Pourquoi la sardine est si chere

Pourquoi la sardine est si chere

L’Algérien, consomme-t-il autant de sardines par an ? Certainement pas. Le poisson, notamment la sardine, qui était, il n’y a pas si longtemps, l’un des plats par excellence de bon nombre de familles, est devenu, par la force des choses, un produit de luxe pas toujours accessible pour les petites bourses. À un prix moyen de 250 dinars le kilogramme, le moins qu’on puisse dire, fait que le poisson n’est guère à la portée de tout le monde.

«Àce prix, je préfère débourser plus d’argent et m’acheter d’autresviandes» , estime Saïd, rencontré au marché Ali-Mellah, à Alger. Ce dernier n’est pas le seul à déplorer le fait de ne pouvoir voir, comme à une certaine époque, de « la viande blanche dans son assiette ». Les prix des poissons, ont, en effet, pris de l’envol. Une virée du côté des poissonneries de la Capitale renseigne sur le fait que, vu les prix affichés, la plupart des gens interrogés affirment que bon nombre d’entre eux ne « parviennent pas à consommer plus de trois kilogrammes de sardines par mois». C’est dire que le poisson est devenu, en attendant que le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques s’y penche objectivement, «un produit alimentaire de luxe» en Algérie, et le taux de consommation, selon les exigences de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), reste très bas, avec en moyenne 5 kg par habitant et par an. «Le prix de tout produit, pas uniquement celui de la sardine, dépend automatiquement de la règle de l’offre et de la demande», affirment les marins-pêcheurs.

PAS FACILE D’ÊTRE PÊCHEUR…

Souvent, la cherté des produits de la mer, comme leur rareté, sont imputées, dès le premier instant, aux marinspêcheurs. Selon bon nombre de consommateurs, ceux-ci ne semblent plus accorder d’importance à l’activité et de faire en sorte que la sardine soit disponible dans les poissonneries. À propos, Abderrahmane K., marinpêcheur, à la pêcherie d’Alger, indique que c’est comme pour la pomme de terre : quand elle se fait rare, la responsabilité est aussitôt imputée aux fellahs, dit-il.

«Sans rien savoir du dur métier que nous exerçons, les gens n’hésitent pas à nous faire porter le chapeau concernant la cherté et la rareté de la sardine et autres produits de la mer. Qu’ils viennent vivre, au moins une journée avec les marins-pêcheurs pour se rendre compte des conditions auxquelles nous sommes confrontés au quotidien», tonne-t-il. «Je suis marinpêcheur depuis près de 30 ans. Je me suis toujours dit que les choses changeront certainement un jour, mais voila qu’au lieu d’aller de l’avant, nous reculons », ajoute-t-il. Pourquoi donc cette situation ? À ses dires, la réponse est claire. Selon lui, à chacun son métier, mais le constat est que dans la pêche, les vrais gens du métier, ne pouvant répondre favorablement aux exigences, ont cédé sous le poids des dettes. À force de prêter une oreille attentive aux marins-pêcheurs, l’on se rend vite compte que les petits métiers, qui ne travaillent que, selon leurs dires, durant trois on quatre mois dans l’année, estiment que l’État les a laissés à leur triste sort. Les pêcheurs sont livrés à eux- mêmes. «C’est regrettable, mais on n’a jamais rencontré un responsable à la pêcherie d’Alger », disent-ils. Faisant un état des lieux, les marins-pêcheurs affirment aussi que des patrons n’ayant rien à voir avec le métier, «usent de leurs connaissances afin de se faire une place privilégiée au sein des ports de pêche et, ainsi, monopoliser les sorties en haute mer avec leur matériel sophistiqué qui leur permet d’aller pêcher dans les plus grandes profondeurs ».

Et ce n’est pas tout. Pour illustrer leurs dires, les marins-pêcheurs sont unanimes à assurer que la vétusté de la plupart des chalutiers et autres bateaux de pêche est pour beaucoup dans le désastre. Dans ce cadre, Abderrahmane K. revient à la charge et dira que, lui personnellement, possède un chalutier à l’arrêt depuis près de deux ans. « Le Raïs (nom du chalutier) m’a coûté beaucoup d’argent.

Datant de 1986, il a suffisamment pris le large et je pense qu’il est temps de le mettre à l’arrêt, quoique je n’ai vraiment pas le choix d’admettre que l’une des ressources de ma famille ne le soit plus. Avec mes maigres revenus ainsi que mes dépenses colossales, il me serait impossible de me permettre un nouveau bloc moteur pour mon chalutier », regrette-t-il. Abordant, toujours, le chapitre des problèmes que rencontrent les pêcheurs, un ami à lui, assis à ses côtés, citera, comme pour appuyer les dires de Aderrahmane, l’inaccessibilité à la pièce détachée (dans le cas de sa disponibilité) «car ce n’est pas tout le temps le cas», ditil. Le deuxième problème est celui des filets. On met en évidence le risque éventuel pour un pêcheur, quelle que soit son expérience, de perdre en une journée un chalut pour peu que ce dernier s’accroche à un rocher. Et le fil à réparer coûte pas moins de 2 000 dinars la bobine d’un kilo. S’agissant du prix de vente du poisson, jugé très élevé par les consommateurs, l’armateur le justifie par le prix excessif, à ses yeux, du gasoil.

20 MILLIONS PAR MOIS POUR LE GASOIL

Aderrahmane en a gros sur le coeur. Il affirme débourser pas moins de 20 millions de centimes de gasoil mensuellement. Et, toujours selon lui, si l’État veut réellement faire baisser le prix du poisson, la première chose à faire est de subventionner le prix du gasoil pour les pêcheurs. Car, enchaîne-t-il, il ne serait pas du tout facile de débourser une telle somme pour un réservoir de 3 000 litres sans savoir si la prise serait bonne ou pas. «Il nous arrive souvent, notamment en période hivernale, de prendre le large, faisant face à une mer agitée pour revenir au port bredouille. Ce sont, là, des pertes sèches qu’on subit à nous seuls, sans subvention aucune », s’exclame-t-il.

LA PÊCHE À LA DYNAMITE EST POURTANT INTERDITE

La liste des doléances des pêcheurs est encore longue. Ils se plaignent également du fait que le large soit menacé. Selon eux, il est inconcevable d’ignorer ce point primordial de la pêche à la dynamite.

« La quantité à pêcher a, certes, diminué, mais le peu qui reste n’est plus à même d’être pêché à cause de l’usage fréquent de la dynamite à la place du filet, par bon nombre de pêcheurs, à l’image de ceux des ports de Bouharoune, Mostaganem, Oran et Bouzedjar. Pourtant, la législation est claire : la pêche à la dynamite est interdite. Suite à quoi, selon les marinspêcheurs, c’est toute la chaîne vitale qui est perturbée. Le poisson est très sensible, pour qu’il puisse s’accroître, il lui faudrait un climat approprié. Dans le cas contraire, et si cela continue à ce rythme, nos eaux seront désertées», regrette-t-on encore.

L’ASSURANCE ? CONNAIS PAS…

L’assurance, sous toutes ses formes, semble être un produit méconnu des marins-pêcheurs. «On n’en entend que parler. Ce qui est sûr et certain est que la plupart d’entre nous craignent de se retrouver dos au mur une fois atteint l’âge de la retraite. Que faire, alors, avec une retraite de 12 000 dinars », s’interrogent- ils. S’agissant de l’assurance du matériel, cette dernière n’est à la portée, selon eux, que des grands patrons, car à leurs dires, il est quasiment impossible de répondre, à eux seuls, à tous les frais.

LES CAISSES EN PLASTIQUE : DÉCISION PRÉCIPITÉE

Dans ce cadre, Abderrahmane K. n’était pas le seul à assurer qu’il est difficile (du moins pour le moment) de recourir à ces caisses. «On ne peut pas utiliser les caisses en plastique. Le ministère s’est précipité à dicter leur usage. Nous ne sommes pas préparés à remplacer les caisses en bois par celles en plastique car ces dernières, non seulement sont coûteuses, mais également ne nous facilitent pas le conditionnement du poisson », déclarent-ils. On tient, fort à propos, à apporter certaines précisions: les caisses en plastique, contrairement à celles en bois, doivent impérativement être accompagnées tout le temps de glace. Chose que les pêcheurs ne peuvent faire, eux qui ne sont pas sûrs que la prise soit bonne. Autrement dit, des fausses dépenses qui ne peuvent pas être assumées.

UN MINISTÈRE DEPUIS 2000

Dans le souci d’apporter des réponses, du moins concernant l’envol quasi épisodique des prix des produits de mer, nous nous sommes rapprochés du ministère de tutelle. Et c’est Yasmina Khazar, conseillère du ministre et également chargée de la communication qui nous reçoit dans son bureau. Elle dira d’emblée que le secteur de la pêche était depuis l’indépendance, balloté d’un département à un autre.

Du ministère des Transports, à celui de l’Agriculture passant par le ministère de l’Hydraulique, à l’Agriculture, en Secrétariat d’État, ce secteur n’a eu son propre département qu’en début 2000. Cet état des lieux a fait que le secteur, selon elle, ne soit pas stable institutionnellement, connaissant ainsi des entraves et des obstacles. Ceci dit, enchaînera-t-elle, le ministre de la Pêche et un département très jeune. En dépit de tout cela, les différents ministres ayant occupé ce poste ont établi une politique de développement sectorielle qui s’est traduite à son tour par le plan de relance économique du secteur de la pêche de ces deux volets, à savoir, la pêche halieutique et aussi l’aquaculture. Des efforts ont été consentis pour la remise de l’activité de la pêche sur les rails. Dans ce contexte, Khazar Yasmina, indiquera que des chantiers navals dans la réparation et la construction navale ont été entamés sur l’ensemble des 14 wilayas du littoral. «Des ateliers de construction de matériel de pêche et de conserverie comme l’attestent les statistiques. Avant cette date, à titre illustratif, l’âge moyen de la flottille était de 25 ans, or de nos jours, l’âge moyen est de 14 ans.

Ce qui ne s’explique que par le fait d’avoir entamé à grande enjambée le renouvellement de cette flottille permettant ainsi aux pêcheurs d’exercer dans les meilleures conditions possibles », dira-t-elle. Sur un autre registre, l’oratrice estimera que l’aquaculture, elle aussi a été depuis toujours le centre d’intérêt du département de la pêche et des ressources halieutiques. «Car, on est contraints d’aller vers l’élevage qui est l’avenir et dont les résultats sont très satisfaisants. Pour preuve, la ferme marine d’Azeffoun, dans la wilaya de Tizi Ouzou, ajoutée à celle du complexe de Ouargla, sont en phase de production. Grâce à cette dernière (complexe de Ouargla) les habitants du sud, contrairement aux années précédentes consomment régulièrement du poisson frais», précisera l’oratrice.

Par ailleurs, aux dires de la conseillère du ministre, d’autres projets similaires sont également en cours de réalisation et de parachèvement pour bon nombre de ces projets, entres autres les ports, les zones d’échouage et les abris de pêche, dont la prise en charge financière était garantie par le département de la pêche de même celui des travaux publics. En somme, ce sont, selon elle, les plus grands axes auxquels s’est attaqué le ministère de la Pêche en dix ans d’existence.

L’AFFICHE DES PRIX DANS LES POISSONNERIES «ÉLECTRONISÉE»

À la question de savoir le pourquoi du comment de la cherté des produits de la mer, Khazar Yasmina dira qu’avant d’aborder la question de la cherté de la sardine dans nos marchés, il faudrait parler en préambule, des projets structurants encadrant toute l’activité de la pêche. Et là, enchaînera-telle, les gens semblent ignorer une chose très importante , c’est que la commercialisation des produits de la mer ne dépend nullement du département de la pêche. «Le commerce a son propre département, et c’est à ce niveau que la question doit être posée.

Une fois que le produit est mis sur le marché, sa régulation est du ressort du ministère du Commerce», dira-t-elle à ce propos. Et d’ajouter : Notre prérogative au ministère de la Pêche est de préserver la ressource en tant que telle. Mais cela ne nous empêche pas d’aller chercher les solutions possibles pour une meilleure fluidité et traçabilité du produit, ainsi que de lutter notamment contre la spéculation. Dans ce contexte, à ses dires, il est mis en place un vaste programme de réalisation de poissonneries, dont 13 ont été lancées.

3 seront bientôt achevées. Une à Boumerdès, l’autre à Jijel et une autre à Collo. Ces poissonneries-pilotes, précisera la chargée de communication au ministère de la Pêche, seront dotées chacune d’un tableau d’affichage électronique, où les prix seront visibles par tout le monde contrairement aux anciennes méthodes où les prix sont fixés de bouche à oreille. Autrement dit, la vente se fera d’une manière plus transparente. Cette nouvelle technique, selon elle, permettra également d’avoir une idée bien précise des stocks. Dans le même ordre d’idée, deux laboratoires de qualité marine sont réalisés, un à l’Est et un autre à l’Ouest, en attendant celui du Centre, indiquera-t-elle.

130 000 TONNES PÊCHÉES EN 2009, DONT 80% DE POISSONS BLEUS

Parlant de l’investissement, la conseillère du ministre, indiquera en outre que ce créneau a été depuis toujours réservé aux opérateurs économiques. Pour appuyer ses dires, elle citera entre autre, un privé qui a mis à la disposition des pêcheurs de Boumerdès un portique de grand tonnage pour la réparation des chalutiers. En langue de chiffres, selon l’oratrice, ce sont 130 000 tonnes qui ont été pêchées, au cours de l’année 2009, dont 80% de poissons bleus. Pour les 20% restants ils concernent le poisson blanc, affirmant par ailleurs que ce sont 34 ports et abris de pêche qui sont exploitables. Sur un autre volet, Khazar Yasmina, affirmera que l’Algérie, en partenariat avec les Espagnols, a réalisé en 2004 des études d’évaluation.

Des études, permettant à ses dires, d’avoir une idée globale des réserves «pêchables». Cette même étude a fait ressortir que l’Algérie ne dispose que de 600 000 tonnes de stocks «pêchables», dont seulement 220 000 tonnes sont exploitables afin d’assurer la pérennité des ressources. Car, aucun programme ne peut se faire sans se baser sur une étude bien définie, assurera-telle. En outre, selon l’oratrice, la population algérienne n’est plus celle des années 1980. Autrement dit, la demande s’accroit et l’offre est minime. C’est ce qui fait que le prix soit élevé. L’une des autres raisons de la rareté du poisson avancées par la conseillère du ministre, c’est que le linéaire des côtes ne peut en aucun cas être une référence de la quantité «pêchable». Elle citera à titre d’exemple, la Mauritanie où les côtes ne sont que de 700 km, or la quantité pêchable est double. Enfin, Khazar Yasmina, abordant les caisses en plastiques qui devaient remplacer celles en bois dès le mois de mars dernier, dira qu’un nouveau délai a été fixé aux intervenants de la chaîne alimentaire et que ces derniers ont jusqu’à la fin de l’année pour s’y conformer et cette décision est irrévocable. S’agissant du cas Ecorep, la conseillère du ministre se contentera juste de dire que l’Ecorep est un cas qui n’est pas du ressort de notre département. Mais ce qui est certain, selon elle, c’est que l’entreprise a bénéficié d’une enveloppe assez conséquente de la part du département de la pêche.

Farid Houali