Si notre société est notoirement violente, les autorités en ont une grande responsabilité. Pour les femmes battues, il n’y a aucun mécanisme de prise en charge ni association à même de les défendre convenablement.
La journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes, qui coïncide avec le 25 novembre de chaque année, a été célébrée, avant hier, à travers les quatre coins du monde, mais dans la wilaya d’Oran, cette journée symbolique est passée inaperçue. Aucune manifestation n’a été organisée pour l’occasion.
Et dire que ces dernières années, la violence dont les femmes algériennes sont victimes a pris une telle proportion qu’elle a tendance à se banaliser. En effet, selon des statistiques récentes, plus de 11 500 femmes se plaignent, chaque année, de violences à travers le territoire national.
Dans 70% des cas, les femmes subissent ces violences dans leurs propres familles. Quant au harcèlement, c’est une autre histoire, car sans preuve, justice ne pourrait être rendue. Nombreuses sont les femmes qui souffrent silencieusement et ne dénoncent pas les violences qu’elles subissent au nom des mœurs de la société. Ce phénomène, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, touche toutes les couches sociales.
Le chiffre des victimes en hausse à Oran
Selon les statistiques du service de la DAS qui s’occupe de ces cas, cette année, le nombre de femmes qui se sont plaintes de différentes formes de violence à travers la wilaya d’Oran a doublé par rapport à l’exercice 2011 qui était de l’ordre de 120 cas. La plupart d’entres elles subissent des violences au sein de leurs familles, par leur parents, frères ou enfants. Selon notre source, ce fléau est en recrudescence quotidienne et cela est dû à différents facteurs, notamment le stress quotidien ainsi que la nervosité et l’éducation.
La même source ajoute qu’il se pourrait que la wilaya d’Oran se dote d’un centre d’accueil pour les femmes victimes de violences, d’ici quelque temps, car la création de ce type d’infrastructure est d’une importance capitale, tant ces femmes en détresse auront besoin d’un abri. Vu les chiffres enregistrés depuis le début de l’année en cours, il serait temps que les autorités locales se penchent sérieusement sur ce fléau qui a pris des proportions alarmantes.
Aucune association à l’écoute…
Malheureusement la wilaya d’Oran n’est pas encore dotée d’une cellule d’écoute qui offre un soutien psychologique et juridique aux femmes et enfants victimes de violences ,du fait que ces cellules qui sont installés dans bon nombre de wilaya à l’image de celle d’ Alger centre qui reçoit jusqu’à 16 ou 17 appels par jour ; ils font état de près de 45 femmes qui ont subi des violences, de leurs maris, frères, parents ou enfants. Ce chiffre est en constante augmentation et ce fléau ne cesse de prendre de l’ampleur dans la société », dira Karima B. psychologue et présidente d’une association de protection de la femme qui nous a déclaré que « Notre principal objectif est la protection de l’enfant.
Nous aidons des mères célibataires à subvenir aux besoins de leurs enfants, avec l’aide de quelques associations étrangères, à l’image de l’association Autrichienne Kinderdorf. Mais aussi, nous nous battons pour l’égalité entre la femme et l’homme. Même si parfois certaines personnes nous disent que c’est utopique, nous ne comptons pas baisser les bras et nous sommes déterminés à y aller jusqu’au bout. Toutes nos actions tournent autour de ça« , précisera M. Hadj Amar psychologue spécialiste, maitre assistant à l’université d’Oran.
Face à la loi du silence
« Les femmes sont agressées quotidiennement à Oran Que ce soit dans la rue, à la maison ou au travail. Il faut préciser que les agressions ne se résument pas qu’à la violence physique. Il y a le harcèlement sexuel et moral, le harcèlement verbal et différents types de violences« , dira El-Hadj Amar. Il expliquera également qu’« actuellement, le nombre précis de femmes agressées à Oran reste inconnu, malheureusement.
Car peu de femmes osent dénoncer ce genre de faits illégaux. Par ailleurs, la société aussi est tenue pour fautive, car quand une femme est violée et qu’ensuite elle dépose plainte, elle est vite pointée d’un doigt accusateur, alors qu’elle est une victime. Les reproches qui reviennent souvent, quand l’une d’elles ose se plaindre, sont, entre autres, « c’est à cause de sa façon de s’habiller« , ou encore, un autre concept typiquement algérien et qui revient souvent : « Si c’était une Bent Famylia (une fille de bonne famille) qui se respectait, ça ne lui serait jamais arrivé« . Un pitoyable jugement qui en dit long sur le degré d’intolérance des Algériens et le machisme ambiant qui gangrène la société.
Le code de la famille l’autre «bourreau»
Parfois, les parents rejettent la faute sur leur fille et la culpabilisent, comme si c’était elle qui voulait se faire violer ou harceler. « Ce sont les gens qui favorisent ces violences« , selon M. Hadj Amar car « quand ces violences sont faites par les maris, les pères et les frères, elles sont banalisées.
Les gens trouvent ça normal. Ce sont les mentalités de ces gens qui favorisent ces violences. L’éducation est à la base du développement de ce fléau. La parité et le respect entre les femmes et les hommes s’inculquent dés le jeune âge, chose qui ne se fait pas chez nous. En Algérie, l’intelligence est attribuée aux hommes, même dans le cas où le niveau intellectuel de la femme est plus élevé ». M. Hadj Amar précisera qu’ »aujourd’hui, la femme vit dans un environnement agressif. Le code de la famille est très en retard en Algérie.
Dans le cas où l’homme décède, la femme n’aura droit qu’à 8% de la part d’héritage, alors que les couples, aujourd’hui, travaillent ensemble pour subvenir aux besoins de leur famille. Et encore, après avoir hérité, elle n’a même pas le droit de revendre sa part d’héritage, plus que ça, en cas de remariage, elle devra céder sa part, car la famille du défunt époux sera toujours là pour lui faire subir une grande pression et lui pourrir la vie« . Il ajoutera : « Nous avons un volet de prise en charge juridique assuré par plusieurs avocats et nous nous occupons, gratuitement, de toutes les affaires relatives aux violences contre les femmes, surtout quand il s’agit d’une violence où il y a tabou.
Nous sommes très loin de ce que nous appelons les droits des femmes. Car ces dernières subissent encore l’injustice et se voient contraintes de ne rien dire et de souffrir seules dans leur coin, car si jamais l’une d’elles brise le silence, elle sera vite critiquée et pointée du doigt par la société et c’est vraiment malheureux « .
Il ajoutera, en dénonçant, que « le code de la famille a relégué la femme au statut de mineure. Il la freine dans son élan et empêche son épanouissement au sein de la société. La femme est victime des lois régissant la famille en Algérie« . Selon le code de la famille, la mère a automatiquement le droit de garde de ses enfants, mais le père reste le tuteur légal. Dans le cas où la mère décide de se remarier, elle sera déchue de son droit de garde.
Quant au logement, il est attribué au père lors du divorce, sauf dans le cas où la mère a trois enfants. « C’est une injustice pure et dure que subissent les femmes en Algérie, et c’est le moment de changer les choses. Les autorités concernées doivent mettre en vigueur des textes et des lois qui émancipent la femme algérienne et qui lui donnent plus de droits », conclura M.Hadj Amar. « C’est vrai que ces dernières années, les droits des femmes ont évolués. Elle a le droit de s’afficher, de travailler et parfois de donner son avis, mais ça reste insuffisant. Pour l’homme, la femme est faite pour rester à la maison et s’occuper de sa famille, et rien d’autre, alors je me demande où sont ces droits ?« , ajoutera Karima B, la psychologue du centre d’accueil d’Oran.
Quelles alternatives ?
« Il faut créer des lois strictes afin de réduire ou contrôler ce genre de faits. Mais avant cela, les gens doivent prendre conscience que la femme est l’égale de l’homme. Elle doit avoir les mêmes droits car, elle aussi, est faite de chair et de sang. La base de la solution se trouve dans l’éducation.
Car nous devons apprendre à nos enfants que la femme et l’homme jouissent des mêmes droits. Les autorités concernées doivent prendre en charge les enfants victimes de violences car, à la base, si nous enquêtons, nous trouverons que la majorité des hommes violents ont subi les mêmes violences quand ils étaient enfants. Dans les pays développés, si tu frappes ton enfant on te l’enlève.
Ces autorités doivent également installer des psychologues au niveau des écoles afin de surveiller le comportement des enfants, de les écouter et de les orienter » expliquera M. Hadj Amar en ajoutant qu’« il y a aussi la spirale de la violence qu’il faut réellement prendre en charge. Car ça commence par des insultes, puis une gifle et ça arrive au cas où ces femmes sont durement violentées. La solution serait que ces victimes en parlent et s’informent mieux sur leurs droits« .
H. Medjadji