« La légitimité n’est pas accordée au croyant mais à celui dont le combat rejoint celui du peuple. »
Ahmed Ben Bella-Houari Boumediene, à Alger.
Depuis maintenant bien longtemps, sous le toit familial, dans les rues, dans les bureaux, au marché, dans la presse, les Algériens ne cessent pas d’accuser leurs dirigeants de tous les maux, d’être non élus, s’imposant par la force et menant encore aujourd’hui le pays à l’impasse économique. Les dirigeants dans l’Algérie postindépendance ont-ils été une fois légitimes ?
Je vais emprunter la formule à l’écrivain libanais Amin Maalouf pour définir cette légitimité : « C’est ce qui permet aux peuples d’accepter, sans contrainte excessive, l’autorité d’une institution, personnifiée par des hommes et considérée comme porteuse de valeurs partagées. » On peut parler de légitimité révolutionnaire, de légitimité patriotique, etc.…
Depuis l’indépendance algérienne en 1962 à nos jours, on peut distinguer, sans se lancer dans des analyses approfondies, deux étapes : celle allant de 1962 à 1978 du « socialisme spécifique » et celle de 1978 à nos jours (1978-2012) de la libéralisation économique.
Pour la première période, Houari Boumediene, figure marquante de l’Algérie indépendante, a d’abord cherché la « légitimité révolutionnaire » en soutenant l’historique Ahmed Ben Bella décédé il y a quelques jours ; puis après son coup d’Etat du 19 juin 1965 mal perçu par la population, il a gagné en légitimité en lançant le pari fou du développement du pays. Ali Yahia Abdenour a dit à son sujet :
« Au-delà des violations des libertés et des droits de l’homme, au-delà de son machiavélisme politique et de ses erreurs sur le plan économique, l’œuvre qu’il a accompli durant les treize années durant lesquelles il a régné sur le pays est, pour emprunter la formule de Georges Marchais « globalement positive ». Il y a eu beaucoup d’usines clefs en main qui ne fonctionnaient qu’à faible rendement, peu de cohésion sociale et peu d’adhésion du peuple au pouvoir qu’il lui avait imposé. Lui qui avait nationalisé les hydrocarbures pour libérer l’économie nationale de toute ingérence étrangère, a sacrifié l’agriculture, mettant le pays dans une situation de dépendance alimentaire alarmante qui n’a fait que s’accentuer.
L’Algérie a vécu plus de onze ans sans Constitution et Boumediene, président du Conseil de la révolution et chef de l’Etat a gouverné par voie d’ordonnances. Il a eu ses fidèles et ses infidèles, ses partisans et ses adversaires, ses « fils » qui revendiquent aujourd’hui, tant au niveau de l’armée que de la jeunesse, sa politique, défendent son héritage et e qu’ils appellent « les acquis de la révolution ». Sa politique, contestée à l’intérieur dans de nombreux domaines, lui a valu un grand prestige à l’étranger où elle a été perçue comme progressiste et en faveur des grandes causes justes.
Alger était la mecque de nombreux mouvements de libération. De nombreux Algériens se seraient accommodés d’une telle politique s’il avait rétabli les libertés fondamentales et libéré le peuple du carcan rigide qui l’étouffait. Courtisé de son vivant, Boumediene dont la maladie a été couverte par le plus épais des secrets d’Etat a été pleuré à sa mort par le peuple, surtout les ouvriers agricoles, les paysans pauvres, les travailleurs, l’armée, les femmes, parce qu’il a construit des villages, des écoles, des universités, des hôpitaux avec soins gratuits, établi des assurances sociales et un salaire minimum qui a permis d’élever leur niveau de vie. En outre, nombreux aussi sont les cadres, des membres de la nomenklatura, qui l’ont critiqué après sa mort, avec autant d’ardeur qu’ils avaient mis à le louer, quand ils supputaient qu’il était au pouvoir pour de longues années et que leur sort était entre ses mains. On peut dire qu’aujourd’hui, si ce n’était point l’échec du développement économique, le président défunt aurait encore été adulé.
La deuxième étape (1978-2012), les Algériens découvrent les scandales économiques toujours allant crescendo depuis le pavé des 26 milliards de dollars de l’ex-ministre de l’Economie Brahimi. Et ceux qui nous ont menés à la tragédie dans les années 1990 demeurent de plus en plus honnis par la population. Malgré le pluralisme, les Algériens ne se reconnaissent pas dans leurs dirigeants. Jusqu’à quand ?
Amokrane Nouredine
Le dérèglement du monde, Amin Malouf, éditions Grasset