Plus de véhicules importés, moins de céréales, l’Algérie change de dépendance

Plus de véhicules importés, moins de céréales, l’Algérie change de dépendance

Le modèle de consommation algérien a changé. La structure des importations le montre clairement. Les céréales ne représentent plus que 3% des importations en valeur. Elles ont été rattrapées par les médicaments. Par contre, les importations de véhicules représentent trois fois celles des céréales. La dépendance change de contenu, mais reste tout aussi alarmante.

L’économie algérienne est fragile. C’est un euphémisme. Mais les symboles de sa fragilité ont changé. Jusqu’à une période récente, cette vulnérabilité était symbolisée par la dépendance du pays dans le domaine des céréales. Tout algérien qui s’intéresse de près ou de loin à l’économie et à la politique avait en effet vaguement le sentiment que le pays risquait à tout moment d’être affamé à cause de la disproportion entre sa consommation de céréales et sa production. En gros, l’Algérie produit la moitié de sa consommation annuelle de céréales, qui constitue la base de l’alimentation. Après un record atteint en 2009 (6.12 millions de tonnes), la production était retombée à 4.5 en 2010, pour descendre encore à 4.24 en 2011, pour remonter à 5.12 millions de tonnes en 2012. Les besoins du pays sont évalués à un peu plus de huit millions de tonnes.  Ce qui revient à dire que le pays importait entre la moitié et le tiers de sa consommation.

Mais le curser de la dépendance a bougé depuis que l’Algérie a appris à importer frénétiquement autre chose que ces céréales. En une décennie, la structure des importations a été bouleversée, pour arriver à un résultat paradoxal : les céréales ne représentent plus que 4.5 Pour cent des importations de marchandises, 3.8 pour cent des importations si on inclut les services.

Symbole puissant de cette évolution: l’Algérie importe moins de céréales que de médicaments, dont la facture s’est élevée à 2.23 milliards de dollars. Certes, ces chiffres de résultats exceptionnels, avec une baisse des importations de céréales, après le stockage de 2011, et une forte hausse des importations de médicaments, mais ils montrent clairement que la nouvelle Algérie a de nouvelles priorités. Elle a réglé la question alimentaire, et elle pense à autre chose, comme la santé, le confort et les loisirs.

Mais plus que les médicaments, ce sont les importations de véhicules qui illustrent le mieux ce qu’est cette nouvelle Algérie des importations. La place prise par les véhicules, et la tendance à la hausse, que rien semble devoir freiner, constituent désormais le fait le plus remarquable dans la structure des importations algériennes. Le pays a importé 568.000 véhicules en 2012, ce qui représente un boom de 45.75% par rapport à 2011. En valeur, ces importations représentent 6.9 milliards de dollars, soit 3.2 fois la valeur des importations de céréales.

A ce rythme, l’Algérie devrait probablement atteindre le cap du million de véhicules vers 2017, très certainement avant 2020, même si le rythme baisse légèrement. Ce qui signifie qu’avant 2020, la facture des importations algériennes de véhicules devrait dépasser les douze milliards de dollars, même en cas de lancement du premier noyau d’une industrie automobile autour du projet Renault. Le constructeur français, à lui seul, a écoulé 115.000 véhicules en 2012, soit autant que tout ce que l’Algérie importait il y a six ans. Ses ventes ont augmenté de 52%, un chiffre exceptionnel.

Lire la balance des paiements, un indicateur pour les investissements

Ce résultat est paradoxal : avec les bonnes performances du secteur agricole, qui enregistre une croissance moyenne de 5%, la dépendance des importations en céréales devrait se stabiliser, ou diminuer légèrement, mais la dépendance dans le domaine de l’automobile risque de devenir insupportable pour l’économie. Particulièrement si on ajoute cet autre paradoxe : l’Algérie a importé du carburant en 2012, et devrait poursuivre ses importations pour satisfaire la consommation interne qui a explosé, alors que les capacités de raffinage stagnaient. Elles ont même régressé avec les travaux de maintenance engagées notamment à la raffinerie de Skikda.

L’économiste Abdelhak Lamiri a tiré une conclusion de bon sens de ces constats. A ceux qui se demandaient, à coups de colloques et de séminaires, quels créneaux il faut privilégier pour l’investissement, il recommande de lire simplement la balance des paiements. Là où le pays perd de l’argent, il y a matière à mettre le paquet. Peu importe comment, avec qui, l’essentiel étant de produire localement ce qui est importé.

Le choix ne se pose pas entre des voitures Renault ou Hyundai. Il se pose entre celles qui seront produites en Algérie, emploieront une main d’œuvre algériennes, payant des impôts en Algérie, essaimant de la connaissance et du savoir-faire industriels en Algérie, donnant naissance à une sous-traitance algérienne, ou maghrébine, et celles quoi se contenteront de vendre leurs produits sur le marché algérien.

Si le pays est condamné à « consommer » un million de véhicules par an à l’horizon 2020, il serait absurde de poursuivre la polémique sur le 51/49, sur la nationalité du constructeur ou la qualité des véhicules. La priorité doit clairement aller à un choix radicalement différent : comment faire en sorte de les produire en Algérie ? Et si le pays apprend à le faire, il pourra passer ensuite à une autre étape, celle où l’Algérie deviendra un pays industriel, capable de vendre en Afrique puis en Europe des voitures coréennes ou françaises fabriquées en Algérie.

En l’état actuel des choses, une telle hypothèse parait absurde. Mais la situation actuelle n’est-elle pas encore plus absurde, quand on sait qu’au début des années 1990, les constructeurs coréens envisageaient de faire de l’Algérie une plateforme industrielle aux portes de l’Europe ?