Les mauvaises nouvelles s’accumulent pour les Algériens en cette fin d’année. Les ménages serrent les dents et s’attendent à une chute plus importante de leur pouvoir d’achat en 2016 en raison de la flambée continue des prix de presque tous les biens, la politique de taxation prévue par la nouvelle loi de finances, la dépréciation du dinar et la dégringolade du prix du baril sur les marchés internationaux.
Des pans entiers des couches populaires et moyennes vivant avec moins de 50.000 dinars par mois vont basculer dans la pauvreté ou la précarité.
Le gouvernement se montre rassurant en soutenant que les hausses des prix ne devront concerner que 20% de la population, mais les économistes sont unanimes : plus des 3/4 des ménages seront affectés par cette révision à la hausse des prix des biens. Dans un pays où 30% de la population (12 millions de personnes) vit dans l’extrême pauvreté et bénéficie du couffin du Ramadhan, selon les statistiques officielles, il est totalement indécent d’affirmer que les hausses annoncées n’auront aucun impact sur le pouvoir d’achat. La quasi-totalité des personnes interrogées s’attendent à un recul de leur pouvoir d’achat en 2016 et se préparent à renoncer à de nombreuses dépenses de base, y compris en matière de santé et d’habillement.
Il faut avouer que la dégringolade du pouvoir d’achat n’est pas un phénomène récent, mais il s’est aggravé en 2015 en raison du taux d’inflation en hausse continue et la flambée des prix des fruits et légumes en dépit d’une production agricole abondante. L’ensemble des produits du groupe alimentation ont été touchés par la hausse. Les produits manufacturés et les services ont connu la même tendance haussière. Les acrobaties des ménages ne suffisent plus pour faire face aux dépenses quotidiennes. Les pères de familles sont aujourd’hui contraints d’effectuer des arbitrages budgétaires très serrés sur leurs dépenses.
MANGER, SE LOGER OU SE VETIR, IL FAUT CHOISIR !
Les ménages, qui assistent impuissants à un recul de leur pouvoir d’achat, n’ont plus d’autre choix que d’arbitrer entre le budget alimentation et les autres dépenses de consommation. Des millions de ménages ont atteint un tel dénuement qu’ils sont désormais obligés de faire des sacrifices douloureux pour couvrir le budget alimentation qui pèse de plus en plus lourd dans les dépenses. Cet arbitrage budgétaire est effectué au détriment de certaines dépenses essentielles comme les soins de santé, ce qui explique en grande partie le retour en force des maladies de la pauvreté dans les grandes agglomérations du pays et notamment la tuberculose.
Les témoignages collectés auprès de pères et de mères de familles renseignent sur le quotidien de millions de ménages. Il y a ceux et celles qui sont pris dans la spirale de l’endettement, nombreux qui ont opté pour une cure d’austérité et les autres qui continuent de vivre avec la baraka. Mohamed, un père d’une famille de cinq membres, n’arrive plus à se soustraire de la spirale de l’endettement. « J’ai quatre enfants à charge en plus de leur mère au foyer. Je touche un salaire net de 32.000 dinars. Je n’arrive plus à couvrir les dépenses de base de ma petite famille. Souvent je suis dans l’obligation de m’endetter pour acheter un sachet de lait ou un petit café.
Je débourse pas moins de 9.500 dinars pour les cours supplémentaires de mes deux enfants scolarisés. Il ne me reste finalement que 22.000 dinars qui sont engloutis en l’espace de quelques jours par le couffin. J’ai vraiment honte, car je suis constamment harcelé par mes créanciers qui n’hésitent plus à se déplacer à mon domicile pour exiger devant mes enfants et ma femme le recouvrement de leurs dettes ». Des pères de familles, avec un salaire moyen entre 40.000 et 60.000 dinars, s’enfoncent un peu plus chaque jour dans le gouffre de l’endettement. Nombreux désespérés gagent les bijoux de leurs femmes pour garnir la table en attendant des jours meilleurs.
Devant les agences régionales de prêt sur gage de la BDL, des files interminables de femmes et d’hommes s’amassent tôt le matin. Les ménages, qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, sont pris entre le marteau et l’enclume : recourir au prêt sur gage, s’endetter auprès des proches ou vendre les bijoux de famille et se retrouver sur la paille.
Le prêt sur gage reste une solution sans trop de dégâts. Il évite à des milliers de ménages aux revenus modestes de vendre leurs bijoux à prix sacrifié et en particulier durant cette période qui connaît une baisse des prix de l’or cassé. Le relèvement du prix du gramme gagé semble séduire les ménages.
Des milliers de femmes désespérées prennent d’assaut les agences régionales de la BDL. Dans cette foule compacte il n’y a pas seulement les familles modestes. De nombreuses mères de familles issues de couches moyennes recourent au prêt sur gage. Ces femmes courageuses préfèrent se séparer, non sans un douloureux pincement au cœur, de leurs biens les plus chers pour l’intérêt de leurs familles.
D’autres pères de familles, par contre, préfèrent recourir à une cure d’austérité au lieu de s’endetter. Ils ont ainsi supprimé toutes les dépenses jugées « superflues » : loisirs, vacances, habillement, soins dentaires ou de confort. Ils pèsent soigneusement chaque décision qui risque d’affecter leur budget. Concevoir un bébé, par exemple, est devenu pour certaines familles un projet qui doit être mûrement réfléchi vu la flambée spectaculaire des laits infantiles, des vêtements pour bébés et autres produits d’hygiène intimes (couches, lingettes, shampoings, savons).
«Un bébé coûte en moyenne 10.000 dinars. Il faut aujourd’hui peser soigneusement la décision d’avoir un bébé», confie ce père de famille. Un fils est un créancier donné par la nature, disait Stendhal. D’autres, par contre, à l’exemple de ce jeune père, remettent leur sort entre les mains de Dieu. « Je vis grâce à la baraka. Je touche un faible salaire mais grâce à la faveur divine je ne manque de rien moi et mes quatre enfants en bas âge », raconte fièrement ce jeune homme.
Cette hausse des prix des biens a touché aussi les cadres qui touchent de « bons » salaires supérieurs à 70.000 dinars. Une dame, qui exerce comme cadre dans une société étatique, s’émeut de la flambée des prix des biens et en particulier l’habillement. Elle, qui touche un salaire qui frôle les 80.000 dinars, avait pris l’habitude de refaire sa garde-robe à l’automne et au printemps, mais avec la dépréciation du dinar, les vêtements importés le plus souvent de Turquie et d’Espagne sont devenus hors de prix.
« Un manteau, qui coûtait il y a à peine une année 11.000 dinars, est à 19.000 dinars, un ensemble pour pas moins de 16.000 dinars, une robe traditionnelle (badyia) à 10.000 dinars, des chaussures à 5.000 dinars et des boots à un million de cts, un sac à 4.900 dinars ou un pantalon à 4.800 dinars il faut se ruiner pour garnir sa garde-robe », raconte amèrement cette dame qui préfère, comme d’autres, s’accommoder de friperie au lieu de dissiper son argent sur des vêtements dans une conjoncture économique incertaine.
Pour l’expert économique et membre de la Fédération algérienne des consommateurs (FAC), Boukli-Hacene Benamar, le pouvoir d’achat des Algériens est aujourd’hui dans un carrefour entre un devoir d’achat ou achat de devoir et un vouloir d’achat resté intact en dépit de la folie des variations de prix. Il estime que ce recul du pouvoir d’achat est le prix à payer dans une société qui ne produit presque rien et qui est bousculée par les nouvelles valeurs de la mondialisation tournées vers le gain facile. Le remède est simple pour cet économiste : il faut valoriser le travail parmi les jeunes, reconnaître l’effort, les compétences, la productivité et la créativité.