Politique Locale: Ministre mais jamais maire

Politique Locale: Ministre mais jamais maire

L’Etat algérien demeure fortement centralisé. Un seul indicateur permet de le constater. A une exception près, celle de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Santé Abdelhamid Aberkane, président de l’APC d’El Khroub, aucun haut responsable du gouvernement n’a brigué un mandat local après avoir quitté son poste.

La responsabilité en Algérie se conçoit d’abord, comme une position au sommet et non comme une tâche qui se pratique, la sueur au front, les manches retroussées, au jour le jour, parmi la population. C’est pourquoi nos ministres rechignent à présenter leur candidature aux élections locales comme si cette fonction était une déchéance et non une haute charge publique.

Nos ministres qui ont acquis une expérience dans la gestion des affaires ne conçoivent leur retraite que comme ambassadeurs dans une capitale de préférence occidentale ou sous la voûte sénatoriale. Eux, qui sont, en principe, en réserve de la République, redoutent de mettre leurs mains propres dans la pâte répugnante des «petites besognes». Ils attendent patiemment, puisqu’ils sont payés pour le faire, le retour de la chance qui les réintégrera au Conseil du gouvernement ou dans un autre statut honorable.

L’Algérie se prive ainsi d’un gisement de compétences hautement qualifiées et d’un précieux réseau de relations susceptible de connecter ses communes au monde entier.

Les carnets d’adresses, des anciens hauts fonctionnaires peuvent être des moyens efficaces pour faire sauter les verrous et outrepasser les obstacles qui souvent bloquent artificiellement l’action des élus. Cette banque de données peut – pourquoi pas?- permettre la multiplication des opérations de jumelage entre les villes algériennes et des métropoles internationales. Et puis, avec un responsable ex-membre du gouvernement à sa tête, une commune a plus de chance de se faire entendre.

Ailleurs dans le monde, surtout dans les pays avancés, avant d’accéder au rang de ministre, plusieurs personnalités avaient fait leurs classes dans les mairies. Boris Johnson, l’actuel chef de la diplomatie britannique, avait quitté le Parlement en 2015 au profit de la municipalité d’Uxbridge et South Ruislip, dans le Grand Londres.

Son remplaçant, Sadiq Khan, avait occupé les portefeuilles de ministre d’État aux Communautés, puis aux Transports avant de gérer la capitale anglaise. C’est aujourd’hui, une personnalité connue dans le monde entier qui se permet parfois de remettre à sa place le président des Etats-Unis lui-même.

Aux Etats-Unis, dans les années 1990, Rudy Guiliani était le tout-puissant maire de New York et on le pressentait comme président de la plus grande puissance au monde.

Le travail qu’il avait effectué pour nettoyer sa circonscription du crime et de l’insécurité lui vaut aujourd’hui le respect de tous ses concitoyens même si certains l’avaient accusé à l’époque de dérive autoritaire.

Mini Etat

En France, Jacques Chirac avait d’abord administré Paris avant d’accéder à la présidence de la République. Nicolas Sarkozy, son successeur, n’a même pas eu cet honneur puisqu’il a eu droit uniquement à la commune de Neuilly-sur-Seine. Pis encore, François Hollande s’était contenté du siège de conseiller municipal d’opposition pendant six ans à Ussel, une petite ville de 10 000 habitants, puis d’adjoint au maire de Tulle.

Les exemples ne manquent pas pour démontrer le prestige parfois international que confère cette responsabilité. Or, en Algérie, un maire est considéré comme un déclassé chargé du ramassage des ordures, des canalisations ou des marchés hebdomadaires.

Pourtant, les prérogatives liées à la gestion d’une commune qui est la collectivité de base de l’Etat, l’assise territoriale de la décentralisation et le lieu d’exercice de la citoyenneté donnent le tournis. Jugez-en: le président de l’Assemblée populaire communale veille à la sauvegarde de l’ordre public et à la sécurité des personnes et des biens. Il s’assure du maintien de l’ordre dans tous les endroits publics puisque les services de sécurité sont placés sous son autorité. Il est garant de la préservation du patrimoine historique, culturel et des symboles de la Révolution de Libération nationale. Il défend le respect des normes et des prescriptions en matière de foncier, d’habitat, d’urbanisme et de protection du patrimoine culturel immobilier. C’est lui aussi qui est comptable de la propreté des immeubles et de la commodité du passage dans les rues, places et des artères. Il est en outre le rempart contre toute atteinte à la santé de ses concitoyens et à leur confort.

Dédain

En plus de ces attributions qui nécessiteraient une page de journal pour être détaillées, il a la mission de développer économiquement sa commune et promouvoir son image de marque. Le maire est en quelque sorte le président d’un mini Etat dont il doit gérer le budget en fonction des besoins de la population et en perspective de son évolution.

Il jouit pour cela d’une autonomie financière et peut demander l’aide de l’Etat si ses ressources s’avèrent insuffisantes. Alors, pourquoi les ex-ministres algériens préfèrent rester chez eux ou vaquer à des occupations subsidiaires que de mener de nouvelles batailles politiques, même à l’échelon local? Pourquoi ne mouillent-ils pas la chemise en se mélangeant à la foule réelle, celle qui exprime ses besoins sans langue de bois, sans diplomatie et autres précautions de langage.

Il existe plusieurs explications à ce dédain de la chose municipale. La première est d’ordre psychologique. L’écrasante majorité d’entre eux préfère, en fin de service, rester à Alger. Revenir à la ville ou au village d’origine, reprendre sa vie d’antan ne serait pas concevable pour une personne qui a goûté aux feux de la rampe et à la mollesse des fauteuils.

La deuxième est sociologique: les scrutins municipaux obéissent à une logique particulière capable de déjouer les calculs des appareils. Les habitants des communes choisissent l’homme ou la femme qu’ils sentent proches d’eux et de leur intérêts plutôt que le parti dont ils sont issus.

Dans les villages, les liens tribaux et familiaux sont plus forts que les projets politiques. Le candidat doit prendre en compte non seulement les desiderata des électeurs, mais aussi la mémoire des ancêtres.

Enfin, il se peut que la fonction de ministre ne jouisse pas d’une bonne image chez nous et que la sanction populaire leur est, en tout état de cause, défavorable.

Pourtant, l’avenir de l’Algérie sera local ou ne sera pas.

Le développement de l’industrie, de l’agriculture, de l’éducation, de la culture, du tourisme est une affaire d’abord et avant tout communale. L’ère des grands monstres froids, des machins hautement bureaucratisés et coupés des réalités est finie. Le temps est actuellement aux administrations à taille humaine.

L’Union européenne risque à tout moment la dislocation pour n’avoir pas pris en considération cette évidence qui est en train de devenir une revendication politique, sociale et culturelle majeure de ses peuples.