Les députés algériens exercent-ils les fonctions et missions principales du Parlementaire une fois élus à l’Assemblée populaire nationale (APN) ? Certainement pas, s’accordent à dire les observateurs qui hantent les coulisses de la Chambre basse ? Pourquoi donc les députés actuels et autres nouveaux prétendants sont-ils aussi nombreux à trouver aussi motivante “la bataille de la députation” ?
à quelques mois de la fin de la législature, les députés s’agitent dans tous les sens. Il s’agit pour eux de se montrer le plus souvent et sous leur meilleur jour pour gagner la sympathie de ceux qui décident de les porter sur les listes électorales pour les législatives du 10 mai prochain. Mais pour mieux comprendre cette agitation, une image peut, à elle seule, illustrer la voracité des députés à se faire remarquer.
À l’occasion des débats autour du dernier projet de loi examiné en janvier lors de la session d’automne du Parlement en l’occurrence le code de wilaya, quatre députés “ont accaparé”, à eux seuls, les débats. Ces quatre parlementaires (deux FLN et deux de l’opposition) se sont succédé pour intervenir pratiquement sur chaque article de ce projet qui compte… 183 articles.
Sachant que les chances de voir leurs amendements adoptés étaient vraiment minimes, ces députés ont quand même prolongé les débats. Mais qu’est-ce qui fait courir ces députés et, par-delà, les candidats à la députation ? Les députés algériens exercent-ils les fonctions et missions principales du parlementaire une fois élus à l’Assemblée populaire nationale (APN) pour être aussi motivés par la députation ? Ou alors cette mobilisation répond-elle à d’autres objectifs ?
“La députation est une mission politique qui permet de faire valoir ses convictions politiques dans un cadre réglementaire et au service de la nation en général mais en Algérie comme les jeux sont biaisés, ce sont plus des carriéristes qui prennent le relais au détriment de l’intérêt des citoyens”, estime un député de l’Alliance présidentielle. Selon lui, “dans la conjoncture actuelle, cela ne sert à rien d’être député si l’on pense que la députation est faite pour servir le citoyen”. Au-delà des propos de ce député, plus fondamentalement, en Algérie, les missions du député sont-elles exercées ?
Absence de la mission de contrôle du gouvernement
Il faut dire à ce propos que la mission majeure et fondamentale du député est celle du contrôle de l’Exécutif, c’est-à-dire du gouvernement. Le parlementaire peut interroger ce dernier de manière orale ou écrite sur des questions nationales qui intéressent au premier chef le citoyen.
En Algérie, effectivement tant le Sénat (le Conseil de la nation) que l’Assemblée nationale organisent à tour de rôle une fois par quinzaine une séance de questions orales adressées aux ministres.
Quand on se focalise sur l’apparence, on a effectivement l’impression que le Parlement interroge régulièrement le gouvernement sur des questions d’importance. Mais en réalité, les deux institutions “programment des questions qui ne fâchent pas, et de plus les ministres répondent aux questions deux à trois mois plus tard voire plus, et ce, après avoir réglé le problème pour venir dire que la question est prise en charge”, nous explique un député. L’exemple porte sur le bac, où la question orale est programmée après cet examen, ce qui ne sert à rien.
Autres exemples illustratifs du non-contrôle de l’Exécutif par le Parlement : “nous avons demandé un débat général sur le pouvoir d’achat, une commission d’enquête sur les émeutes de Berriane et de Chlef tout en respectant les conditions requises, mais nos demandes ont essuyé des refus”, arguera un député de l’opposition.
Peu de permanences parlementaires ouvertes
Par ailleurs et contrairement aux idées reçues, la partie la plus importante du travail d’un député (en termes d’heures) a lieu non pas en séance plénière mais en commissions, auditions, groupes de travail, même si bien entendu les temps forts de l’action parlementaire ont lieu dans l’Hémicycle. On peut, à titre d’exemple, citer les débats récents en commission juridique de l’Assemblée nationale autour de la loi électorale. Au lieu que les députés concentrent leurs efforts sur les dispositions de cette loi, ils se sont focalisés sur la députation des ministres.
Et de la nécessité pour eux d’être en poste au gouvernement et candidats à la députation simultanément. Les débats idéologiques et partisans prennent donc le dessus sur l’intérêt général.
Un autre aspect extrêmement important lié à la mission parlementaire réside dans l’ouverture de permanences parlementaires et la présence sur le terrain des députés. Il faut dire, à ce propos, qu’il n’existe aucune disposition enjoignant les députés ou même les sénateurs à ouvrir des permanences parlementaires.
Rares, nous dit-on, les députés qui ouvrent des permanences quand d’autres utilisent les sièges du parti pour recevoir des citoyens.
Quid des visites des parlementaires de la Chambre basse sur le terrain ? “Certains se déplacent de façon désintéressée sur le terrain pour s’enquérir des problèmes des citoyens”, nous explique un sénateur, par contre, dit-il “les députés et sénateurs de l’Alliance présidentielle (RND, FLN, MSP) font des visites d’accompagnement des ministres dans les wilayas”. Ceci dit, une des missions phares des parlementaires est bien entendu de faire des propositions de loi ainsi que de débattre, enrichir et adopter les avant-projets élaborés par le gouvernement. Là encore, les parlementaires algériens sont de mauvais élèves puisque, lors de cette 6e législature, aucune proposition de loi n’a été formulée par les députés.
Quant au débat et à l’enrichissement des projets, les habitués du Parlement savent qu’il n’en est rien. En effet, la quasi-totalité des interventions des députés vient soutenir le gouvernement, d’autres évoquent leurs communes tandis que d’autres versent dans les règlements de comptes. L’exemple est donné par les réponses des députés FLN aux voix qui se sont élevées pour revendiquer “sa mise au musée”.
Lors d’un débat sur la loi sur les partis, des députés de la formation majoritaire se sont succédé pour défendre leur sigle ignorant que leur mission consiste à débattre du projet de loi.
L’APN coûtera plus cher
La facture de l’Assemblée populaire nationale sera à coup sûr salée lors de la prochaine législature. Cette institution, considérée comme étant budgétivore, va encore le confirmer à travers l’augmentation du nombre de ses sièges qui passe de 389 à 462. Cela veut dire plus de charges encore avec les 73 sièges supplémentaires décidés récemment en Conseil des ministres.
Il faut préciser, à ce propos, que le salaire d’un simple député est de 260 000 DA. Ce dernier bénéficie d’une prime des dépenses générales de l’ordre de 45 000 DA, une indemnité véhicule d’un montant de 8 000 DA et d’une indemnité téléphone de 5 000 DA. Le député, président d’une commission perçois, quant à lui, au titre du salaire 306 000 DA avec une indemnité de responsabilité de l’ordre de 58 919 DA.
Ce dernier bénéficie d’un véhicule de service avec chauffeur et des bons d’essence (25 bons/mois).
Le vice-président de l’Assemblée nationale a, quant à lui, les mêmes avantages que le président d’une commission avec deux véhicules de service, chauffeur et des bons essence.
Par ailleurs, les députés peuvent être logés dans la résidence du Club-des-Pins ou louer en dehors et là, l’APN débourse 63 000 DA/mois chaque année pour permettre au député de louer en dehors de cette résidence. Il faut expliquer, à ce propos, que le budget annuel de l’Assemblée nationale est estimé approximativement à 5 milliards de dinars. C’est d’ailleurs pour cette raison que le statut de député est très prisé.
“Tout le monde veut être député”
“Tout le monde veut être député”, nous explique un membre du bureau de l’APN. Un membre de le direction du Front de libération nationale (FLN) confirme cette tendance. “Le statut du député intéresse toutes les catégories de personnes cela va des chauffeurs, des coiffeuses et autres esthéticiennes aux hauts diplômés sans oublier bien évidemment tous les députés actuellement en poste, les ministres, les mouhafadhs, les militants de kasmate, les membres du Comité central dans leur totalité, c’est-à-dire tout le monde”, dit-il. Même topo au RND où le parti croule sous les dossiers de candidatures, nous explique-t-on. Il faut dire qu’il n’y pas un profil particulier du député.
Car la députation, surtout s’agissant de partis engagés dans le gouvernement n’est, selon des témoignages recueillis, pas synonyme de “compétences ou de qualifications”. “Je veux la députation pour le salaire et les avantages et je sais que je ne perds rien, puisque la seule chose qu’ils vont me demander, c’est juste de lever la main”, nous explique un ancien député FLN, qui présente sa candidature pour la future législature. Selon lui, cette déclaration est surtout valable pour les ministres candidats. Preuve en est qu’ils sont parvenus à modifier la loi électorale dans son article 93 qui les obligeait à démissionner du gouvernement trois mois avant les législatives.
On se rappelle, en effet, du forcing des députés du FLN pour supprimer cette disposition afin que cette bataille permette aux ministres en poste d’être candidats à la députation. “Quand on a goûté aux 30 millions par mois, on a du mal à partir”, nous dira un autre député qui rempile. Il faut rappeler, à ce sujet, que c’est en 2008 que les députés ont substantiellement réévalué leurs salaires. Le triplement de leurs salaires représente plus de 20 fois le Salaire national minimum garanti (Snmg).
Un député de l’opposition nous expliquera que chacun à sa raison de devenir député. “Pour les uns, c’est le confort social et pour les autres, c’est l’immunité parlementaire, tandis que pour d’autres, c’est de se rapprocher des centres de décision etc. Je me rappelle d’un député, qui était avec moi dans une commission et qui a avoué qu’il n’avait aucun lien idéologique avec son parti mais qu’il s’était retrouvé ministre tout de même”, témoigne-t-il.
N. M