L’objet de cette présente contribution est de comparer les coûts de l’usine de Tanger et celle prévue à Oran en Algérie, sans passion, privilégiant les indicateurs économiques.
Et ce, pour savoir si l’usine d’Oran sera rentable dans le temps. En management stratégique, ll n’appartient pas à une entreprise publique ou privée de faire du social, devant être rentable face à la concurrence internationale, mais à l’Etat régulateur.
1.- LE CAS DE RENAULT TANGER
Au départ la production de Renault Tanger est de 200.000 unités an devant aller vers 400.000 unités horizon 2014/2015. Le projet est localisé sur 300 hectares avec toutes les utilités avec une capacité de véhicules à bas coût. Le véhicule familial Logdy, dernier né de Dacia, la branche « low-cost » du groupe Renault, sera fabriqué dans cette nouvelle usine.
Destiné en premier lieu aux marchés émergents, il sera également commercialisé en Europe. Cette unité profitant du bas cout de la main d’œuvre pourrait créer 6.000 emplois directs et 30.000 indirects dans le nord du Maroc. Des fournisseurs de premier rang ou de sous-traitants sont déjà implantés dans la zone franche d’exportation, située en face de l’Espagne.
Cette unité bénéficie d’une exonération d’impôt sur les sociétés pendant cinq ans, allégements de TVA, subventions pour la formation, aides financières à la construction. La structure du coût du projet selon différentes sources et les documents en notre possession, est de 1,1 milliard d’euros engagés en 2 tranches, lancée, bénéficie de 640 millions d’euros.
Les fonds propres engagés pour ce projet, capital et comptes courants, s’élèvent à 240 millions d’euros répartis entre Renault Nissan France et la Caisse de Dépôt et de Gestion marocaine respectivement à 51 % et 49%.
L’apport financier du constructeur automobile français qui apporte donc 122,4 millions d’euros contre 117,6 millions d’euros pour la CDG contribuant ainsi qu’à concurrence de 11,12 % du 1,1 milliard d’euro, l’essentiel étant son apport en technologie et savoir faire. Le fonds Hassan II est l’un des plus importants contributeurs au projet pour un montant de 200 millions d’euros sous la forme d’un prêt à un taux d’intérêt bonifié à la société Renault.
Trois autres banques marocaines Attijariwafa Bank, le Groupe Banques Populaires et BMCE Bank, se sont engagées à financer le projet à hauteur de 105 millions d’euros, à parts égales essentiellement les investissements relatifs au projet en équipements et génie civil.Elles financeront également les sous-traitants d’environ 80 entreprises qui vont s’installer dans la région pour accompagner la fabrication des voitures par Renault sur le nouveau site.
Le reliquat de 95 millions d’euros, (plus d’un milliard de dirhams), sur le montant total de la première tranche de l’investissement représente les subventions de l’Etat marocain sous formes de terrains aménagés hors site de plusieurs hectares, notamment des interventions de l’ONCF, l’ONEP et Tanger Med où toutes les infrastructures portuaires sont mises à disposition du projet ainsi qu’un espace de stockage de plusieurs hectares réservé sur le port pour parquer les voitures en attente d’exportation.
La deuxième tranche est d’environ 460 millions d’euros (plus de 5 milliards de dirhams) et sera financé en partie par les cash flows dégagés et à concurrence de 40 % à 60% par dettes.
2.- LE CAS RENAULT ALGÉRIE
L’usine produira dans le cadre de la règle 49/51%, l’Etat algérien étant majoritaire notamment la Renault Symbol, un modèle dérivé de la dernière Logan sans aucune exportation en direction de l’Europe, le gouvernement algérien s’étant engagé à ne pas autoriser d’autres constructeurs à s’installer en Algérie pendant une période de trois années ce qui contredit les règles élémentaires de l’Accord que l’Algérie a signé avec l’Europe et surtout des perspectives d’adhésion à l’organisation mondiale du commerce qui prohibent toute restriction au libre échange.
Il est étonnant donc que le ministre de l’Investissement donne un montant de l’investissement de 1,1 milliard d’euros encore de son côté, une source proche de Renault a indiqué à l’AFP que « l’investissement initial est de 50 millions d’euros », sans donner de précisions sur le montant que le constructeur investira à terme dans l’usine.
Or la capacité représente 25.000 unités divisé par 2.000.000 à Tanger soit 1% des capacités de Tanger au départ et 75.000/4.000.000 soit 1,8% à la vitesse de croisière.
Pourquoi dès lors le même montant d’investissement que celui de Tanger ? Par ailleurs le nombre d’emplois créés annoncés par les pouvoirs publics de 8 000 postes d’emplois directs et 20 000 autres indirects donnerait une productivité en Algérie largement inférieure à celle du Maroc où nous assisterions alors à des emplois rentes subventionnés par le Trésor public.
Car il faut savoir que la capacité moyenne pour des voitures de gammes moyennes s’adressant à un large marché, fonction de la stratification des revenus de chaque pays, doit être de plus de 300.000 unités /an ce qui alourdira l’amortissement pendant au moins quatre à cinq ans.
Il ne sera jamais question que Renault supporte les surcoûts et produise les mêmes gammes qu’à Tanger car en France existe une opposition et une transparence des comptes et que c’est la rentabilité économique qui doit primer. Pendant la période d’exonérations fiscales et d’avantages accordés par le gouvernement algérien via l’agence l’ANDI, l’unité pourrait tenir face à ses concurrents.
Mais aussitôt les avantages arrivés à terme, cette unité devra rembourser ses emprunts et payer ses charges fiscales et ce dans le cadre de la règle 49/51%. A ce moment là l’unité ne peut être rentable avec une capacité si faible.
A moins que l’Algérie supporte les surcoûts mais trop important par rapport au ratio capacité sur l’investissement annoncé. Par ailleurs le taux d’intégration souhaitable à terme devrait être au maximum de 50/60% , devant être réaliste en cette ère de mondialisation , n’existant nulle part dans le monde une firme avec une intégration de 100% et ce afin grâce à la sous traitance par des réseaux décentralisés afin de réduire les coûts et être compétitifs.
Le taux d’intégration de 42% annoncé par le ministre du secteur à l’occasion de la signature de l’Accord, ne sera effectif qu’au bout d’une certaine période.
Comment ne pas rappeler l’expérience du complexe de Roubia dont le taux d’intégration ne dépasse pas 20%, malgré plusieurs assainissements financiers et après plusieurs décennies d’expérience- précisément depuis les années 1970, faute de management stratégique notamment dont la ressource humaine, richesse bien plus importante que toutes les réserves d’hydrocarbures.
Aussi, les négociations entre le groupe Renault et l’Algérie doivent porter outre sur le transfert technologique et managérial, une « co-localisation » définie comme un partage de la valeur ajoutée entre la France et l’Algérie.
Et sur la production d’autres gammes avec une capacité extrapolée horizon 2015 d’un minimum de 250.000 à 300.000 unités par an, cette capacité étant forcément excédentaire dans la mesure où nous sommes dans une économie ouverte ou vous ne pouvez imposer aux consommateurs algériens, ni marocains, d’ailleurs d’acheter Renault.
En résumé, la rente des hydrocarbures 98% des exportations et les réserves de change qui en sont résultante et non le travail, plus de 193 milliards de dollars fin octobre 2012, étant la propriété de tout le peuple algérien, une explication urgente s’impose car dans la structure des couts, l’amortissement sera trop important par rapport aux normes internationales.
Comme j’ai eu à le démontrer récemment dans plusieurs interviews et contributions nationales et internationales parues entre octobre et décembre 2012, toute projet en Algérie doit rentrer dans le cadre des normes internationales évitant l’utopie néfaste des subventions à répétition du produit du cancer de la rente des hydrocarbures, subventions ciblées qui en peuvent être que transitoires.
En cette ère de Re-mondialisation, le véritable co-développement devra s’inscrire dans le cadre du Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique, qui à l’horizon 2030, sous réserve d’une meilleure gouvernance et la valorisation du savoir, l’axe se déplaçant de l’Asie, sera le continent qui dynamisera l’économie mondiale.
Par : Abderrahmane MEBTOUL* *Expert International