Organisés par le Conseil national économique et social (CNES), les travaux des premiers états généraux de la société civile algérienne ont débuté hier matin au Palais des nations en présence de plus d’un millier de participants venus d’horizons professionnels divers.
Présidée par M. Mohamed Séghir Babès, président du CNES, cette rencontre de trois jours, qui se veut un véritable exercice de démocratie participative, regroupe les représentants de l’ensemble des secteurs professionnels et associatifs, des syndicats, du monde de la culture, des médias et de la communication, des personnalités et intellectuels nationaux établis en Algérie et à l’étranger, des organisations estudiantines et de la jeunesse, des conseils de déontologie et d’éthique, ainsi que des cercles citoyens de réflexion et d’action et des sociétés savantes.
Dans son allocution d’ouverture, le président du CNES a mis l’accent sur l’objectif visé par les premiers états généraux de la société civile, à savoir « l’ouverture du champ du dialogue aux associations et aux syndicats reconnus, formels ou non formels, et la nécessité de leur donner un espace de discussion et de libération de la parole ». Pour M. Babès, cette première rencontre de la société civile s’inscrit en droite ligne des directives développées par le Président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, le 15 avril dernier concernant la nécessité de faire du mouvement associatif le véritable relais entre la société politique et la société civile. Tout en insistant sur les directives du Chef de l’Etat, l’orateur a rappelé à l’assistance l’occasion donnée par le Premier magistrat du pays « de dialoguer et de partager nos points de vue et a voulu faire participer toutes les potentialités nationales en toute transparence », a-t-il notamment souligné. Et d’ajouter : « Il s’agit d’un nouveau modèle de gouvernance qui nous est ainsi proposé ». M. Babès a ensuite assuré que les recommandations qui seront issues de cette grande manifestation seraient soumises au Président de la République. Pour cela, cinq thèmes seront débattus en ateliers thématiques (économie et croissance, protection sociale et solidarité, rénovation du système de gouvernance, la jeunesse et ses aspirations, le cadre organique et de fonctionnement autour d’une charte de la société civile.
«Des assises extrêmement importantes»
Pour sa part, l’ambassadrice de l’Union européenne (UE), Mme Laura Baeza, a indiqué que les réformes annoncées en avril dernier par le Président Bouteflika répondent « entièrement » aux aspirations de la société algérienne. «Nous sommes convaincus que les réformes annoncées par le Président Bouteflika vont dans le sens d’une juste réponse aux aspirations de la société algérienne », a-t-elle notamment déclaré. Mme Baeza a par ailleurs qualifié ces assises d’«extrêmement importantes » dès lors qu’il s’agit pour les autorités publiques algériennes d’ «écouter tout le monde» dans le sillage des réformes engagées. «Nous pensons que c’est la meilleure manière d’entreprendre ces changements», a-t-elle ajouté. Elle a exprimé par ailleurs le soutien de l’UE à la société civile tout en intensifiant « son aide en sa faveur ». Parmi les grands axes évoqués dans ce cadre, l’oratrice a insisté sur la démocratie et le renforcement des institutions, la nécessité de relever les défis de la mobilité, la promotion d’un développement économique inclusif, l’optimisation de l’impact du commerce et de l’investissement et le renforcement de la coopération sectorielle.
Cinq ateliers pour cinq dossiers
Dans l’après-midi, les travaux furent organisés en ateliers, cinq au total, pour débattre des différents thèmes retenus pour ces assises. Le premier atelier relève du « nouveau régime de croissance, les points de vue des partenaires sociaux ». Les participants à cet atelier insistent sur la croissance économique de la décennie à venir qui doit être forte et de bonne qualité, sans inflation et sans déficit budgétaire. Le second est relatif au « système de protection sociale et de solidarité nationale, les conditions de sa pérennité et de sa durabilité ». Il s’agit pour ce groupe de travail d’impliquer une meilleure répartition des richesses, une plus grande justice et une amélioration des rapports sociaux par une plus grande intégration sociale. Le troisième concerne « la gouvernance rénovée et un dialogue social permanent et une démocratie participative ». Le quatrième a pour titre « Pour une prise en charge réelle de la problématique de la jeunesse ; formes d’expression et d’organisation, canaux de dialogue et mise à jour des politiques publiques » et l’intitulé retenu pour le cinquième et dernier atelier est « Vers un processus de consécration d’une société civile plurielle ». Les travaux d’aujourd’hui se poursuivront en atelier. Les recommandations et la lecture des rapports finaux auront lieu demain à l’issue des travaux marqués par une forte demande de changement, émanant de la société, d’où l’intérêt d’une telle rencontre qui servira de cadre à l’expression plurielle de la société.
Sarah SOFI
Les représentants de la société civile soulignent la nécessité d’actualiser la loi sur les associations
Les représentants de la société civile ont souligné hier la nécessité d’actualiser la loi sur les Associations n° 90-31 en vue de l’adapter aux exigences de l’heure à la lumière des changements que connait la société dans les différents domaines. La présidente de l’Association « La femme en communication », Mme Nafissa Lahrèche, a estimé dans une déclaration à l’APS en marge des états généraux de la société civile, nécessaire de réviser la loi sur les associations en fonction des besoins de celles-ci notamment dans ses volets relatifs à la création et à l’agrément des associations.
Des Associations, a indiqué Mme Lahrèche, ont formulé par le passé des propositions à ce propos au ministère de l’Intérieur afin d’actualiser cette loi qui ne répond plus aux exigences des Associations. Elle a appelé à fournir toute l’aide matérielle et morale aux Associations, estimant important d’éloigner l’administration de la gestion des affaires des associations pour ancrer une véritable démocratie au service de la société civile. La présidente de l’Association d’aide aux personnes âgées, Mme Souad Chikhi, a affirmé quant à elle, l’importance d’amender cette loi afin de faciliter l’action du mouvement associatif en direction des différentes catégories de la société. Elle a appelé à trouver une solution à la question de l’agrément que rencontrent certaines associations en leur procurant des locaux, rappelant l’implication nécessaire de la société civile à l’opération de recensement des familles nécessiteuses pour mener l’assainissement des listes et attribuer l’aide aux véritables nécessiteux. Mme Atika Maâmri, présidente de la fédération algérienne des handicapés moteurs, a qualifié de « bonne » la loi sur les Associations mais requérant toutefois, une actualisation en fonction des besoins des associations pour relever les défis qui se posent à la société. Les Associations « doivent mériter toute notre confiance et notre attention » en les impliquant en permanence dans diverses activités, a indiqué Mme Maâmeri. Le président de l’Association de défense des détenus (non agréée depuis 2003) a mis l’accent sur la nécessité de la révision de la Loi sur les Associations de manière précise, objective et globale, rappelant les difficultés (siège, crédits…) auxquelles sont confrontées les Associations.
Le président de cette Association a mis l’accent sur la nécessité de mettre en place un « pacte social » ou un « partenariat » entre les associations pour faciliter la mission de la Société civile sur le terrain et l’associer au processus de développement du pays. Le président du réseau « Nada » pour la protection des droits de l’enfant, M. Araâr Abderrahmane a proposé de son côté de mettre à jour et de réviser la Loi sur les Associations en enrichissant certains de ses articles et de garder ceux qui sont favorables aux Associations. A ce propos, M. Araâr a insisté sur l’impérieuse nécessité de maintenir l’article 7 de la Loi sur les Associations en mettant en relief les conditions de création de l’Association conformément aux critères en vigueur dans le monde, et de rechercher de nouveaux mécanismes à même de relancer et de développer le mouvement associatif à travers la création d’une instance chargée d’accompagner et de promouvoir le rôle de ce mouvement.
Il a appelé également à faciliter l’octroi de subventions aux associations méritantes et de les créditer d’un statut d’envergure internationale et de renforcer le partenariat national avec les entreprises et les instances officielles, ainsi qu’avec les organisations non gouvernementales (ONG). M. Araâr a mis l’accent sur le dialogue de nature à consolider les liens sociaux pour le bien de la société, en premier lieu la famille et le citoyen. Le représentant de l’Association nationale pour la promotion des zones rurales a préconisé pour sa part l’encadrement des Associations à travers la création d’un « Conseil national des Associations ».
Ils ont dit….
Mustapha Chérif, ancien ministre
«Un événement historique»
Les états généraux de la société civile sont un cadre porteur pour l’avenir de notre pays. Ils permettent de libérer la parole et de faire en sorte que tout le monde contribue au renouveau de l’Algérie dans le respect de la pluralité des opinions et de l’attachement à des valeurs communes.
Les états généraux représentent un saut qualitatif pour la société civile qui démontre ainsi ce dont elle est capable de réaliser si on lui fait confiance. Les potentialités existent, et les hommes et les femmes de bonne volonté se veulent être à l’écoute des aspirations de la population.
Les états généraux se doivent de mettre fin à toutes les formes de marginalisation et ouvrir de nouveaux horizons car il s’agit d’un devenir collectif.
Abdelmadjid Sidi Saïd, S.G. de l’UGTA
«Redonner à la société civile ses lettres de noblesse»
Le fait d’organiser de telles assises est un événement en soi. La Centrale syndicale a déjà exprimé sa volonté lors des consultations sur les réformes politiques, de voir la société civile acquérir tout le poids qui lui est dévolu en tant que relais entre les citoyens et les pouvoirs publics. L’événement est remarquable car il installe un espace de dialogue et de concertation, éloigné des confrontations stériles. J’espère que cette rencontre va déboucher sur l’amorce d’une vision qui ouvre la voie à la démocratie consensuelle.
Liès Boukraa, politologue
«Mettre en place une transition démocratique et pacifique»
L’Algérie est confrontée à un enjeu qui est celui de la démocratisation. L’histoire de l’humanité a démontré qu’il n’existe que deux voies pour instaurer un ordre politique : la voie pacifique ou celle qui mobilise le recours à la violence.
Il est plus que stratégique pour ce qui nous concerne, de mettre en place les cadres susceptibles de privilégier la transition démocratique pacifique.
S’agissant des états généraux de la société civile, il faut reconnaître que ce type de rencontre est un des éléments qui contribuent à créer les conditions idoines vers cette transition par des moyens et des artifices pacifiques.
Habib Yousfi, président de la CGEA
«Asseoir les bases d’un Etat démocratique»
A priori, si aujourd’hui, on constate que le CNES a décidé de convoquer les états généraux de la société civile dans le contexte actuel, il nous apparaît clair qu’il existe une volonté d’impulser un large débat susceptible d’apporter, dans un cadre de dialogue, les conclusions indispensables pour asseoir un Etat démocratique. Il est aussi nécessaire de rappeler que le dialogue est un acte civilisateur dès lors qu’il est retenu comme outil principal de résolution des divergences à travers le consensus requis. Nous espérons, en tant que patronat rassemblé autour de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA) que les débats organisés dans les ateliers auront des impacts positifs. La crédibilité des différents dialogues entamés précédemment permet de dire qu’il y a une détermination avérée d’aller de l’avant pour instaurer des institutions démocratiques aptes à remplir les missions susceptibles de satisfaire les aspirations de la société algérienne.
Salah Mouhoubi, membre du CNES, économiste
«Le contexte international nous impose un consensus pour préserver la stabilité du pays»
Globalement, il faut se féliciter de la tenue des états généraux car c’est un événement de grande importance au double plan interne et externe. Le pays est en train de tourner une page dans une phase délicate, et la réussite des réformes nécessite un consensus sans lequel les réformes seraient hypothéquées. L’Algérie a besoin de parachever son processus des réformes. Le contexte international nous impose un consensus pour préserver la stabilité, l’unité, la sécurité du pays. Par conséquent, la construction d’un Etat de droit, l’ancrage d’une véritable démocratie et le respect de toutes les libertés individuelles et collectives exigent un mouvement associatif générateur de progrès, qui est à la base d’une démocratie authentique, comme l’attestent les pays les plus avancés et les plus prospères.
Propos recueillis par Mohamed Bouraïb