La campagne électorale bat son plein
Les Tunisiens vont donc vivre la première grande étape de leur cheminement démocratique par la tenue d’une élection constituante.
J-3 avant la date fatidique des élections en Tunisie. La roue a commencé à tourner avec le lancement de la campagne électorale le 30 septembre dernier. Les choses sérieuses ont donc commencé et le suspense reste entier jusqu’au jour J. Le 23 octobre, la Tunisie s’embarque dans un voyage vers l’inconnu. Les Tunisiens vont donc vivre la première grande étape de leur cheminement démocratique par la tenue d’une élection constituante qui permettra aux élus de plancher sur le contenu d’une nouvelle Constitution pour le pays. Plus de neuf mois après la révolte populaire en Tunisie, les Etats voisins suivent avec attention le processus de transition et la construction d’un nouvel Etat tunisien. Interdit et réprimé sous le régime Ben Ali, le parti Ennahda apparaît comme le grand gagnant de la révolution et part comme favori pour le scrutin.
L’opinion s’interroge d’une manière générale sur cette campagne un peu trop calme, voire assez timide. Si des affiches sont placardées ici et là, si des militants battent le pavé dans certains quartiers, si des meetings se tiennent dans quelques régions du pays, nous ne voyons pas ce tohu-bohu qui marque les campagnes électorales.
«La campagne se fait, en fait, dans les médias: à la radio, à la télévision et dans les journaux», commente un citoyen lambda rencontré dans une grande artère de la ville de Tunis. Il faut dire que deux déceptions sont venues se greffer à cette campagne électorale. Primo, il s’agit de l’absence de près de 10% des têtes de listes aux enregistrements des émissions radiotélévisées pour l’élection du 23 octobre». Secondo, le retard pris dans l’affichage des listes dans les emplacements dédiés. Un retard qui n’est pas là pour vérifier sur le terrain – loin s’en faut – l’«abondance» des listes en compétition. S’en est suivi l’écho relatif à la faible participation des citoyens à des réunions électorales et au «désistement» de certaines listes qui ont, donc, décidé de se retirer de la course. Il n’est pas étonnant, à ce propos, d’entendre les réactions de citoyens qui affirment ne pas connaître assez les acteurs politiques tunisiens ou qui soutiennent que les programmes c’est bonnet blanc et blanc bonnet, ou encore que les promesses faites par certaines listes ne tiennent pas la route et tordent le coup aux règles élémentaires de l’économie. Face à cette situation confuse et pour mieux sensibiliser les électeurs, des artistes tunisiens se sont mobilisés en composant un véritable hymne patriotique «Enti Essout» (Tu es la voix). L’association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) a également lancé une campagne de sensibilisation pour le vote des femmes à travers deux spots télévisés: Le message est clair: «Ne laisse personne prendre ta voix». Le 23 octobre, vote là où tu trouveras ton intérêt». Cependant, malgré cette liesse pour l’engagement politique, et même si plus de cinq millions d’électeurs se sont effectivement inscrits sur les listes électorales, combien se déplaceront réellement aux urnes le jour J? Pour qui voteront les Tunisiens? Quel sera le taux d’abstention? Selon notre sondage d’opinion, une personne sur quatre n’ira pas aux urnes comme c’est le cas de la blogueuse Lina Ben Mhenni qui, contre toute attente, a publiquement affiché son boycott à ces élections.
Ce qui revient à dire qu’il y aura au moins 40% d’abstention. Alors qu’une personne sur deux ne sait pas pour qui voter. Interrogées sur leur parti favori, les avis sont partagés. Le parti Ennahda vient en pole position (une personne sur trois) suivi de Ettakatoul de Mustapha Ben Jaâfar (une personne sur 5), puis le Congrès pour la République de Moncef Marzouki (une personne sur 5). En dernière position, on retrouve le Parti démocrate progressiste (PDP) de Ahmed Nejib Chebi (une personne sur 7), puis le parti de l’Union patriotique libre du richissime Salim Riahi ou enfin Afek Tounès. En gros, seuls 34% savaient pour qui ils voteraient et pour 47% d’entre eux ce choix n’était pas définitif.
Au jour d’aujourd’hui, la situation n’est guère plus encourageante et offre un climat délétère comme le prouve encore une fois l’attaque, mardi, à main armée par trois individus de la banque arabe ATB à Mahdia. Force est de constater que, à trois jours du scrutin, rares sont ceux qui sont réellement convaincus par un choix de vote. Entre vote par défaut, vote contre les islamistes, vote pour un programme économique et social, vote utile, certains oublient que l’enjeu principal de cette Assemblée constituante est l’écriture d’une nouvelle Constitution qui préservera les libertés de chacun et évincera tout retour possible de la dictature. Seul changement notable, et crucial: la liberté de parole a enfin droit de cité en Tunisie, qui n’avait jamais connu pareille ouverture depuis son indépendance en 1956 sous les présidents Bourguiba et Ben Ali.
Espérons pour ce pays multimillénaire une suite heureuse des premières élections indépendantes de son histoire, et l’émergence d’une personnalité politique de premier plan, qui saura guider le pays vers un développement inclusif.