Il y a une crise de légitimité qui conduit à l’indifférence des citoyens envers les élections
Les promesses sans lendemain, la faiblesse des discours politiques sont parmi les raisons qui poussent les abstentionnistes à ne pas se rendre aux urnes.
Les promesses sans lendemain, des leaders politiques à court de charisme et de crédibilité, la faiblesse des discours politiques, la pléthore de partis… sont parmi les raisons qui motivent la désaffection de l’électorat. Le constat est là: il y a une crise de légitimité qui conduit à l’indifférence des citoyens envers les élections. Faut-il voir un paradoxe dans le fait que les Algériens sont contestataires mais répugnent à aller voter? À force de vouloir les éloigner de la chose publique, les politiques en ont fait des apolitiques. Ils ont décidé de… ne pas faire entendre leurs «voix» par le biais des urnes.
On parle souvent d’abstention, mais qui sont ces abstentionnistes qui boudent les urnes?
Ils sont pourtant majoritaires ces Algériens qui s’abstiennent de voter. Mais quelles sont les raisons qui poussent cette frange de la société à ne pas accomplir son devoir électoral? Pour connaître les motivations qui poussent ces citoyens à déserter les bureaux de vote le jour des élections, rien de mieux que de leur demander leur avis. Appréciez plutôt. «Je suis citoyen, nationaliste, croyant aux valeurs de la République. Mais je ne voterai pas.» C’est en ces termes que Faycal exprime son refus de voter aux prochaines élections. Le langage est parfois excessif.
«La propagande des autorités fait qu’on nous taxe souvent de non-nationalistes voire de traîtres. Mais on ne cherche jamais à connaître les raisons qui nous poussent à prendre cette décision», déplore cet étudiant en chirurgie dentaire. Il ne manque pas d’affirmer son nationalisme et son amour à la patrie. «Mais le climat politique actuel fait que pour moi ne pas voter est le véritable geste patriotique de ces élections», atteste non sans amertume ce jeune qui dit être déçu par les politiques qui «ne se soucient guère de la jeunesse du pays qui est pourtant majoritaire».
Ce sentiment de dégoût est également perceptible chez Nabila, chargée de clientèle dans une banque étrangère. «Je me fais à chaque fois berner par les promesses des politiciens pour aboutir au même résultat, c’est-à-dire rien», déplore-t-elle. «Lors des dernières élections législatives, on nous a promis monts et merveilles. Mais depuis mai dernier qu’ont fait les députés pour leurs électeurs?Rien, si ce n’est lever la main et encaisser leurs chèques…», explique Nabila qui dénonce le fait de n’avoir vu aucun de ces députés pointer le bout de son nez pour rencontrer ses électeurs. «Je ne tomberai donc plus dans le piège des politiciens qui nous utilisent pour arriver au pouvoir et nous oublier dès qu’ils sont sur leur trône», assure-t-elle.
Nabila n’est pas la seule à avoir décidé de passer du côté des abstentionnistes.
Aâmi Amar a toujours été contre l’abstention. Mais cette fois-ci, il le dit fièrement: «Je ne voterai pas. Pour qui je voterai? C’est vrai qu’il y a une cinquantaine de partis mais aucun n’est pour moi une véritable force politique. Ce ne sont que des lièvres avec aucun niveau politique ni intellectuel et qui font honte au pays. Il n’y a qu’à voir leurs interventions sur la petite lucarne. J’ai toujours voté mais quand ces candidats se présentent tous les jours sur l’Unique, il y a de quoi ne pas voter», dit-il.
Les nouveaux partis poussent à l’abstention
Qu’en pense Mohamed, un sexagénaire, qui s’apprête à prendre sa retraite. «50 partis qui tombent du ciel et qui n’ont aucun programme politique. Je dis basta! On est en train de nous prendre pour des…», peste-t-il. «Ces nouveaux partis n’ont pas convaincu pour que les gens aillent voter», ajoute-t-il. Selon lui, les candidats rappellent l’image de Si Makhlouf de Carnaval fi dechra.
Mohamed avance aussi le fait que «ce nombre élevé fait que les gens ne savent plus où donner de la tête», s’indigne-t-il. «Leurs sigles sont pareils. Cela sans parler du fait que prendre 50 bulletins avant de passer aux urnes décourage les plus téméraires», tempête-t-il. Il se permet une note d’humour. «Lors des législatives j’ai vu des personnes âgées qui ont failli laisser leur vie dans les bureaux de vote. C’est plus difficile que le pèlerinage à La Mecque», regrette-t-il.
Aymen, ingénieur, revendique haut et fort son droit de…ne pas voter. «J’ai 30 ans et je n’ai jamais exercé ce droit», dit-il. Il accuse: «La politique n’attire que les opportunistes pour faire bénéficier les leurs.» Il doute de l’honnêteté de certains candidats. «Comment veux-tu voter pour un maire qui ne peut même pas faire marcher le petit service d’état civil?», s’interroge-t-il.
Yasmine, fonctionnaire, ap-porte aussi son témoignage: «L’affairisme, le lobbying et la corruption ne peuvent jamais avoir ma caution.» On est devant des candidats qui ne se soucient guère de nos cités, de nos quartiers ou de nos villages. Dans ma famille, on est vingt à ne pas voter», conclut-elle son réquisitoire contre ce qu’elle qualifie de mascarade électorale. Sabrina, titulaire d’un diplôme en commerce, s’interroge sur la place de la jeunesse. «Voilà la question que les politiques doivent se poser avant de nous appeler à voter», affirme-t-elle.
Brahim, cadre dans une société privée raconte son expérience avec le vote. «Je ne voterai pas parce que de toute façon ma voix ne servira à rien puisque les jeux sont faits d’avance. J’ai voté une fois, j’ai vu que ça ne servait à rien sauf à m’éloigner davantage de la politique. C’était la première et la dernière fois. Depuis, j’ai juré que même si mon père se présentait, je ne voterais pas», dit-il.
«En Algérie, les élections se jouent avec une cinquantaine de partis et à la fin c’est toujours le FLN qui gagne», souligne-t-il avec une pointe d’humour.
«Nvoti waâlache, faragh ch’ghoul? (Voter? N’ai-je rien à faire à ce point?)», répond Hakim, chômeur. Son ami Khaled, gardien de parking, pense que seuls les vieux et les gens qui ont des intérêts vont aller voter. «Si on me paie je vote, sinon je ne vois pas pourquoi je le ferais. C’est une perte de temps… aller à la mairie pour chercher sa carte, en plus partir voter», argumente-t-il.
Crise de légitimité
Du côté des militants des droits de l’homme, d’autres problématiques.
«Malheureusement aucun candidat, tous partis confondus, ne se pose la question sur la volonté de tout un peuple de voter ou de boycotter», déplore Oussama. «Tant que cette question n’est pas débattue, il ne faut rien attendre», juge-t-il. «C’est la première fois depuis l’avènement du vote pluraliste dans les années 1990, qu’une élection se présente sous des auspices aussi catastrophiques. Il y aura des élus, certes, mais avec quel taux de participation? Cela nous conduit simplement à une représentation locale illégitime», avance-t-il, en guise d’analyse. «On va se retrouver avec des représentants du peuple mal élus. Pourtant, ils sont en relation directe avec le citoyen. Il y a lieu de penser d’ores et déjà aux conséquences d’une telle situation», conclut-il.