La police des frontières vient d’arrêter, à l’aéroport international Houari-Boumediène, un individu qui transportait dans «sa valise roulante» la somme de 162 000 euros qu’il s’apprêtait à «transférer frauduleusement» vers la Turquie dans un vol en partance pour Istanbul.
Dans la foulée, l’information donnée par la DGSN nous apprend, également, que «plus de 200 000 euros» ont été saisis par les mêmes services en l’espace d’une semaine. La DGSN a cru bon de préciser que «les tentatives de transfert illégal de devises vers l’étranger ont lieu pour échapper au circuit bancaire» et que «la loi stipule que tout transfert de ce genre passe par la Banque d’Algérie !»
Il y a quelques jours, certainement au moment où les braves et vigilants «pafistes», comme on les appelle dans le langage courant, procédaient à leur fructueuse opération de contrôle des bagages, le gouverneur de la Banque d’Algérie se lavait les mains des transactions monétaires frauduleuses qui seraient derrière l’insoutenable différence du taux de change entre le circuit légal dont son institution a la responsabilité et le circuit «parallèle» dont elle ne saurait être comptable.
Pourtant, M. Laksaci a dû faire sourire beaucoup de monde quand il a parlé de «circuit parallèle». Parce que, quand on parle de change de devises dans notre pays, il ne se trouvera pas beaucoup de monde pour penser à la Banque d’Algérie, contrairement à l’écrasante majorité des Algériens à qui revient, spontanément, l’image des liasses collées au doigt de cambistes en terrain conquis, sur les trottoirs du square Port Saïd, devant le Théâtre de Constantine et partout ailleurs où ils ont… pignon sur rue !
S’il est vrai, comme le rappelait opportunément un confrère, personne n’a demandé à la Banque d’Algérie de faire le gendarme parce que ce n’est pas sa vocation, il est tout aussi vrai que personne n’attendait de la direction générale de la Sûreté nationale des explications savantes sur les motivations économiques des trafiquants de devises.
Elle est tout de même curieuse, cette inversion des rôles : la Banque d’Algérie qui explique un taux de change, dont elle est censée être l’exclusif responsable par des arguments de policier et la police qui se perd en conjectures financières ! Puis cette «convergence» toute aussi curieuse : la police semble nous dire que le trafic de devises et les transactions frauduleuses ne s’opèrent que dans l’enceinte des aéroports alors qu’il arrive même à ses agents d’être surpris en amicale et chaleureuse conversation avec les cambistes.
De l’autre côté, la Banque d’Algérie a développé des trésors d’effort pour nous convaincre que seuls les «opérateurs économiques» contournent le circuit «légal» dans leurs opérations de change, ce qui influe considérablement sur le cours des devises ! Dans «l’affaire», à moins que les responsables de la Banque d’Algérie et ceux de la police nationale ne vivent sur une autre planète, ils «savent». Pour saisir 200 000 euros, la police n’a peut-être pas besoin de fouiller les «valises roulantes», puisqu’il suffit d’une descente dans les «guichets» à ciel ouvert pour en avoir beaucoup plus, pas en une semaine mais tous les jours.
Pour réguler le marché de devises, il faudra commencer par créer… un marché et faire que la BA, fasse… son travail, au lieu de le subir ! Parce que, dans «l’affaire», toujours, on n’a pas entendu la Banque d’Algérie s’indigner quand on a «rassuré» les commerçants de gros qu’il n’est pas question d’exiger d’eux le règlement par chèque. Comme on n’a pas souvenance que la DGSN ait bravé l’injonction pour réprimer une activité officiellement… illégale, même si ça fait toujours sourire quand on nous le rappelle.
Slimane Laouari