Port Saïd, l’autre bourse parallèle

Port Saïd, l’autre bourse parallèle

Ici, la monnaie européenne et le dollar américain, canadien et même le dinar tunisien se vendent comme des petits pains. Les clients viennent de tous les horizons, la demande est très forte de la part de clients à la recherche de grandes sommes en devises. Ici, l’euro est cédé à 12,80 DA à l’achat et 13,00 DA à la vente.

Alger, jeudi 18 novembre, rue de la Liberté au square Port Saïd, fief de l’échange «au noir». Sur cette placette très réputée de la capitale, en face du célèbre café Tantonville, juste à côté du TNA, et non loin du Palais de justice, se dresse à ciel ouvert un marché de change clandestin. Ici, la monnaie européenne et le dollar américain, canadien et même le dinar tunisien se vendent comme des petits pains.

Les clients viennent de tous les horizons, la demande est très forte de la part des clients à la recherche de grandes sommes en devises. Ici, l’euro est cédé à 12,80 DA à l’achat et 13,00 DA à la vente, le dollar américain 8,50 DA. Ces termes sont les derniers taux de change communiqués par n’importe quel cambiste sur la place de la Bourse parallèle d’Alger sise au square Port-Saïd. Cette placette est l’une des plus animées de la capitale, après celle de Hydra.

Elle grouille de monde plus que n’importe quel boulevard commerçant. Les innombrables «courtiers», des liasses de billets exhibées rôdent dans les endroits dès les premières lueurs du jour, selon quelques témoignages des habitants du quartier limitrophe. Quoi que l’on dise de ce trafic

«banalisé avant d’être normalisé, des millions d’euros transitent par cette place», selon les observateurs. Il y a moins d’une semaine, une descente surprise de la police judiciaire avait ciblé ce marché de l’informel de devises.

Ce jour- là, des dizaines de personnes ont été interpellées dans le cadre d’une affaire de blanchiment d’argent, selon une source policière. D’ailleurs, ce n’est pas uniquement le marché informel du Square qui est la cible de cette descente, même celui de Hydra a subi la même chose. Désormais, ces deux marchés informels de l’échange de devises «au noir» sont sous les yeux de la police. C’est dans le cadre d’une vaste enquête ciblant une affaire de blanchiment d’argent que ces descentes ont été actionnées par les policiers.

La mystérieuse affaire de «Hydra», où plusieurs millions d’euros ont été envoyés illégalement vers plusieurs pays étrangers et ce, à travers une petite boutique située à Hydra. Cet argent en devises avait transité par le marché informel de Hydra, c’est la raison pour laquelle les policiers ont déclenché ces deux descentes. Plusieurs personnes ont été arrêtées au cours de ces descentes, certaines ont été provisoirement libérées, d’autres sont sous mandat de dépôt, et une personne, le propriétaire de la boutique est en fuite, croit-on savoir selon la même source.

Les enquêteurs de la DGSN veulent mettre la main sur le reste de ce réseau de trafic de devises, la tâche n’est pas facile, mais l’enquête finira par divulguer l’énigme de cette affaire. Retour au marché de l’informel du Square Port Saïd, a une ruelle près du tribunal Abane Ramdane, Hamid la trentaine a la tâche de s’occuper des automobilistes menant vers cette direction.

Le bonhomme propose ces billets en euro et en dollar. A ses côtés, ses deux «collègues» issus de la wilaya de Jijel jouent un peu au «comité d’accueil» des passants empruntant le trottoir. Ainsi, le ciblage ou l’infiltration n’est que bien arrangé.

Si quelques monnayeurs scrutent le moindre regard intéressé, en revanche d’autres membres agissent à la limite du harcèlement. Les ruelles proches ne sont pas épargnées, et chaque mètre est soigneusement exploité. «Il n’y a pas où mettre les pieds! Allez-y et constater par vous-même» déplore Samir, commerçant de son état, tenant une boutique longeant la rue de la Liberté.

«Qu’est-ce que c’est cet Etat où l’on vend de l’argent dans la rue?», s’emporte un autre jeune commerçant. «Toutes les pétitions initiées par les commerçants licites et les habitants des lieux contre les squatters de la place sont restées sans écho jusqu’à ce jour», dit, indigné, Samir. «En plus des insultes, des obscénités qu’on débite par ici, de nombreux passants, notamment la gent féminine, évitent cet endroit, au grand dam des commerçants des lieux», dira Samir ayant hérité de la boutique de son père, présent au niveau de la place depuis 1963.

Des barons «x» contrôlent les marchés informels de devises

Mais qui contrôle les marchés de l’informel de devises d’Alger ? Qui détermine les taux de change sur lesquels le monde semble se donner tout le mot?

«Des barons cambistes investissent les endroits à l’aube», confie une source policière.

De la rencontre de ces grands bailleurs entourés d’euros qui se tient souvent au marché du coin, se dégage un consensus sur le taux de change à adopter. En cette partie de la capitale où se mêlent «halabas», vendeurs à la sauvette et les malfrats, les trottoirs n’existent plus depuis belle lurette, s’explique-t-on. Notre virée sur les lieux a coïncidé avec les deux jours de l’Aïd El Adha, mais surtout après la descente des policiers.

«Dans cette place éclaboussant sans cesse les pouvoirs publics, au vu et au su de tout le monde, dollar, euro, livre sterling et autres devises fortes y sont librement convertibles au vu et au su de tous», affirme un vieux retraité habitué des lieux. Des liasses de billets à la main, de jeunes cambistes travaillant «au noir» traînent çà et là, à l’affût d’un moindre client ou passant intéressé.

«Ce sont des barrons ‘’x’’, dont on ne connaît jamais l’identité et qui sont derrière ce commerce illégal. Il est très difficile de les connaître ou de les localiser», confie notre source. Toutefois, il s’agit de barons natifs des wilayas de Jijel et d’Alger, ajoute la même source. C’est à partir du square Port Saïd, point de rencontre entre trabendistes, affairistes et importateurs de tout genre, véritable plaque tournante des transactions que la quantité de devises sera partagée entre les vendeurs. Chaque vendeur peut toucher jusqu’à 100 DA pour chaque 100 euros vendus.

Par ailleurs, ce marché de la devise existe depuis le milieu des années 1980 et ces jeunes sont une troisième génération de revendeurs. Ici comme ailleurs, le change informel est accessible à tous, du plus petit au plus grand.

Par Sofiane Abi