Face à une telle question, sans doute inattendue par les conférenciers, il leur fallait un trésor d’imagination et d’improvisation pour s’en sortir.
Vingt ans après sa mort, le défunt Mohamed Boudiaf, de son nom de guerre Tayeb El-Watani, continue à hanter la mémoire du pays. Non seulement celle de ses compagnons de lutte, ses amis, ceux qui l’ont sollicité à revenir au pays après des décennies d’exil avant qu’il ne finisse assassiné à Annaba le 29 juin 1992, par Boumaârafi, selon la version officielle, mais aussi celle des potaches.
Comme pour Abane Ramdane, l’architecte de la Révolution proscrit à ce jour des manuels scolaires, l’évocation de Boudiaf continue à provoquer une espèce de gêne, comme pour perpétuer un voile opaque sur un homme dont le sacrifice est légendaire et immortalisé par une chanson du défunt Matoub Lounès, au destin similaire. Dans un pays qui a fait de la culture de l’amnésie une stratégie de gouvernance, il est pour le moins remarquable que des élèves s’interrogent sur certains pans de l’histoire, mais surtout sur les circonstances de l’assassinat de Mohamed Boudiaf, son parcours et les raisons de son élimination.
L’association Machaâl Echahid, qui a organisé hier une conférence sous le titre “Halte de reconnaissance à Si Tayeb El-Watani”, animée par le professeur Mohamed Abbas en présence de certaines personnalités dont l’ex-ministre et figure de proue du FLN, Abderazak Bouhara, des étudiants, des collégiens et des lycéens ainsi que d’anciens compagnons du défunt, comme Tayeb Ethaâlibi, l’a vérifié, à ses dépens.
“Pourquoi l’a-t-on tué ?” a interrogé un adolescent, parmi une série de questions sur le défunt, aussi encombrantes les unes que les autres, certains élèves ayant eu même droit à des applaudissements. Face à une telle question, sans doute inattendue par les conférenciers, il fallait un trésor d’imagination pour s’en sortir. “Il savait que la mission était difficile, mais il a répondu à l’appel du pays. Ce fut une période transitoire qui ne lui a pas permis de faire son travail”, affirme le professeur Mohamed Abbas. Cet enseignant ne manquera pas de suggérer, à demi-mot, que le défunt gênait “certaines parties”. Interrogé, par ailleurs, sur l’initiative envisagée par Nacer Boudiaf, une pétition pour la vérité sur l’assassinat de son père, Mohamed Abbas répond que “c’est à la société civile de jouer son rôle, si son appel a des échos”. “Il faut que les Algériens sachent par qui et pourquoi il a été assassiné. Ce n’est pas un acte isolé. Et si la justice algérienne ne rouvre pas le dossier, j’irai, avec ma famille, devant la justice internationale”, avait affirmé, jeudi dernier, à Paris, Nacer Boudiaf, lors de la présentation de son livre L’Algérie avant tout. Auparavant, Mohamed Abbas s’est longuement étalé sur le parcours de l’ancien président du HCE, depuis son service militaire et les péripéties qu’il a connues par la suite, dont son opposition à l’état-major. “Il était exilé, mais son assassinat l’a fait beaucoup connaître”, observe-t-il. Ancien ami du défunt et compagnon de longue date, Tayeb Ethaâlibi a admis que l’assassinat de Boudiaf est “un crime politique parfait”.
Pour celui qui a créé la Fédération du FLN du Maroc, puis celle de Tunisie, la démarche du fils Nacer “est légitime”. Il a confirmé l’information donnée par Nacer Boudiaf selon laquelle Mohamed Boudiaf avait chargé, lors de sa prise de fonctions, des éléments des services, qui seront éliminés plus tard, pour enquêter sur les avoirs des dirigeants algériens à l’étranger.
Mais pour lui qui n’a pas pu contenir ses larmes lorsqu’on lui fait remarquer que beaucoup de questions posées par des élèves n’ont pas eu de réponse, “il y a des vérités qui ne peuvent pas être dites”. Il compte bientôt publier ses mémoires.
K.K.