L’armée est en état d’alerte de crainte d’éventuelles violences après l’annonce des résultats de la présidentielle.
Les généraux égyptiens ont établi des règles politiques qui pourraient maintenir l’armée au pouvoir pendant des années, affirme l’un des principaux responsables des Frères musulmans qui exclut toutefois une riposte violente de la confrérie islamiste et un scénario « à l’algérienne ».
Dans un entretien accordé à Reuters, Saad al-Katatni, président du Parlement démocratiquement élu cet hiver avant d’être dissous la semaine dernière par le Conseil suprême des forces armées (CSFA), souligne que les opposants aux militaires ne sont pas armés et n’ont que des moyens « légaux et populaires » à leur disposition.
« Ce qui s’est produit en Algérie ne peut pas se répéter en Egypte », assure-t-il en rejetant les comparaisons entre la situation au Caire et la guerre civile des années 1990-2000 en Algérie, déclenchée par l’invalidation par l’armée des élections législatives de janvier 1992 que les islamistes du Front islamique du Salut s’apprêtaient à remporter.
Le conflit en Algérie a fait au moins 150.000 morts.
« Le peuple égyptien est différent et il n’est pas armé, dit ce biologiste de 61 ans. Nous menons une lutte légale via les institutions et une lutte populaire dans la rue. Ce sont les limites. C’est ainsi que je vois la poursuite de cette lutte. »
S’il souligne que « chacun doit se soumettre à la volonté populaire », Katatni salue aussi, comme d’autres responsables des Frères avant lui, le fait que l’armée ait poussé vers la sortie l’ancien président Hosni Moubarak et empêché une répression encore plus sanglante des manifestations, qui ont fait 850 morts du 25 janvier au 11 février 2011, date de la chute du raïs, aujourd’hui donné à l’article de la mort.
Par ailleurs, les Egyptiens ne connaîtront pas ce jeudi, comme c’était pourtant prévu, le nom de leur futur président. La commission électorale réclamant un délai pour l’examen des recours déposés par les deux candidats, Mohamed Morsi des Frères musulmans et Ahmed Chafik, issu des rangs de l’armée et du régime d’Hosni Moubarak.
Ce report alimente dans les cafés du Caire et sur les réseaux sociaux les rumeurs sur une intervention de l’armée, soupçonnée de préparer son déploiement dans les grandes villes du pays. De sources militaires, on répond que l’armée est simplement en état d’alerte de crainte d’éventuelles violences après l’annonce des résultats de la présidentielle.
La perspective d’une issue violente paraît cependant, pour l’heure, relativement lointaine
Les vétérans du mouvement islamiste considèrent depuis longtemps que l’accès de violence des années 1980 et 1990, du fait des groupes armés salafistes, non des Frères musulmans, a discrédité la tentation extrémiste.
La confrérie, fondée en Egypte en 1928, a depuis longtemps abandonné l’idée de parvenir à ses fins par la violence même si certaines de ses branches, en particulier le Hamas palestinien, continuent la lutte armée.
En revanche, le climat de tension n’en est pas moins exacerbé par le « coup d’Etat institutionnel » dénoncé par les islamistes et les jeunes révolutionnaires laïques. Le décret publié dimanche par le CSFA transférant le pouvoir législatif aux militaires dépouille le futur chef de l’Etat de quasiment toute prérogative dans l’attente de la rédaction de la future Constitution, tâche qu’il pourrait confier à une commission formée par ses soins.
Pour Saad al Katatni, il s’agit pour les militaires de se maintenir au pouvoir après le 30 juin, date à laquelle ils se sont engagés à remettre formellement le pouvoir aux civils, et de superviser jusqu’au bout la rédaction de la Constitution afin de préserver leurs intérêts. Ce qui fait craindre à Katatni un processus interminable.
Le décret octroie en effet à un certain nombre de personnalités publiques, dont le chef du CSFA, un droit de veto sur les articles de la Constitution – ce qui préfigure selon Katatni de longues batailles devant la Cour constitutionnelle.
La Constitution « pourrait alors mettre des années à voir le jour, donnant au conseil militaire un prétexte pour rester au pouvoir », une perspective « inacceptable » aux yeux du président du Parlement dissous.
Pourtant, le responsable de la confrérie se veut optimiste pour l’avenir. « Les militaires ont joué un très grand rôle pour protéger la révolution et gérer la période de transition, dit-il. « Nous leur disons maintenant : retournez dans les casernes, à votre mission première. Il y a des institutions élues qui dirigeront l’Etat ».