Portes ouvertes dans les mosquées : « On n’ose pas forcément entrer en temps normal »

Portes ouvertes dans les mosquées : « On n’ose pas forcément entrer en temps normal »

Pour les membres d’association et les visiteurs, il était temps d’organiser cette journée portes ouvertes dans les mosquées. « J’attendais ce jour pour qu’on puisse mieux se connaître et se parler », confie Marie-France Dauphant, venue avec son mari, Claude, à la mosquée d’Orléans. Comme environ 80 lieux de culte musulman en France, elle était ouverte au public, samedi 9 janvier, afin de faciliter les rencontres et les échanges avec les non-musulmans, un an après les attentats du mois de janvier 2015. Entre 10 heures et 17 heures, des dizaines de personnes sont venues visiter la mosquée et poser leurs questions aux membres de l’association Annour – « la lumière » en arabe –, qui gère le lieu de culte.

Pour Célia Girard, 20 ans, et son ami Cléo Leclerc, 19 ans, comme pour beaucoup d’autres, cette journée est avant tout l’occasion de pousser la porte d’un lieu où ils ne seraient pas allés d’eux-mêmes. « C’est bien de découvrir la mosquée et l’islam. On n’ose pas forcément entrer en temps normal », affirme la jeune femme. Les deux étudiants en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), qui sont venus « sans question précise » en tête, sont frappés par la beauté architecturale de la mosquée. Inaugurée en juin 2014, elle est flambant neuve. Les murs sont ornés de frises aux couleurs douces sur lesquelles sont inscrits des versets du Coran en arabe. Le dôme qui surplombe la salle de prière principale baigne la grande pièce dans la lumière. « Je ne sais pas pourquoi j’avais en tête quelque chose de plus sombre ou de plus fermé », s’excuse presque Célia Girard.

« Important d’être là »

Après la visite les discussions continuent autour d'un verre de thé offert.

Les guides d’un jour font découvrir la mosquée par petits groupes, ce qui facilite les prises de parole. La visite ne dure jamais moins d’une heure : de la grande salle de prière du rez-de-chaussée, à l’étage où se trouvent des salles de classe pour les enfants et la salle de prière des femmes, sans oublier la pause autour d’un thé et de quelques gâteaux ou viennoiseries. Certains visiteurs sont venus en voisins, d’autres pour poser des questions précises, tous pourfaire part de leur amitié à la communauté musulmane.

« Je les ai obligés à venir avec moi, mes enfants ! », rigole Carole Miko en regardant sa fille, Anna, et son fils, Louis, qui sirotent un thé à la menthe au bout de la longue table dressée pour l’occasion, et autour de laquelle il fautrajouter des chaises faute de place. Après une matinée très calme, près de cent visiteurs se succéderont dans l’après-midi. « Je trouve que c’est important, étant donné ce qu’on vit en ce moment en France, de montrer qu’on est là », estime la mère de famille qui a fait une dizaine de kilomètres pour venir à la mosquée située dans le quartier de La Source, dans le sud d’Orléans. « Je ne regrette pas d’être venue », affirme en souriant timidement Anna.

Même son de cloche chez Marie-Antoinette Wauschkuhn : « C’est important d’aller au contact d’une communauté qui en bave en ce moment. » Elle est venue avec deux collègues « et amies » enseignantes au centre de formationd’apprentis (CFA) de l’agglomération Val de Loire qui posent pour une photo à gauche du mihrab, l’alcôve qui indique dans les mosquées la direction de La Mecque, vers quoi se tournent les musulmans pour prier. « Jamais je ne serais venue sans les journées portes ouvertes », se réjouit Marie-Line Gallegos. Lorsque Mustapha Ettaouzani, président de l’Union des associations musulmanes de l’Orléanais, qui leur a fait la visite, leur dit « dès le début » qu’il est français d’abord et qu’il aime la France, « ça fait du bien de l’entendre ». « Non pas qu’on en doutait, nuance Marie-Line Gallegos. Mais le fait de se rencontrer est l’occasion de dire qu’on le sait et qu’on pense comme lui. »

Françoise Ballot, qui a vécu plusieurs années en Algérie, notamment au moment où les femmes commençaient à retirer leur voile, est venue poser des questions spécifiquement sur les femmes : « Elles se voilent de plus en plus, et moi, ça me dérange. » Mais, précise-t-elle, elle ne tolère pas pour autant « les petits shorts ras les fesses, et je comprends que ça puisse aussi choquer, chacun doit faire des efforts ». Mustapha Ettaouzani lui répond que lui n’est pas opposé au voile, « à partir du moment où c’est un choix de la femme. Mais attention, je ne parle pas du voile noir qui ne laisse qu’entrevoir les yeux ». « Ah non ça, c’est pas possible », répond le groupe de Françoise.

« Pourquoi c’est caché ? »

Un fidèle s'improvise guide pour donner des explications aux visiteurs.

La journée a aussi été l’occasion pour des musulmans d’accompagner leurs proches, afin de leur faire découvrir leur religion. Pauline Chevalier, 20 ans, est venue accompagnée de sa grande sœur Marine Kanzallah, 24 ans, qui s’est convertie à l’islam il y a cinq ans. « Ma sœur n’avait jamais mis les pieds dans une mosquée. C’est important pour moi de lui montrer cet aspect de ma vie », explique l’aînée. Plus généralement, ouvrir les portes des mosquées est pour elle une manière de déconstruire les idées reçues sur les musulmans. « Il faut lutter contre les amalgames. Les gens ont peur par ignorance », assure-t-elle.

« Pourquoi c’est caché ? », demande Aurore Burigaud, qui accompagne les deux sœurs, lorsque le petit groupe arrive à l’étage. Le balcon où prient les femmes n’est pas ouvert sur la salle de prière du dessous : une cloison d’environ 1,80 mètre, qui ne va pas jusqu’au plafond, cache la vue, si bien que des écrans plats y sont fixés afin que les femmes puissent suivre le prêche qui se déroule en bas. « Parfois, on régresse », concède Mustapha Ettaouzani.« Aujourd’hui c’est comme ça, mais avant, les femmes priaient au même étage que les hommes. Simplement elles étaient derrière pour ne pas les distraire, car il aurait été difficile pour les hommes de se concentrer quand les femmes font leurs génuflexions… », explique-t-il avec le sourire. Pendant la prière, les musulmans s’agenouillent et se penchent en avant pour toucher le sol de leur front.

« Pourquoi l’espace des femmes est-il plus petit que celui des hommes ? », questionne encore Aurore Burigaud. Le balcon fait environ un tiers de la taille de la salle de prière du bas. « En fait, les femmes ne sont sont pas obligées de venir à la mosquée pour prier, contrairement aux hommes. Elles viennent surtout pour la prière du vendredi, le reste du temps elles sont moins nombreuses », explique M. Ettaouzani.

Au rez-de-chaussée, trois étudiants discutent autour de la table. « Je savais déjà que les auteurs des attentats n’ont rien à voir avec l’islam. Mais venir ici m’a conforté dans mon opinion et m’a permis d’en parler », explique Joscar Nzembi, étudiant à Orléans, aux côtés de ses amis, tous deux musulmans, et qui fréquentent la mosquée Annour. « Je suis chrétien et j’avais depuis longtemps des questions à poser, notamment sur le mariage interreligieux, car j’ai eu une petite amie de confession musulmane. Donc j’ai profité de cette journée pour venir les poser », ajoute Joscar. A-t-il obtenu ses réponses ? « Oui », répond-t-il pudiquement. A 13 heures, alors que retentit l’un des cinq appels à la prière de la journée, ses amis l’invitent à les accompagner. Il décline. « La prière est pour moi quelque chose d’intime, de personnel. Je préfère les laisser seuls. »

« Au fur et à mesure qu’on se connaît, on s’aime »

A la sortie de la prière, fidèles et visiteurs se croisent et discutent.
A la sortie de la prière, fidèles et visiteurs se croisent et discutent. Hervé Lequeux/Hans Lucas

C’est la première fois qu’une telle journée est organisée au niveau national, à l’appel du Conseil français du culte musulman (CFCM). Mais la mosquée Annour, comme d’autres en France, n’a pas attendu cette opportunité pour ouvrir ses portes. C’est la deuxième fois en un an et demi d’existence qu’elle met en place une journée similaire – la première a accueilli 600 personnes selon l’association – et le lieu de culte voudrait renouveler l’expérience plus souvent encore, en organisant par exemple une journée portes ouvertes tous les trois mois.

Car pour Mohammed Azaroual, vice-président d’Annour, qui dit avoir reçu une grosse « claque » après les deux séries d’attentats qui ont frappé la France cette année, ces journées profitent aussi bien aux fidèles qu’aux visiteurs.« Au fur et à mesure qu’on se connaît, on s’aime. Il faut donc ouvrir nos portes, mais aussi interpeller les musulmans sur la nécessité de s’ouvrir aux autres. »

En voyant les mines ravies des visiteurs qui renfilent leurs chaussures en quittant la mosquée, on ne peut qu’espérer que l’opération profite au plus grand nombre, même si Marie-France Dauphant pointe du doigt la limite évidente d’une telle initiative. « Le seul regret que je peux avoir, c’est que les gens qui ont des a priori sur l’islam ne viendront pas. »