Poésie/ «Le Passeur de rêves» de Mustapha Bekkouche : «Le cœur contre la raison se rebelle»…

Poésie/ «Le Passeur de rêves» de Mustapha Bekkouche : «Le cœur contre la raison se rebelle»…

Par Sara Kharfi

«S’il laisse quelquefois jaillir ses sentiments sur un ton mélancolique, le poète ne tombe jamais dans la sensiblerie sentimentale et le pathos. Toujours digne. Toujours prompt à se ressaisir même lorsqu’il a le cœur noirci par le désespoir», écrit Mustapha Benfodil, dans la préface du recueil de poésie, «Le Passeur de rêves», du martyr Mustapha Bekkouche, paru en octobre dernier aux éditions Anep.

«Aux faibles de gémir, aux lâches de se plaindre/D’un cruel destin mais qu’ils savent irréversible.» Ces deux vers reviennent dans au moins trois poèmes («Pourquoi revenir», «Levons-nous», «Rayon de soleil») de Mustapha Bekkouche, réunis dans le recueil «Le Passeur de rêves», paru en octobre dernier aux éditions Anep.

Ces vers semblent incarner le destin tragique de leur auteur, né le 2 novembre 1930 à Batna, adhérant dès l’âge de 14 au PPA, et «membre-fondateur de l’OS» à l’âge de 17 ans. Arrêté en 1954, il sera emprisonné à Coudiat (Constantine), Barberousse et Berrouaghia. Il sera arrêté à nouveau des années plus tard, à El Milia, près de Jijel, puis exécuté le 2 novembre 1960, à l’âge de 30 ans. Martyr de la Révolution algérienne, militant de la première heure, Mustapha Bekkouche avait aussi un talent pour les mots. Il est d’ailleurs l’auteur de deux ouvrages parus à titre posthume aux éditions Anep : «Journal d’un oublié» (2002), et «Message d’outre-tombe et autres nouvelles» (2004). Mais c’est dans un autre registre, celui de la poésie, que l’on apprécie, cette fois-ci le talent de Mustapha Bekkouche. En effet, dans «Le Passeur de rêves», l’auteur donne libre cours à son imagination, à sa sensibilité, à sa verve, à ses rêves. Une écriture «protéiforme», comme le souligne à juste titre le préfacier, Mustapha Benfodil (écrivain et journaliste), qui écrit (dans sa préface intitulée «Le Poème debout de Novembre») : «Il fait montre d’une telle maîtrise pour un si jeune talent, alliant force du propos et élégance lyrique, le tout adossé à de la culture, une sagacité d’esprit exceptionnelle et un goût appuyé pour la philosophie».

Une quarantaine de poèmes, datés pour certains, composent ce recueil à l’écriture transcendante. Transcendante car elle dépasse la douloureuse réalité et l’injustice du système colonial, pour laisser apparaître l’espoir et l’amour. Un poète qui célèbre la vie envers et contre tout. «Une poésie qui chante l’amour et la liberté, qui questionne et bouscule des thèmes éternels comme la mort, le temps, la jeunesse, le sens de l’existence, les mystères de la création… C’est aussi une poésie qui invite à réfléchir», souligne le préfacier. Mustapha Bekkouche, le poète, ne perd pas de vue, non plus, dans ces poèmes, l’idéal pour lequel il s’était engagé, pour lequel il s’était battu et auquel il aspirait (en tant que poète, que militant, qu’homme) : la liberté. Tour à tour, «mystique, métaphysique, romantique, sociale, épique, sensuelle, philosophique», la poésie de Mustapha Bekkouche, aux registres variés et d’une «implacable rigueur métrique sur le plan formel», dit et raconte aussi la solitude.

Ce thème revient souvent, tout comme le vers suivant : «La cœur contre la raison se rebelle». Et lorsque le cœur se rebelle, l’imagination prend le dessus, des flots de mots et d’émotion jaillissent, et nous (auteur et lecteurs se confondant) emportent vers le territoire des rêves.

• «Le Passeur de rêves» de Mustapha Bekkouche. Recueil de poésie, 96 pages, éditions Anep, Alger, 2e semestre 2017. Prix : 200 DA.