Si Karl Marx disait que la religion est l’opium du peuple, chez nous en Algérie, notre opium c’est le football.
Les contrebandiers qui distribuent cette drogue gracieusement au peuple, c’est le pouvoir en place via sa télévision et les torchons de journaux qui sont à son service. Pour dissimuler et faire oublier momentanément ses échecs, sa corruption et sa destruction de l’État algérien, il transforme toute victoire de l’équipe nationale de football en réussite de sa gouvernance.
À chaque match, les portraits du président de la République sont portés dans les rues et sur les toits des voitures, accompagnés de youyous et de slogans en faveur de ce glorieux Monsieur. Ces regroupements sont transmis en direct sur la chaîne du pouvoir au moment où tout attroupement pour les droits de l’homme ou pour la liberté est réprimé avec une rare violence.
Oui, je ne supporte pas cette équipe, car j’aime trop ma patrie et ce n’est pas un ballon en caoutchouc qui me fera oublier mon indépendance volée et ma patrie violée. Ce n’est pas un tremblement du filet qui effacera de ma mémoire mon identité troquée contre une autre importée.
Ce n’est pas le sifflement d’un arbitre, qui me fera oublier ceux qui m’ont mis dans les oubliettes, qui ont rendu ma langue muette et qui ont dérobé le fruit de notre lutte.
Ce n’est pas un coup franc près des bois, qui me fera oublier les sans foi ni loi, qui ont transformé ma joie en chagrin, mon bonheur en malheur et mon espoir en désespoir et qui ont fait de moi une risée aux yeux des civilisés.
Ce n’est pas un hors-jeu, qui me fera oublier ces odieux, qui prononcent sans cesse le nom de Dieu et qui encouragent les fous à incendier les lieux au nom du maître des cieux.
Ce n’est pas un penalty, qui me fera oublier les pyromanes de la cité, qui ont transformé les universités en écuries, les charlatans en savants, qui ont accusé les érudits d’hérésie et qui liquident nos lucides.
Ce n’est pas un corner, qui consolera nos mères du sang de nos frères qui a irrigué cette terre très chère. Un corner n’est qu’un tir d’un coin du terrain, il ne sera jamais la main qui nous sortira du ravin.
Ce n’est pas une touche, qui me fera oublier ceux qui ont mis nos richesses dans leurs poches, qui ont bâillonné les bouches qui ont fait des enfants des têtes de cloches. Ce n’est pas en marquant un but qu’on arrêtera notre chute et ce n’est pas en faisant la fête qu’on remplira de savoir les têtes.
Ce n’est pas la victoire de nos joueurs qui fera notre gloire, mais c’est la perfection dans les sciences et les arts, qui fera de nous une nation phare et qui nous sortira de ce Douar.
Voilà pourquoi, j’ai du mal à supporter cette équipe de football.
Rachid Mouaci