POLOGNE : Les deux pieds et la tête dans l’Europe

POLOGNE : Les deux pieds et la tête dans l’Europe

les voisins (Autriche, Prusse et Russie) dès 1772, a connu des guerres meurtrières, l’horreur du nazisme et la rigueur du communisme. Son peuple, qui a subi des répressions féroces et successives, sort enfin la tête de l’eau pour rejoindre sa place naturelle : l’Europe le 1er mai 2004. Une admission salvatrice pour certains, précipitée pour d’autres.

Malgré les deux malheurs qui viennent de la frapper cette année et à un mois d’intervalle, le Polonais affiche un stoïcisme admirable sans rien perdre de son penchant au romantisme et de ce qui fait sa force : la solidarité.

En avril (le 10), en route pour la région de Katyn pour un recueillement officiel à la mémoire de près de 22 000 officiers exterminés dans ce camp soviétique, l’avion présidentiel, un Tupolev, crashe. Bilan : 96 morts. L’élite politique du pays est décimée dont le président en poste, Lech Kacziynski et son épouse. Alors que les larmes n’ont pas séché et le drapeau encore en berne que des inondations font 26 morts et des milliards de dollars de dégâts matériels. Une grande partie de l’agriculture est déclarée sinistrée. La Vistule, ce long fleuve tranquille, est sorti de son lit et a fait céder les digues. Très croyant mais surtout travailleur, le Polonais, meurtri, se met à prier mais aussi à redoubler d’efforts comme pour conjurer le sort et pour que la vie continue.

Un nouveau président, qui prendra la relève, sortira des urnes lors des élections prévues pour le 20 juin. En attendant, conformément à la Constitution de 1989, le président de la Diète (Assemblée nationale), forte de 460 députés, assure la vacance du pouvoir.

Candidat à cette échéance, Bronislaw Komorowski est issu du parti majoritaire, Plate forme civique, dont le patron préfère assumer les fonctions de Premier ministre. Même si les sondages le donnent favori en le créditant de 50% d’intentions de vote, la partie s’annonce serrée face au candidat du parti Droit et Justice, avec 30% de voix, selon les sondages, et qui n’est autre que Jaroslaw Kacziynski… frère jumeau du président disparu. La campagne électorale, même si elle bat son plein, garde une certaine retenue à cause de ces deux malheurs. Selon les personnes rencontrées, jamais une campagne n’a été aussi tiède et l’événement qui a mobilisé le plus, le jour de notre arrivée, le dimanche 6 juin, a été sans conteste la béatification du frère Jerzy Popieluszko, enlevé par la police militaire du régime communiste, le 19 octobre 1984, mutilé à mort et jeté à la Vistule.

Il avait 37 ans. Aumônier des métallurgistes des chantiers navals de Gdansk, il lui était reproché d’être aux côtés de Solidarnosc. La cérémonie religieuse a rassemblé près de 150 000 personnes à Varsovie, capitale fermée à la circulation, ce dimanche.

Étaient présents Lech Walesa, son ami de lutte, le Premier ministre et les deux candidats du 20 juin.

UN DES PREMIERS PAYS A SE DOTER D’UNE CONSTITUTION

Si la constitution de 1989 a été rédigée sur le modèle type de l’Union européenne, c’est pour sortir vite des griffes du communisme, même si un arrangement a été négocié pour maintenir le général Jaruzelski, pour une étape transitoire négociée autour de la “Table Ronde” même avec la preuve que l’opposition démocratique avait la majorité des sièges au niveau des deux chambres. À ce marché, une victoire ; c’est la légalisation du mouvement Solidarnosc avec une liberté d’action et une hantise : que les armées du Pacte de Varsovie ne reçoivent l’ordre de Moscou de remettre de “l’ordre” chez ces perturbateurs d’un ordre établi.

60 ans de prise en otage par le nazisme hitlérien puis par le communisme étouffant du grand frère, c’en est trop pour les Polonais. Ce qui explique la précipitation à intégrer l’Europe avec ses aspects négatifs ou incomplets comme l’explique Lech Walesa dans l’entretien qui nous a été accordé. La première constitution polonaise remonte à 1791, soit la deuxième après la Constitution américaine de 1787. Il y avait déjà la séparation entre les trois pouvoirs.

1939-1989 : ENTRE LA PESTE ET LE CHOLERA

La construction d’un état à partir de 1918 a été brusquement arrêtée par l’invasion du pays par l’armée du IIIe Reich allemand, le 1er septembre 1939 et le 17 du même mois par l’armée de l’Union soviétique. La première crée Auschwitz et les autres camps d’extermination et le fameux ghetto de Varsovie, les Soviétiques envoient par milliers des cadres, scientifiques et officiers, en Sibérie quand ils ne sont pas jetés dans des fosses communes comme celle de Katyn.

La résistance s’organise avec un gouvernement souterrain (clandestin) à l’intérieur et à l’extérieur. Appel à l’insurrection a été maté dans le sang avec des milliers de morts et de déportés.

Aujourd’hui, un musée “Le musée des insurgés”, raconte la vie quotidienne endurée par la population ; faite de privation, de délation et de terreur. Des images d’époque défilent inlassablement sur grand écran. À l’étage de dessous, la panoplie d’armes utilisées, des diapos ainsi que des bandes son sortant on ne sait d’où, grésillent des ordres et font entendre le bruits des canonnades.

Recevant un million de visiteurs par an, il faut s’inscrire pour s’assurer d’avoir un ticket d’entrée. Le guide, parfait francophone, a voulu à tout prix nous accompagner dans la visite. La raison ? Il s’intéresse à l’Algérie. Il nous cite, sans aucune hésitation, les principaux acteurs du pays depuis Messali El-Hadj à Bouteflika. Il prépare un doctorat sur “La guerre civile en Algérie et son extension aux pays riverains”. Il reste malheureusement encore sur le “qui-tue-qui”, en m’avouant avoir des doutes sur les auteurs du massacre de Bentelha en citant comme livre, parmi ses références, La sale guerre…

“C’EST A GDANSK QUE TOUT A COMMENCE

La grève de 1970 avait fait des dizaines de morts et blessés mais elle aura au moins servi à quelque chose : éviter les mêmes erreurs comme celle de sortir dans la rue. En ce 14 août 1980, le chantier naval de Gdansk est occupé par les ouvriers. Un électricien du nom de Walesa les rejoint ; lui aussi vient d’être licencié. Les revendications : la hausse des salaires et la garantie de la non-répression. Le mouvement de protestation fait tâche d’huile et paralyse toute la ville, coupée du reste du monde.

Un comité de grève interentreprises porte à sa tête Walesa qui n’a pas tardé à montrer ses qualités de meneur. Le mouvement devient irréversible d’autant que le pape Jean-Paul II, lors de ses nombreuses visites en Pologne, ne rate pas une occasion pour aider son peuple à briser les chaînes du communisme. Comme cette célèbre phrase lancée lors de son premier voyage, en 1979 : “Que ton esprit descende et fasse changer l’esprit de cette terre.” Puis tout va très vite. Le gouvernement accepte de signer les accords de Gdansk, en 21 points, dont la légalisation des syndicats libres, le droit de grève, de parole, accès aux médias, augmentation des salaires… Le document est connu sous l’appellation “Les 21 revendications”. Il a été signé par les deux parties.

Pour l’histoire, Walesa a utilisé le gros stylo que lui avait offert le pape. Ce stylo, véritable relique, comme les originaux des minutes de négociations, est jalousement gardé dans le musée de Solidarnosc, avec son exposition permanente ; Chemins vers la liberté. Officiellement, Solidarnosc vient de naître.

Bousculé par les Soviétiques aux frontières avec l’armée du pacte de Varsovie d’un côté, et par la multiplication de syndicats libres de l’autre, le gouvernement communiste déclare l’état de guerre avec toutes les interdictions qui vont avec une telle décision, et ce, jusqu’en 1983, année où Walesa reçoit le prix Nobel de la paix.

– Les Polonais reconnaissent que deux hommes polonais, venus au même moment, ont permis cette métamorphose de la société engluée dans les guerres et les privations. Le pape et l’électricien de Gdansk.

POLOGNE , L’EUROPEENNE

Pour cette année 2010, Varsovie bat au rythme des sonates de Chopin. Tout le monde se met pour commémorer avec faste le bicentenaire de sa naissance. Et pourtant, il n’a vécu dans son pays que 20 ans ; mais son cœur y est. Dans une église. Au sens propre du terme.

En effet, à sa mort à Paris, sa sœur a fait rentrer clandestinement, dans de l’alcool, le cœur de son frère. On dit d’ailleurs que le corps est à Paris (il est enterré au cimetière du Père-Lachaise), mais le cœur à Varsovie.

Dans cette ville où se trouve le musée de ce compositeur, il faut jouer des coudes pour avoir accès au coupe-fil qui vous ouvre la vie et l’œuvre de cet ami de George Sand. Sur les bancs publics de la vieille ville, on peut écouter du Chopin en appuyant sur un bouton.

À 30 km de là, on peut visiter sa maison engoncée dans un magnifique parc, comme on peut aller le dimanche après-midi écouter sa musique exécutée par des virtuoses au-dessous d’une de ses innombrables statues érigées à sa gloire. Partout du monde. C’est dire que le Polonais s’intéresse à autre chose que de faire la chaîne devant les magasins d’alimentation comme leurs parents.

MAIS C’EST DUR L’EUROPE

Admise le 1er mai 2004 au sein de l’Union européenne, avec dix autres pays, la Pologne peine à rejoindre la zone euro, la monnaie commune. Elle utilise encore le zloty (1 euro = 4 zlotys), et c’est peut-être ce qui l’a sauvée de la crise financière mondiale. Elle affiche un taux de croissance positif (2,8%) pour 2009 et une augmentation du PNB de 1,8%, même si les investissements directs étrangers sont en baisse comparés aux années précédentes. Pour l’année dernière, ils s’élevaient à 8,3 milliards d’euros contre presque le double en 2007 (17,8 M d’euros).

Au niveau de l’Agence d’information et d’investissement – sorte de notre Andi nationale –, les priorités arrêtées pour les investissements sont les secteurs de l’automobile, l’électronique, l’aérien, la biotechnologie et surtout la recherche et le développement, point fort de ce pays. Avec ses 14 zones franches et une batterie de facilitations, le pays espère attirer l’investisseur aussi bien étranger que national.

D’ailleurs, un véritable débat sur ce sujet est animé par le parti majoritaire (Plate-forme civile). Mais de l’aveu de certains responsables du centre Adam-Smith indépendant, il reste encore des difficultés et des marchés à conquérir dans un espace concurrentiel, certains textes réglementaires comme la loi sur la liberté économique (1989) dont la substance peut se résumer ainsi : ce qui n’est pas interdit est admis, ont fait accélérer l’adhésion du pays à la logique capitaliste européenne, d’autres en revanche ont mis des garde-fous comme le renforcement du système fiscal pris en 1993.

Candidate pour organiser la Coupe d’Europe en 2012, la Pologne veut prouver que si elle n’a pas encore un matelas de réserves de change, elle a néanmoins investi dans l’homme, véritable développement durable.

POLOGNE-ALGERIE : ON S’EST PERDU DE VUE

Les deux pays partagent beaucoup de similitudes : deux pays qui n’ont pas bénéficié d’un temps suffisant pour asseoir une stabilité de l’état ; perturbés par des guerres et des conflits internes. La route est encore longue. Concernant les relations bilatérales, elles restent faibles du fait des priorités de chacun des deux pays. Le volume d’échanges avoisine les 360 millions de dollars et nos exportations sont constituées principalement par les produits d’énergie. Les importations restent les produits laitiers.

La dernière visite du ministre polonais de l’économie augure d’un nouvel élan d’autant plus que le travail tant vanté par les parlementaires et les opérateurs de notre ambassadeur fraîchement arrivé commence à porter des fruits. Un air de renouveau pour des relations plus intenses et diversifiées est le leitmotiv d’Abdelkader Khomri, notre chef de mission diplomatique à Varsovie.

LES POLONAIS AUX URNES

Le 20 juin, sont prévues des élections présidentielles anticipées suite au décès du président en exercice. Deux principaux candidats en lice représentant les deux partis les plus implantés.

La Plate-forme civile, dont le patron est le Premier ministre actuel (Donald Tusk), alors que le président de la Diète (Assemblée nationale) Bronislaw Komorowski est candidat à la présidence est d’obédience libérale.

Composé de jeunes cadres et des professions libérales, ce parti développe un discours ouvert et se déclare pour une économie libérale au profit du développement du pays.

Le parti Droit et Justice, auquel appartenait le défunt président, présente le frère jumeau Jaroslaw Kaczynski aux élections de ce 20 juin. Conservateur, recrutant parmi les personnes âgées, l’église conservatrice, son discours s’attache à l’identité étroite et aux rigorismes qui craignent l’ouverture.

Le candidat donné gagnant, en l’occurrence Komorowski, a séjourné durant les années 1970 à Oran. Il avait suivi ses parents enseignants. Son père était prof de maths à l’Usto.

Le 2e tour aura lieu le dimanche 4 juillet. Quid des deux candidats ? Mais, qu’importe le nouveau président, puisque l’essentiel, comme le souligne L. Walesa, est géré par l’Europe. Cet espace si libérateur et si contraignant !