Dix ans de prison ferme, soit la peine maximale, ont été requis, jeudi dernier, par le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’hamed à l’encontre des 41 prévenus poursuivis dans l’affaire de «transfert illégal» de capitaux de l’Algérie vers l’Espagne. Les plaidoiries de la défense, au nombre d’une cinquantaine, se sont poursuivies très tard dans la soirée de jeudi. Le verdict sera rendu sous quinzaine.
Prévu pour fin novembre dernier, le procès en question a été reporté au 15 du mois en cours à la demande de la défense. Au total, ils étaient 53 personnes, parmi elles des hommes d’affaires, des commerçants et des passeurs de devises, poursuivies notamment pour les chefs d’inculpation de «blanchiment et transfert illégal de capitaux vers l’étranger en violation de la loi sur les changes et les mouvements de capitaux.» A l’origine du déclenchement de toute cette affaire une liste «noire» où figuraient 43 noms d’Algériens suspectés d’appartenir à un réseau transfrontalier de soutien financier au terrorisme et au crime organisé, transmise par les autorités espagnoles à l’Algérie. C’était en août de l’année 2009, et ce dans le cadre de la coopération judiciaire établie entre les deux pays. L’enquête, confiée à la brigade judiciaire de la Sûreté de wilaya d’Alger, a abouti selon l’arrêt de renvoi à la définition de la traçabilité des fonds transférés par des Algériens vers le marché ibérique. Selon l’accusation, plus de 900 millions d’euros ont été transférés de l’Algérie vers l’Espagne, où ils ont alimenté, en cash, des transactions d’import-export ou carrément blanchis, en fin de circuit, dans l’immobilier. Les investigations menées dans une première étape par les autorités judiciaires espagnoles étaient basées sur la fréquence des entrées-sorties et des déclarations de devises faites par les voyageurs algériens auprès des Douanes espagnoles ainsi que la masse de ces capitaux ramenés d’Algérie, en bagages à main, par avion ou par bateau.
«Bombe» oranaise
Alger saisie. Les premières têtes tombent à l’Ouest. Oran est ébranlée par le scandale. Une véritable «bombe» éclate dans le milieu d’affaires oranais, où un grand nombre de personnalités a été convoqué par la police pour audition. L’enquête se poursuit et s’élargit à d’autres wilayas. Au total, cinq wilayas sont concernées par le scandale. Il s’agit de Tlemcen, Oran (port et aéroport), Alger (port et aéroport), Annaba et Béjaïa. Selon les mêmes sources, les douaniers espagnols, après avoir informé la cellule du renseignement financier de leur pays, ont saisi leurs homologues algériens sur les sommes en liquide de plus en plus importantes déclarées une fois en Espagne. Entre 2007 et début 2009, les montants déclarés auraient atteint les 900 millions d’euros, investis en grande partie dans l’immobilier mais aussi dans le commerce. A Alger, 51 personnes sont citées, parmi lesquelles 40 ont débarqué en Espagne via l’aéroport et 11 via le port. Il s’agit, selon nos sources, d’une dizaine de commerçants des marchés Meissonier d’Alger-Centre et d’Ali Mellah. L’onde de choc a coûté cher à deux officiers de la police des frontières et quatre agents. Ces derniers ont été relevés aussitôt de leurs fonctions. A Oran, le scandale a fait tache d’huile du fait qu’il touche certains gros bonnets du milieu des affaires et celui de l’immobilier, mais aussi des sommes importantes transférées. C’est le cas d’un important homme d’affaires cité par l’arrêt de renvoi et accusé d’avoir transféré, au début du mois de septembre 2007 en un seul coup, 119 000 euros vers Alicante. Le «transfert» a eu lieu lors d’un voyage «touristique » en compagnie de sa femme via le port d’Oran. Cet argent — qu’il a déclaré à la douane espagnole — provenant de la vente d’une usine à Oran, selon l’accusation, sera blanchi dans l’immobilier : achat d’un appartement à Paris.
Vendeurs de strings à Ali-Mellah
Quelques-uns des mis en cause dans cette affaire se sont avérés être de simples «passeurs» payés par des industriels et des hommes d’affaires qui ont pignon sur rue dans la capitale. Selon la même source, cinq d’entre eux sont présentés comme des vendeurs de lingerie féminine. Ils gèrent des magasins spécialisés dans la vente des sous-vêtements féminins, soit «des vendeurs exclusifs des grandes marques de strings au niveau des marchés Ali- Mellah et Khelifa-Boukhalfa à Alger-Centre». Selon l’arrêt et l’ordonnance de renvoi de la chambre d’accusation de la neuvième chambre près le tribunal de Sidi- M’hamed, ces derniers justifiaient le transfert de cet argent par l’achat de quantités importantes de vêtements, «alors qu’en définitive, ils ne sont que des passeurs». Un autre commerçant, propriétaire de trois sociétés d’import-export basées à Oran, a fait transiter 599 000 euros, lors de 120 voyages en Espagne, pays où il réside pourtant depuis 2006. Selon lui, il a déclaré cet argent à la douane espagnole juste pour obtenir le document déclaratif afin de mettre en conformité ses activités commerciales, qui ont atteint à l’époque 37 opérations d’import et 53 d’export.
«Violation des procédures»
L’arrêt de renvoi volumineux, d’une centaine de pages a retenu plusieurs chefs d’inculpation. Il s’agit notamment «de fausse déclaration, d’inobservation des obligations de déclaration» ou encore «défaut de rapatriement des capitaux». Durant toute l’instruction, une véritable bataille juridique a mis face à face avocats, juge d’instruction et procureur de la République. Pour les robes noires, «dans cette affaire, il y a eu violation des procédures ». Il s’agit là des arguments avancés par les avocats de la défense lors de leurs plaidoiries. Ainsi, les avocats Chaïb Sadek, Samir Sidi Saïd, Morseli ou encore Farouk K’sentini et Alleg ont considéré que les «chefs d’inculpation retenus dans cette affaire sont infondés». Pour eux, «il y a violation des procédures qui doit aboutir indiscutablement sur la nullité des poursuites ». «Il y a non-respect des procédures judiciaires et les Douanes algériennes se sont portées partie civile sur la base d’un simple rapport des Douanes espagnoles qui n’ont présenté aucun argument valable justifiant la culpabilité des personnes poursuivies dans cette affaire, dont certaines sont en détention préventive depuis 18 mois», plaide-t-on. Cela dit, les plaidoiries des avocats ont duré jusqu’à l’aube. L’affaire a été mise en délibéré sous quinzaine. Le verdict est attendu pour la première semaine de janvier 2012.
A. B.