Pourquoi l’Algérie n’attendra pas 2040 pour exploiter les gaz de schistes

Pourquoi l’Algérie n’attendra pas 2040 pour exploiter les gaz de schistes

Abdelmalek Sellal a annoncé que l’exploitation des gaz de schistes n’aura pas lieu avant 2040. Faut-il le croire ? Non, analyse B. Mahdi, l’exploitation des  gaz non conventionnels ne relève pas du caprice car tous les indices montrent qu’un grave problème de disponibilité risque de survenir beaucoup plus tôt que prévu… Dans une dizaine d’années quand Sonatrach cessera d’être exportatrice de pétrole et de gaz…  L’exploitation des gaz de schistes n’est cependant pas la solution miracle, le vrai problème étant l’absence d’une politique énergétique pour brider une consommation qui explose.

Le gouvernement vient d’ajouter discrètement et sans fanfare une disposition dans la nouvelle loi sur les hydrocarbures qui obligerait, à sa demande, les producteurs étrangers opérant en Algérie à alimenter en pétrole et gaz le marché local. En bon français, cela s’appelle une réquisition. Dans la même loi, des dispositions spécifiques ont été ajoutées pour attirer les sociétés spécialisées dans les gaz de schistes. La question qui se pose alors est : en sommes-nous déjà là? Y’a-t-il un risque réel pour que la production Algérienne ne suffise plus à la demande locale à brève échéance?

Explosion de la demande locale

En moyenne sur les dernières années, l’Algérie a produit environ 80 à 90 Mds de m3 de gaz (dont 10 à 20 Mds par les étrangers) pour une consommation locale qui atteint les 30 Mds. Les projets en cours d’augmentation des capacités de production d’électricité de 12000 MW consommeront environ 15 Mds m3 supplémentaires. Même une croissance «modérée» de 4% par an de la demande des secteurs industriel et domestique, donnerait vers 2020 au final une consommation de 50 à 55 Mds de m3, soit à peu de choses près ce que l’Algérie a exporté l’année dernière. Donc, à l’horizon 2020 (c’est dans à peine 7 ans), l’Algérie consommera tout le gaz qu’elle produira, et il n’y aura que les étrangers qui exporteront le leurs. De plus, même le gaz qu’elle vendrait d’ici là sera bradé sur les marchés spot. D’où proviendra sinon le gaz qu’elle se propose de vendre avec des contrats à long terme sur 20 ans? Déjà les Espagnols qui se sont battus il y’a quelques années pour empêcher Sonatrach d’augmenter sa part dans Medgaz sont entrain de vendre la leurs. L’abandon programmé du Galsi n’y est pas étranger non plus. La situation coté pétrole n’est guerre meilleure. Là aussi les augures sont plutôt mauvais. Sur les 60 Mt produits l’année dernière (hors condensat), 45 Mt ont été exportés (y compris environ 15 Mt par les étrangers) et 15 Mt ont été consommées localement. Et là, même des prévisions approximatives sont difficiles, l’importation des voitures ayant explosé ces dernières années. En 2008, on estimait encore la croissance annuelle de la consommation à 4,5% en moyenne mais en 2011 elle était déjà de 15%. En supposant un rythme de croissance moins soutenu de 10%, la consommation locale en produits pétroliers horizon 2020 sera d’environ 32 Mt, soit le niveau d’exportation actuel de Sonatrach. Vers 2025, on consommera tout le pétrole produit. Bien entendu, tous ces scenarios sont basés sur l’hypothèse du maintien des niveaux de production actuels, ce qui est loin d’être évident, les réservoirs sont en rapide déplétion. Comme les exportations se tariront entre 2020 et 2025 et que l’Algérie importe presque tout, on peut en conclure qu’on sera ruiné dans une dizaine d’années…

Les gaz de schistes ne sont pas l’eldorado escompté

Le gouvernement croit trouver dans les gaz de schistes la planche de salut qui lui permettrait de prendre le relais des exportations. Il a fait des plans sur la comète sur des réserves supposées phénoménales en regardant les cartes de formations géologiques et en multipliant par la surface du territoire Algérien. Le problème est qu’en matière de gaz de schistes, tant qu’on n’a pas fait des petits trous pratiquement dans les conditions réelles d’exploitation, on n’en sait rien.  A la terminologie habituelle utilisée dans l’évaluation des réserves, prouvées (1P), probables (2P) et Possibles (3P), l’Algérie vient d’ajouter une 4eme catégorie, les réserves présumées (ou 4P). Il faudrait aussi s’attendre à une rentabilité beaucoup moindre que celle habituelle des hydrocarbures conventionnels car la technologie est totalement aux mains des étrangers et ceux-ci ne s’aventurent pas pour des marges de 10 ou 20%. Il faudrait que l’Etat fasse de réelles concessions sur sa part de production et sur la fiscalité et révise sérieusement ses prétentions en matière de transfert de technologie. Ceux qui comptent sur l’aspect écologique pour faire reculer le gouvernement se trompent. Il n’en a fait et n’en fera jamais cas devant les arguments sonnants et trébuchants.

Les climatiseurs et les voitures vont ruiner l’Algérie.

Et pendant ce temps, quelle est la politique énergétique du gouvernement et que compte-t-il faire pour empêcher cette catastrophe annoncée pour les finances publiques et pour le pays ? Va-t-il rationnaliser la consommation, initier les politiques de sa limitation pour essayer de repousser les échéances? Va-il se donner le temps pour que les énergies alternatives (gaz de schistes ou solaire) deviennent plus matures et plus rentables? Non, il accompagne le mouvement et veut même le précéder en projetant tout simplement de doubler en l’espace en quelques années la production de l’électricité et des carburants.

Il fait aussi de la diversion avec ses projets irréalistes tel que le plan sur les énergies renouvelables en oubliant cette vérité première: l’énergie solaire n’est pas encore rentable dans les pays où l’énergie est chère et a fortiori ne le sera jamais dans un pays où seulement une fraction du prix est payée.

Le plus consternant est que cette explosion de la consommation interne d’énergie n’est pas le fait d’un développement économique fulgurant qui pourrait prendre par les exportations la relève du pétrole. La réalité est plus navrante, ce n’est en faite que le résultat d’une augmentation du confort domestique par la multiplication des climatiseurs et personnel par celui des voitures.

Le temps où il faudra choisir entre le pain dans les boulangeries et les climatiseurs n’est pas aussi lointain qu’on le pense. En fait, si le gouvernement ne réussit pas à infléchir les trajectoires suicidaires de consommations domestiques d’électricité et de carburants, l’avenir morose qu’on redoutait pour nos enfants, on risque de le subir nous-mêmes à très brève échéance…