Polémique autour d’un site internet de cours particuliers

Polémique autour d’un site internet de cours particuliers

Open_iMadrassa_19-20_1.jpgKamel Haddar, un entrepreneur Franco-Algérien est soupçonné de plagiat et d’abus de faiblesse, après avoir coaché deux jeunes étudiants algériens dans un concours national de création d’entreprises. La polémique qui implique Djezzy et Ooredoo, deux opérateurs de téléphonie mobile en Algérie, risque de prendre une tournure politique.

Kamel Haddar, un entrepreneur Franco-Algérien est soupçonné de plagiat et d’abus de faiblesse, après avoir coaché deux jeunes étudiants algériens dans un concours national de création d’entreprises organisé par l’opérateur de téléphonie Algérien Ooredoo. L’information initialement rapportée par Tamurt, média citoyen Kabyle, a été relayée par le quotidien Algérien francophone El Watan, le 18 Mars 2016.

Tout commence en 2013 quand Karim Sidi Saïd et Lyes Si Salah, deux cousins et brillants étudiants en informatique mettent leurs espoirs dans le développement de leur projet d’entreprise: un site internet de cours particuliers. Le projet intitulé « Dirassatti » (i.e. mes études en arabe) se veut être le premier site de soutien scolaire en Algérie proposant des cours, des exercices et des vidéos éducatives conformes au programme national Algérien. Avec peu de moyens mais beaucoup d’énergie, les deux natifs de Kabylie développent leur plateforme et décident de participer àtStart, un concours de création d’entreprises initié par l’opérateur de téléphonie mobile algérien Ooredoo (ex-Nedjma) et l’Agence nationale de développement de la petite et moyenne entreprise (ANDPME).

Début 2014, l’ambition des jeunes cousins a fini par payer, et le projet Dirassatti (initialement nommé StuDZ) figure parmi les cinq start-ups lauréats du programme tStart.Lors de la cérémonie de remise des prix, un comité de jury, des personnalités du monde de l’entreprise et des membres du gouvernement étaient présents, dont Rachid Moussaoui, Directeur Général de l’ANDPME, Joseph Ged, PDG de Ooredoo (ex-Nedjma) ou encore Amara Benyounes, ministre du Développement industriel et de la promotion de l’investissement de l’époque, pour féliciter et remettre les prix aux heureux gagnants.

Avril 2014: présentation du projet Dirassatti par Karim Sidi Saïd et Lyes Si Salah © Ooredoo

Dans le cadre de ce concours, les organisateurs de la compétition (Ooredoo et ses partenaires, dont Algerian Startup Initiative) assignent à chaque porteur de projet (et éventuellement à son équipe) un coach. La mission du coach est d’initier le(s) porteur(s) du projet aux techniques de présentation, de la création d’un business plan et de répondre aux besoins spécifiques pour avancer dans le développement de leurs projets. A la suite de ces séances de coaching, les porteurs de projets feront la présentation de leur business plan devant le jury de la compétition du programme tStart.

Les deux jeunes porteurs de projet, Karim Sidi Saïd et Lyes Si Salah se voient attribuer un coach: Kamel Haddar. L’entrepreneur natif de l’Indre-et-Loire était à l’époque basé à Alger pour diriger le site d’information Algerie-Focus. Son rôle était d’accompagner, initier et éclairer les deux étudiants dans le développement de Dirassatti, mais les choses ont fini par se dérouler autrement. « Il a coaché ces deux jeunes, promis d’entrer au capital, puis pris l’idée pour lui » rapporte un ancien collaborateur de Kamel Haddar.

Début 2015, Kamel Haddar présente « Madrassati », plateforme aux objectifs et tonalités similaires à Dirassatti, et à la fin de la même année, annonce avoir vendu le site d’information Algerie-Focus pour lancer « iMadrassa » -qui n’est que Madrassati renommé, la sonorité étant trop proche de Dirassatti. La plateforme est lancée en partenariat avec Djezzy, opérateur de téléphonie algérien concurrent de Ooredoo, et sans les deux fondateurs Karim et Lyes qui ont participé au concours.

Février 2015: Kamel Haddar présente Madrassati © Fikra 2015

Alors que Brahim Embouazza, formateur et coordinateur de tStart met en avant l’accompagnement des projets pendant et après la compétition, un représentant de Ooredoo souhaitant garder l’anonymat nous explique: « soit Djezzy n’est pas au courant de l’origine du site, soit l’opérateur joue à un jeu risqué en s’en prenant à un programme phare d’Ooredoo », tout en rajoutant: « l’éthique est une priorité chez nous, et ce coach nous a aussi floués. D’ailleurs Kamel Haddar est définitivement rayé de notre programme tStart ».

Interviewé par El Watan, Mohamed Charifi, responsable du suivi des start-up pour Ooredoo rapporte: « Oui, il (Kamel Haddar) a été coach lors de la première compétition, il a eu un souci avec une équipe. Il a pris l’idée qu’elle proposait, un site de cours pour préparer le bac, pour fonder son propre site. Depuis deux ans, il n’est plus invité à nos compétitions ».

De son coté, Kamel Haddar se défend: « Juridiquement, il n’y a pas de brevet. Une idée, ça ne vaut rien du tout ». C’est ce que nous confirme un chef d’entreprise: « Une idée en soi ne peut pas être protégée. On ne peut pas empêcher une personne d’avoir la même idée que nous et de la mettre en œuvre. Seule la forme dans laquelle l’idée s’exprime (marque, invention, création littéraire, dessin ou modèle, etc.) peut être protégée. Par exemple si le nom de domaine Dirassatti.com a été enregistré pendant que Kamel Haddar agissait en tant que coach, ça pose problème. Il y a donc un conflit d’intérêt qui aurait du être anticipé par tStart. C’est un problème de propriéte intellectuelle. ». Un autre chef d’entreprise qui fait du coaching explique à El Watan: « Dans le coaching, il y a une déontologie. On s’engage moralement à ne pas utiliser les idées des jeunes. Ils ont confiance en nous, ils nous disent tout. Là, c’est de l’abus de confiance et de l’abus de faiblesse ».

De l’abus de faiblesse, c’est ce que pense aussi une avocate de Tizi Ouzou. « En discutant avec Karim, on sent qu’il est marqué, intimidé et complètement perdu. Karim et Lyes sont deux jeunes entrepreneurs brillants et très motivés, ils se sont livrés corps et âme à leur projet. Imaginez que vous êtes un jeune entrepreneur et votre coach, la personne censée vous inspirer et vous guider, vous copie votre projet et part chez le concurrent de votre sponsor, sans aucune pitié, sans aucun regret, au contraire, il vous dit qu’une idée, ça ne vaut rien du tout. Ce n’est ni déontologique, ni moral, ni éthique. Ce qui se passe est clairement un abus de faiblesse de la part d’un entrepreneur aguerri qui a profité de la naïveté des deux jeunes. C’est un exemple concret sur comment on peut saper et détruire la jeunesse algérienne pleine d’espoir et d’optimisme », elle rajoute: « Les autorités, l’ANDPME et Ooredoo ont le devoir d’agir et de protéger ces deux jeunes. Il y a des mécanismes pour se réapproprier les noms de domaines et cela même s’ils sont enregistrés en Algérie ou ailleurs dans le monde. ».

Kamel Haddar, qui s’est fait les dents sur Algerie-Focus ne semble pas se faire de remords quant à la polémique et balaie tout: « Ils n’ont pas fait leur boulot. Nous nous étions mis d’accord pour que je prenne 33% des parts de l’entreprise, mais à la fin ils ont refusé que ce soit plus que 10%. Je me suis retiré » déclare t’il à El Watan. L’entrepreneur, qui a déclaré avoir trouvé en l’Algérie un terrain de jeu pour son désir d’entreprendre, ambitionne de recruter des dizaines d’enseignants du Moyen-Orient, en leur proposant un système de management innovant dans lequel les élèves évaluent eux-mêmes les compétences pédagogiques de leurs professeurs. Il vient de lever plus de 2,5 millions d’euros. « C’est ainsi que l’on change un pays, en injectant de bons critères de performance. » lance t’il avec assurance.

Il est vrai que tStart est un concours qui a pour mission d’accompagner les jeunes algériens dans la création de leurs entreprises en se basant sur les compétences locales, notamment celles issues de la Kabylie. Ne pas avoir anticipé un conflit d’intérêt, et avoir failli à la conciliation entre les désirs de succès commercial d’un coach-entrepreneur flirtant avec les limites déontologiques, et les ambitions de réussite et de développement d’apprentis-entrepreneurs naïfs, a converti ce qui devait être la success-story de Karim, Lyes et Kamel, en une polémique-story à dimension politique impliquant l’ANDPME, Ooredoo et Djezzy.