Pourquoi le message du général Toufik est important

Pourquoi le message du général Toufik est important

L’inimaginable est arrivé. Mohamed Mediène, alias Toufik, l’ex-patron des services secrets algériens durant les 25 années les plus dures de l’Algérie, l’homme dont on n’a que quelques rares photos non datées, le plus secret et le plus influent du « collège des prétoriens » de l’Etat profond s’est officiellementexprimé dans un message. Pourquoi est-ce si important ?

Parce que c’est une sortie inédite

Alors qu’il était au centre névralgique du pouvoir algérien depuis plus de 50 ans, chef d’orchestre de la nébuleuse des « services », les srabess comme ont dit en algérien, vaste réseau de police politique et de renseignement, de gestion de la guerre antiterroriste et de tout ce qui vit, bouge et respire en Algérie, Mohamed Lamine Mediène n’avait jamais pris la parole. La règle voulant que plus la parole est rare, plus elle précieuse, le message de l’ancien élève du KGB (dont la chambre d’étudiant à Moscou vient d’être baptisée en son nom après sa mise à la retraite le 13 septembre) est déjà historique dans les relations entre civils et militaires.

Parce que le motif de la lettre n’est pas ce qu’il y a de « plus » important

LG Algérie

Mediène conteste les cinq ans de prison infligés à l’un de ses collaborateurs, le général Abdelkader Aït Ouarabi, dit Hassan, figure de la lutte anti-terroriste, patron du Scorat (unité d’élite du renseignement), par la justice militaire le 26 novembre dernier pour « destruction de documents » et « infractions aux consignes générales ».

Consterné par l’annonce du verdict prononcé par le tribunal militaire d’Oran à l’encontre du général Hassan, et après avoir usé de toutes les voies réglementaires et officielles, j’ai estimé qu’il est de mon devoir de faire connaître mes appréciations

Le procès de Hassan n’est pourtant qu’une étape dans la guerre que livre Bouteflika au DRS. Le chef d’état major Ahmed Gaïd Salah, bras armé du chef de l’Etat, arrête et incarcère depuis l’été les généraux qui le gênent, autrement dit, ceux de la famille DRS : le général Hocine Benhadid, qui croupit depuis deux mois en prison pour « tentative d’atteinte au moral de l’armée », et le général Djamel Kehal Medjdoub, ex-chef de la garde présidentielle, qui a été condamné cette semaine à 3 ans de prison pour « négligence » et « non respect des consignes » dans une obscure affaire de coups de feu à la résidence d’Etat de Zéralda.

En sous-texte, le message défend aussi ces hommes.

Le plus urgent, aujourd’hui, est de réparer une injustice qui touche un officier qui a servi le pays avec passion, et de laver l’honneur des hommes qui, tout comme lui, se sont entièrement dévoués à la défense de l’Algérie.

Mais surtout, il dit que le DRS n’est pas mort. Que lui et ses hommes sont là pour défendre le pays alors que Gaïd Salah n’est là que pour défendre Bouteflika.

Parce qu’elle confirme la toute-puissance de Bouteflika

Alors que son état de santé ne lui permet pas d’avoir un agenda, Bouteflika ne peut pas se payer le luxe du consensus (règle de base intrinsèque au régime algérien, régissant les relations entre le DRS et la présidence) et de la collégialité de la décision héritée du maquis de la guerre d’indépendance. Après deux ans d’une opération de démembrement des services secrets et, en septembre dernier, la mise à la retraite de leur patron, Bouteflika a, du moins pour l’instant, gagné son pari : se débarrasser de ceux qui l’ont empêché d’accéder au pouvoir en 1978 à la mort de Boumediène et rester seul maître des mécanismes de sa succession, projet d’urgence à monter de manière unilatérale.