A considérer le nombre de candidats à la magistrature suprême qui se sont déclarés, soit en proclamant urbi et orbi leur ambition d’occuper le grand bureau d’El Mouradia, soit en retirant le symbolique formulaire des services du Ministère de l’Intérieur, on a l’impression que cette foule de prétendants, veut ardemment concourir, non à la charge la plus lourde et la plus complexe du pays, mais à un poste de chef de bureau dans une mairie perdue des Hauts Plateaux.
UNE FOULE HÉTÉROCLITE DE CANDIDATS
Cette pléthore regroupe dans la même ambition des personnalités publiques nationales au parcours brillant au service du système qui les a cooptés, mais qu’ils jurent de vouloir changer, et des hommes dont la candidature ressortit plus du folklore que du réalisme politique. L’un et l’autre de ces deux groupes sont trop apparents pour qu’on ait à en désigner nominalement les composants. Loin de donner la preuve que le pluralisme s’est enraciné dans la pratique politique du pays, cet excès de candidats reflète une profonde crise frappant la société algérienne, qui a fini par perdre tous ses repères, et est en panne de leadership.
La nature ayant peur du vide, selon le juste adage, tout un chacun se croit apte à prendre en charge les problèmes du pays, et est convaincu qu’il a les capacités tant intellectuelles que caractérielles pour mener le peuple algérien au rivage de la stabilité et de la prospérité dans l’indépendance, et pour lui insuffler de nouvelles valeurs qui le haussent aux défis de ces temps dangereux.
UN LEADERSHIP EN DÉSHÉRENCE
Le problème apparait comme la solution: le leadership du pays semble en état de déshérence; donc tout un chacun peut prétendre à remplir ce vide. Etrange raisonnement que celui qui consiste à tirer la nécessité du trop plein pour combler le vide. et c’est, pourtant, ce raisonnement qui semble animer les multiples candidatures dont les unes tirent la légitimité de leurs ambitions de la carte de visite que leur a offert le système et les autres brandissent un certificat de nonrésidence pour se prévaloir d’une expérience acquise à l’étranger qu’ils prétendent vouloir faire profiter leurs concitoyens brusquement remémorés pour l’occasion. D’autres font état leur renommée littéraire comme preuve de leur aptitude à gérer le pays tout entier. Certains mettent en avance leur date de naissance pour prouver qu’ils apporteront un sang frais à la tête du pays.
MAIS QUI A PROUVÉ DES CAPACITÉS DE LEADERSHIP ?
Dans cette foule qui se propose au choix des Algériennes et des Algériens, il n’y en a aucun qui se distingue par une capacité démontrée non seulement d’exprimer en termes clairs et compris de tout un chacun les causes du mal algérien, mais également de proposer des solutions à la fois faciles à comprendre et réalisables. Tous les candidats manquent de cette habilité à convaincre qu’ils ont vraiment ce qu’il faut pour sortir le pays du bourbier dans lequel il a été placé.
Les moins convaincants sont évidemment ceux qui ont contribué à maintenir en vie ce système et en ont été les serviteurs fidèles, si ce n’est serviles. Sous-produits du systèmes, dont ils brandissent à toute occasion la carte de visite qu’il leur a offert, ils sont d’autant moins convaincants, quelles que soient leurs proclamation de virginité politique retrouvée du fait de leur basculement dans la critique acerbe, qu’ils ont attendu, pour proclamer que «ce régime n’avait rien de bon,» d’être éjectés, pour des motifs aussi clandestins que ceux sur la base desquels ils ont été promus.
DES CANDIDATS SOUS-PRODUITS DU SYSTÈME!
En fait, ces candidats, loin de représenter une menace sérieuse pour le candidat déjà titulaire de la position, contribuent à rehausser le poids de sa candidature, car c’est de lui que leurs vient le poids social leur permettant de se présenter. N’ont-ils pas été choisis par lui pour l’assister dans le gouvernement du pays? La cooptation étant le fondement des promotions politiques dans ce pays, et les cooptateurs n’étant pas tenus de révéler les critères sur la base desquels ils ont choisi telle personne plutôt que telle autre pour occuper les postes les plus importants du pays, le coopté doit tout son prestige social à ses cooptateurs, et non à telles ou telles qualités qui l’auraient fait distinguer, dans l’opinion publique, d’autres candidats aussi -si ce n’est plus-qualifiés que lui.
C’est de la part du coopté un sérieux manque de gratitude à l’égard de ses cooptateurs que de se retourner contre eux quand ils ont décidé de se passer de ses services. On a la nette impression que quelque part il y a des analystes de la fourberie qui promeuvent au poste le plus recherché après la position de chef d’Etat celui dont l’indice de dissimulation est le plus élevé! C’est en même temps un manque de moralité politique de base, qui ne promet rien de bon, et dont une règle d’or est de ne pas mordre la main qui vous a donné à manger et vous a mis au rang des hommes les plus connus du pays. Devant tout à ce système, leur meilleur choix aurait été de ne pas le desservir dés lors qu’il a décidé de les éjecter d’un poste qu’ils ont dû moins à leur valeur intrinsèque qu’à son bon plaisir.
LES CANDIDATS LES PLUS TITRÉS ET LES MOINS APTES À CHANGER LE SYSTÈME
En réfutant leur capacité à être des candidats crédibles, pour la bonne raison qu’ils ont gagné leurs «galons» politiques par la grâce du système contre lequel ils se retournent maintenant, on ne tire nullement la conclusion que ce système n’a pas besoin de se réformer profondément si on veut éviter le sort d’autres pays de la région. On veut seulement souligner le fait qu’étant des sous produits du système, ils sont les moins aptes à le changer ou à le faire évoluer pour que peu à peu il laisse la place à un système plus efficace et plus transparent.
Les mêmes forces qui, pour défendre leurs propres intérêts, ont aidé ces candidats à se placer au devant de la scène ne vont pas certainement pas accepter de se plier aux exigences que dicteraient des réformes politiques , économiques et sociales contraires à ces intérêts, si, ayant atteint la magistrature suprême, l’un ou l’autre de ces candidats venait à garder ses velléités réformatrices esquissées dans ses promesses électorales. On aurait la continuité dans le changement de personnel politique, et non le changement par la rupture avec le passé. Et, sans aucun doute, on assisterait à des règlements de compte mettant aux prises les membres du sérail dont les uns et les autres sont issus. Et au lieu de réformes attendues, on aurait un bain de sang-réel ou figuré- dont le peuple serait de nouveau le spectateur impuissant.
UN SYSTÈME SANS CONTREPOIDS
Le système politique actuel n’admet pas de contre poids au pouvoir de celui qui exerce la magistrature suprême; et compter sur la sagesse du candidat qui promettrait de passer de l’adhésion pleine et entière et sans réserve à ce système de gestion des affaires du pays à un système plus équilibré d’exercice du pouvoir suprême, est prendre ses désirs pour des réalités.
C’est dans leur déclaration d’adhésion à la démocratie pluraliste que ces candidats-maison sont les moins crédibles. Ils ne feront rien, une fois parvenu au pouvoir suprême, pour le changer et mettre à sa place un système qui restreindrait leur liberté d’en faire à leur tête, tout comme celui qu’ils critiquent avec tant de hargne. Tout simplement, la démocratie est, dans ce pays, un mouvement ressortissant du débat intellectuel, non de la pratique politique traditionnelle.
QU’EST-CE DONC QUE LA DÉMOCRATIE?
De plus, on sait que la «démocratie» est devenue un slogan, si ce n’est un cri de guerre , et même si ce n’est un prétexte d’intervention armée directe, contre les pays qui contreviennent aux nouvelles règles de l’ordre international. Le concept est d’autant plus dangereux, si ce n’est destructeur, que son contenu n’a pas de définition uniforme. La pratique démocratique, telle qu’elle est vécue ailleurs, favorise, certes, la liberté individuelle tant qu’elle ressortit des affaires strictement privées, mais enlève toute influence aux citoyens dans les domaines essentiels de l’économie, de la défense et des relations internationales.
La pratique politique démocratique est une fiction habilement entretenue par les hommes de pouvoir et d’argent pour dissimuler une réalité politique où le peuple ne connait pas des décisions les plus cruciales à son existence. Tout citoyen n’est en fait qu’un sujet qu’on berce-en le laissant agir comme il l’entend dans sa vie personnelle, en l’abandonnant à toutes ses turpitudes les plus basses, en l’encourageant même à se droguer,-de l’illusion qu’il est la source du pouvoir.
DÉMOCRATIE ET STABILITÉ POLITIQUE
Si, par malchance, on établissait un système démocratique à la mode occidentale, quelles forces économiques, financières, nationales ou étrangères, manipuleraientelles les mécanismes du pouvoir pour faire prendre les décisions qui les arrangent? Quelles distorsions anti nationales et islamophobes seraient convoyées, sous l’influence de puissances étrangères, par une presse qui confondrait liberté d’expression et propagande antinationale et reprise servile des slogans antipathiques à la culture nationale, pour ce qui en reste, et à l’unité nationale tant menacée?
Jusqu’à quelles extrémités irait-on pour accentuer les discordes sous couvert d’exercice de la liberté d’opinion? Ne voit-on pas cette sacro sainte liberté d’opinion s’exercer de manière unilatérale au profit exclusif de certaines idées et au détriment d’autres dans les pays qui s’en réclament tout en exerçant une censure sournoise et hypocrite sur les idées qu’ils n’aiment pas?
Comment définir la laïcité dans un pays où la religion a perdu tout rôle autre que social et où la place de la charia a été réduite à la portion congrue? Comment croire à la laïcité occidentale quand sa civilisation se proclame judéo- chrétienne, quand le génocide pour raison religieuses est accepté sur la Terre Sainte, et qu’une province d’un pays se proclamant laïc veut définir une laïcité fondée sur la Croix?
DES PROMESSES EN L’AIR
Le candidat qui fait croire qu’il aurait la capacité d’agir selon sa conscience, bonne ou mauvaise, dans l’exercice de son pouvoir, et qui promettrait aux Algériens une démocratie totalement copiée sur les meilleurs exemples étrangers est soit naïf, soit inconscient, soit incompétent; et dans les trois cas, il s’exclurait de la course au pouvoir suprême. Un système politique est un ensemble complexe d’échange de services et d’équilibre d’intérêts matériels et moraux qu’il est difficile de changer sans usage de la violence extrême.
POLITIQUE INTÉRIEURE ET RELATIONS INTERNATIONALES
De plus, dans ce monde où la distinction entre politique nationale et politique étrangère est de plus en plus difficile à maintenir, où la moindre décision interne a des répercussions sur les rapports avec tel ou tel pays, y compris dans le domaine de l’éducation ou du droit de propriété, encore plus dans le domaine économique, sous le couvert de la mondialisation qui constitue une machine à appauvrir les plus pauvres au profit d’une minorité de plus en plus restreinte, il est sûr que les puissances étrangères, qui sont à l’affut de la moindre faille dans le système, pour renforcer leur influence, accentueraient leurs pressions et escaladeraient leurs formes d’intervention si elles sentaient que les réformes institutionnelles ou économiques portent préjudice à leurs intérêts.
Tout candidat qui fonderait son raisonnement sur une indépendance totale d’action n’intégrant pas l’élément étranger dans les calculs menant à telle ou telle décision intérieure, risquerait, au cas où il arrive au pouvoir suprême, de conduire le pays à des situations de crise qui pourraient rapidement se transformer en conflit violent et en tentatives directes et franches de déstabilisation, comme cela s’est produit sous le couvert de «printemps arabe.»
L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE : UNE CONDITION DE L’ÉVOLUTION POLITIQUE PACIFIQUE
Faut-il en conclure que les élections présidentielles n’ont aucune raison d’être, que la meilleure solution serait de nommer un président à vie? Cette conclusion est fausse, car elle ignore le fait que les élections ont le double objectif , non seulement de remettre le compteur à zéro dans la vie politique du pays, de permettre au président élu ou réélu d’avoir les mains libres pour mettre en oeuvre une politique qui rompe avec les errements du passé, et constituer une nouvelle équipe qui ne soit pas prisonnière des pratiques que l’on veut abolir, mais également à l’opinion publique d’exprimer avec clarté son voeu de voir renforcé la légitimité du chef de l’Etat.
LE SYSTÈME POLITIQUE DOIT SE RÉFORMER
Il ne fait pas de doute que le système politique actuel, dans ses errements, n’est pas viable à moyen terme, et qu’une nouvelle direction dans les domaines économique, politique et social, doit être adoptée, qu’une nouvelle moralité dans la gestion des affaires publiques soit respectée, qu’apparaisse une nouvelle pratique institutionnelle renforçant l’état de droit et donnant plus de poids à l’opinion publique, que soit plus transparente la gestion des grandes affaires du pays.
DES CANDIDATS ENVELOPPES-SURPRISE !
Les candidats, sous-produits du système, n’offrent pas les garanties de personnalité, de culture politique, d’indépendance intellectuelle, et de capacité de leadership permettant la continuité de l’amélioration dans la gestion du pays sans tumulte et sans violence. Leurs déclarations d’intention, que reflèteront, sans doute, leurs programmes de campagne, ne seront que des exercices de rédaction, de la pure rhétorique dont la mise en oeuvre n’est pas garantie par l’existence d’institutions de contre poids vivaces et dynamiques. Elire l’un d’eux serait aventureux, car, en fait, personne ne connait ni leurs convictions profondes, ni leur personnalité réelle. Ils sont autant d’enveloppes surprises qui ne seront découvertes que lorsqu’ils seraient définitivement investis du pouvoir suprême.
C’est le grand défaut du système de cooptation de mettre en avant des hommes en apparence tout acquis, mais en réalité munis d’une capacité de dissimulation qui ne se révèle qu’au dernier moment, lorsqu’il est trop tard. Quelles sont les convictions profondes et sincères de ces hommes qui sont passés de serviteurs serviles du pouvoir en place à opposants hargneux et revanchards? Personne ne le sait. Et surtout qu’on ne se fie pas à leur verbiage publicitaire qui dissimule plus qu’il ne révèle leurs vraies opinions. Leurs déclarations de principe, leur larmoiement sur les malheurs du pays ne sont qu’hypocrisie et cynisme, un machiavélisme de bas étage, une chaine de slogans auxquels ni eux, ni d’ailleurs beaucoup de leurs soutiens ne croit!
EN CONCLUSION
L’avantage du candidat déjà en place est qu’il est connu, avec ses qualités et ses déficiences, dont l’une des plus patentes est de s’être entouré d’hommes soit ingrats, soit incompétents, sont malhonnêtes, soit tous les trois à la fois, et de leur avoir accordé une confiance aveugle qu’ils ont exploité à leur avantage personnel, mais également avec une philosophie du pouvoir clairement exprimée et mise en oeuvre avec détermination, cohérence et continuité et sans concession. On peut aimer ou rejeter, certes, cette philosophie, mais elle a donné à ce pays la stabilité et la paix auxquelles aspire chaque Algérienne et chaque Algérien.
Tout a-t-l été parfait dans la poursuite de cette philosophie politique? Certes, non! Le positif l’a-t-il emporté sur le négatif? Et comment en juger? Crs questions sont ouvertes au débat, à condition qu’il ne cache pas une volonté de dénigrement sans réserve et sans pudeur de la part de ceux qui ont bénéficié de la générosité du système bien plus que le citoyen lambda, mais attendaient encore plus de retombées positives sur leur propre destin de la part du tenant du pouvoir suprême. Y avait-il une solution alternative à la gestion des affaires du pays, une route moins escarpée, semée de moins de scandales, de plus de prospérité?
Laissons les historiens du futur en discuter en leur propre temps. Et surtout qu’on ne transfère pas le débat sur les solutions technocratiques qui font fi des cheminements complexes de la démarche politique et simplifient jusqu’au simplisme les problèmes de changement de système et de valeurs sociales. Sans aucun doute, les quinze années de pouvoir donnent-elles au Président actuel une expérience de l’exercice du pouvoir, de la gestion des affaires de l’état, de la relation avec les grandes puissances, autant d’acquis qui font de lui, dans le contexte actuel, le meilleur candidat à la Présidence de la République.
Par Mourad Benachenhou