Pourquoi le rapport sur la pénurie ne sera pas rendu public ?

Pourquoi le rapport sur la pénurie ne sera pas rendu public ?

Le président de l’Assemblée Populaire et Nationale, M. Abdelaziz Ziari, recevra aujourd’hui le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la pénurie de certains produits de large consommation. Mission accomplie donc ?

Bien entendu, les conclusions seront transmises au président de la République. Mais les citoyens seront privés de vérité. Si tant ce fameux rapport pouvait en contenir une. Car dans un communiqué rendu public, samedi, il a été indiqué que le rapport de la commission sera remis au président de l’APN par les membres de la commission d’enquête, lors d’une réunion à huis clos, vu la spécificité de ce document. Quelle spécificité ? Motus et bouche cousue. Secret-défense, manifestement. Comme d’habitude, sous nos latitudes, il y a eu une levée de boucliers avec des accusations très graves portées contre certains industriels, et in fine pour quel résultat ? Le citoyen n’en saura rien. Première victime mais le dernier à être informé de ce qui le concerne directement.



Les commissions d’enquête

L’installation de commissions d’enquête est une vieille ficelle dont le système s’est toujours servie pour désamorcer une crise ou détourner l’attention des citoyens. Ainsi, près de huit longs mois que la commission mène son enquête sur ces fameuses pénuries qui ont failli embraser l’Algérie pour accoucher d’un secret gardé par une poignée de personnes haut placées. Ce n’est toutefois plus une nouveauté : à contre-emploi, les commissions d’enquête sont installées pour étouffer les affaires, pas pour les élucider.

La preuve ? Toutes les commissions mises en place depuis pas mal d’années ont fini en queue de poisson. Aucune n’a vértitablement débouché sur un procès digne de ce nom. Celle sur l’assassinat de Boudiaf, sur l’assassinat de 127 jeunes Kabyles en 2001 par des gendarmes, celle sur la fraude électorale de 1997 non plus n’ont jamais abouti. Pour les victimes du printemps noir, feu professeur Issad avait mis les mots sur les responsables de cette tuerie. Mais le président s’est dédit et a classé le rapport sans suite. Concernant la fraude aux législatives, à l’époque c’était le RND, à sa tête Betchine et Ouyahia qui avait tiré les marrons du feu de cette élection. Le premier coule une retraite dorée, le second est premier ministre.

Que sait-on des terribles événements de Berriane ? Ou encore du scandale Khalifa. Pour cette dernière affaire, quelques petits poissons ont été mis en prison mais les requins, qui ont bénéficié de millions sont passés, paradoxalement au travers des mailles des filets de la justice algérienne. Aujourd’hui comme hier, la justice de notre pays ne brille pas particulièrement par son intégrité et impartialité dans le traitement des scandales économiques. Plus loin dans le temps, il y a bien sûr les fameux 26 milliards évoqués par l’ancien ministre Abdelhamid Brahimi. Et plus actuellement, les dessous de table et autres commissions perçues dans le cadre de la réalisation de l’autoroute Est-Ouest. C’est pour dire que notre république est jalonnée de scandales jamais élucidés.

Le rapport sur les pénuries sans suite

Les conclusions de ce énième rapport seront transmises dans une parfaite confidentialité à qui de droit qui le classera comme les précédents. La publication du rapport n’est pas prévue. Plusieurs obstacles, notamment, judiciaires et politiques afin de le garder discret, empêchent les députés de le faire savoir, argue le président de l’APN. Ce qui confronte les députés à un problème majeur et à une restriction d’un de leurs droits, à savoir le droit de s’informer sur le document après 30 jours de sa remise au président de l’APN.

Pourtant, l’article 88 de la loi organique régissant les relations entre les deux chambres du parlement et le gouvernement accorde la prérogative de publication de ce genre de rapport au bureau et présidents des groupes parlementaires après que le gouvernement ait donné son approbation.

La pénurie, un leurre ?

Bref. Au-delà de ce débat digne des apotiquaires, l’essentiel est ailleurs. Il y a un premier niveau qu’il faudra traiter. D’abord donc le contenu que peut avoir ce rapport. Est-il si impartial ? A-t-il mis les mots sur les vraies causes de cette pénurie ? Ses objectifs avoués ou non ?

Car, le contexte de cette fameuse pénurie était particulier. A l’époque, elle avait servi pour détourner l’attention des citoyens. Déplacer le débat politique vers une revendication purement alimentaire. Même s’il y avait pénurie (organisée ou pas ?), la population qui commençait à exprimer sa révolte contre le régime ne pouvait le faire parce qu’elle ne trouvait pas un litre d’huile ou un kilo de sucre. C’est franchement tenir en mépris l’Algérien que de le réduire à un tube digestif. C’est faire injure à la conscience politique de la population.

A partir de là, la vraie question est plutôt qui trouvait son intérêt dans cette pénurie ? Le pouvoir ou les lobbys comme essayent de le faire accroire certains députés de l’alliance ?

Sofiane Ayache