Pourquoi la Bourse en Algérie n’est qu’un slogan de plus

Pourquoi la Bourse en Algérie n’est qu’un slogan de plus

Le ministre des Finances a annoncé dernièrement des projets d’introduction en Bourse d’un certain nombre d’entreprises publiques à hauteur de 20% dans le but de donner plus d’animation à cette institution moribonde, sans que ce soit une privatisation, a-t-il ajouté. Le projet a-t-il une chance de réussir ? Non, car manifestement on n’a pas encore très bien compris à quoi sert une bourse des valeurs…

L’ACTIONNAIRE, DERNIER RECOURS

Une bourse est tout d’abord un instrument de financement des entreprises. Quand une entreprise y recourt pour chercher les moyens financiers nécessaires à son développement, elle y va après avoir épuisé toutes ses autres sources de financement. Le mieux pour elle c’est d’avoir des prêts bancaires dont les coûts sont en principe bien cernés. Si elle ne peut entraîner les banquiers dans son développement, elle cherche du côté des emprunts obligataires en direction des investisseurs institutionnels ou du grand public. Si elle a encore du mal à intéresser les emprunteurs, elle va à travers la Bourse chercher des actionnaires qui ne sont en définitive que des associés avec qui elle va partager en principe ses bénéfices. Si ces derniers sont assez nombreux et surtout bien organisés, ils peuvent avoir un droit de regard sur la gestion de l’entreprise, voire changer le management s’ils estiment que l’actuel ne dégage pas assez de valeur. Comme on le voit, l’actionnariat public (comprendre par là la Bourse) n’est pas l’option préférée des entreprises ; même si par ailleurs elle n’est pas dénuée d’avantages comme de mettre à contribution les actionnaires à chaque fois qu’on a besoin d’eux par des augmentations de capital qu’ils sont plus ou moins obligés de suivre s’ils ne veulent pas être dilués.

Qu’en est-il des entreprises appelées à s’introduire en Bourse. On remarquera tout d’abord qu’en principe, il s’agissait d’une entreprise par secteur, mais on a choisi par exemple pour le domaine de la construction Cosider, une entreprise vivant exclusivement des commandes de l’Etat et ayant en gros que du personnel à son actif. On a soigneusement évité par exemple les cimenteries qui, malgré leur mauvaise gestion, restent bénéficiaires dans un marché du ciment chroniquement en pénurie. Pour les deux autres secteurs de la banque et l’assurance, elles sont dans un secteur semi-concurrentiel protégé par la Banque d’Algérie. Est-ce que ces entreprises ont réellement des problèmes de financement ? Non ! L’Etat propriétaire est toujours là pour leur apporter les financements directement par les banques qui lui appartiennent aussi ou indirectement par le budget et donc la rente pétrolière. Ont-elles besoin de solliciter l’épargne des particuliers? Non, ils leur prennent déjà leur argent sans demander leur accord à travers les impôts ou leur quote-part de la rente. Aller s’enquiquiner avec les règlements de la Cosob et les obligations de transparence qui vont avec quand on sait qu’il y a nombre d’entreprises publiques qui ne publient même pas leurs comptes alors qu’elles y sont tenues par la loi…

UNE BOURSE SANS ECONOMIE DE MARCHE

Du point de vue de l’actionnaire individuel, l’affaire n’est guère plus engageante. Compte tenu du faible flottant, cet actionnaire ne peut espérer aucun droit de regard sur la gestion de l’entreprise. Il n’y a pas de raison qu’elle ne continue à être gérée par-dessus la jambe comme avant, n’ayant de compte à rendre qu’au ministre ou au potentat qui a mis le management en place. Les coups de téléphone, les sureffectifs, les détournements, il n’y a pas de raison que cela change. L’augmentation de la valeur des titres est à écarter car n’ayant aucun attrait spéculatif : ils ne peuvent faire objet d’aucune offre d’achat (OPA). En outre, la non-liquidité des titres à la Bourse d’Alger risque de plomber durablement la valeur des titres. Peut-il espérer se rabattre sur une rémunération par les dividendes? Rien n’est moins sûr. Dégager du résultat n’est pas dans la culture des entreprises publiques et ne fait pas partie de leur ADN. On leur demande tout, employer les gens, acheter des clubs de football, mettre à disposition du wali le matériel, faire du social dans les régions en maintenant des structures déficitaires, etc. mais faire du bénéfice, non. C’est secondaire à moins qu’elles ne puissent faire autrement comme lorsqu’elles sont dans une situation de monopole ou lorsqu’elles sont dans des secteurs d’activités protégées. Dans le cas où ces entreprises seraient bénéficiaires, l’actionnaire doit s’assurer que leur situation réglementaire ne changerait pas dans le futur. Car il ne faut pas se leurrer, si elles gagnent encore de l’argent c’est parce que l’Etat protège leur secteur de la concurrence privée locale et surtout étrangère. Tout le monde a en mémoire l’exemple d’Eriad Sétif qui était bénéficiaire lors de son introduction en Bourse et qui a plongé immédiatement dans les déficits dès que le secteur des minoteries a été ouvert au privé. Finalement, acheter une action d’une entreprise publique serait-il financièrement une bonne affaire? Indépendamment du prix, il faudrait que le dividende distribué soit au moins égal à l’inflation (près de 9% tout de même l’année dernière) pour que déjà l’on ne perde pas de l’argent…

En fait, les décideurs en Algérie ne voient la Bourse que comme un slogan, un critère de plus dans la checklist à cocher pour montrer au business mondial que l’Algérie dispose d’une économie de marché, en gros une formalité à remplir pour améliorer le classement Doing Business. En réalité, ils ne lui voient aucun intérêt pratique et ne voient pas exactement quel rôle elle pourrait jouer dans un système économique algérien qu’on pourrait qualifier de mi-étatisme, mi-capitalisme des copains et des coquins. C’est en définitive une économie de marché comme l’est la démocratie, de façade seulement