat et de la société». Or, contrairement à la loi française, en guise d’exemple,  le code de procédures algérien ne prévoit  pas de trêve hivernale pour les expulsions. Nous nous rappelons encore de la centaine de familles qui ont été expulsées, en l’espace de quelques jours, à Alger en plein hiver.

Cela s’est passé au Champ de manœuvres, à Bab Ezzouar, à Bachjarrah et Climat de France. Certaines ont été obligées de mettre en place des habitations de fortune afin d’échapper au froid qui frappait alors. Selon les juristes, la loi algérienne ne dit rien qui puisse interdire une expulsion en plein hiver. Devrons-nous nous attendre à des expulsions après les élections ? «Oui», répond Salmi Hakim.

Maître Mahoud Zertal, agréé auprès de la Cour suprême, dira qu’«il faut une équité pour le propriétaire et l’expulsé. Pour ce dernier, l’Etat a la responsabilité de le loger au même titre que tous les citoyens, comme il est écrit dans la Constitution. «C’est inhumain de laisser les personnes âgées et les enfants dans la rue en proie à tous les dangers», a-t-il déploré.

LA SOLIDARITÉ ALLÈGE LES MAUX

En dépit que le logement soit un droit connu et reconnu par la loi fondamentale du pays, des familles se retrouvent dans la rue. Pour d’autres, la cherté du loyer aidant, préfèrent  s’installer dans des bidonvilles avec tous les périls que cela induit. Les quelques cas qu’on voit sur la voie publique ne sont, à vrai dire, que la partie apparente de l’iceberg. On en voit une à El Makaria : une dame de 67 ans vivant avec son petit-fils sous une tente. Ou encore une autre à Bordj El Kiffan : une femme avec ses trois filles aussi sous une tente.

Ce qui sauve un peu la face c’est que les familles algériennes soient encore relativement solidaires. Mounir, cité plus haut, avoue que ses frères lui ont prêté main forte dans sa dure épreuve.Sadek assure que sans ses beaux-parents, il aurait vécu un vrai calvaire. Quand il a été expulsé de son appartement, il a occupé durant deux ans ce qui a été la chambre de sa femme avant leur mariage…

Hamid Fekhart