Plaidoirie pour la politique du bon usage du médicament en Algérie, Où se situe la faille?

Plaidoirie pour la politique du bon usage du médicament en Algérie, Où se situe la faille?

Le circuit du médicament concerne également le pharmacienLe circuit du médicament concerne également le pharmacien

Le problème du médicament en Algérie se pose depuis longtemps. Dans les années 1980, nous avons souffert de la rareté de certains produits y compris de médicaments de base pour traiter une angine, une fièvre ou un simple traumatisme musculo-squelettique.

Au début des années 1990, nous avons assisté à la libéralisation du marché en permettant à des opérateurs privés d’importer les médicaments. L’importation du médicament et autres produits de santé, a permis de surmonter de nombreuses difficultés. C’est une solution sans équivalent du fait qu’à l’époque nous n’avons pas encore développé une industrie pharmaceutique pouvant couvrir les besoins des patients en Algérie.

Ces dernières années, toutes les solutions recherchées portent uniquement sur le volet commercial et la gestion des pénuries, surtout lors des ruptures. Ce phénomène de rupture en produits de santé, touche tous les pays y compris la France par exemple. C’est lié aux délocalisations de la fabrication du produit fini. En fait, ce sont les avatars de la mondialisation. Ces dernières années, même en France, nous avons vécu des ruptures d’approvisionnements y compris de produits majeurs, car les matières premières ne sont pas disponibles en quantités suffisantes.

En Algérie, le règlement des problèmes d’approvisionnement par l’importation, ne doit pas occulter les autres problèmes, qui doivent être pris en charge par la promotion de la politique du médicament dans son aspect «bon usage». Tous les pays qui ont gagné la bataille du bon usage du médicament, l’ont fait dans un cadre plus vaste de ce qu’on appelle la qualité et la sécurité des soins.

Si on part du principe que le médicament est l’un des outils de la prise en charge du malade même, si ce n’est pas le seul, on doit s’inquiéter des conditions de l’utilisation du médicament, c’est ce qu’on appelle entre professionnels la qualité et la sécurité du circuit du médicament, ce circuit concerne tous les professionnels de la santé.

Toutes les études ont montré des failles plus ou moins importantes dans les différentes étapes du circuit du médicament. Le premier segment du circuit échoit de droit aux médecins et de fréquence moindre aux chirurgiens-dentistes. Les constatations les plus rapportées au sujet de l’acte de prescription, notamment par des études anglo-saxonnes, ont montré que le nombre de médicaments par ordonnance varie d’un pays à l’autre. En Algérie, ce nombre doit se situer aux alentours de cinq à six médicaments par ordonnance pendant qu’il n’est que de trois médicaments dans le nord de l’Europe. La médecine algérienne est très proche de la médecine française, sachant que les patients français sont réputés parmi ceux qui consomment le plus de médicaments au monde. C’est alors qu’il faudra réfléchir et s’engager dans ce qu’on appelle la pertinence de la prescription, qui doit s’articuler autour du bon médicament, au bon malade, à la bonne dose. Le médecin ordonnateur du traitement doit réévaluer et s’assurer que tous les traitements de son patient sont utiles et à tout moment durant leur prise. Ce qui veut dire, que la justification d’un traitement médicamenteux peut être remise en cause, car l’état du patient a évolué. D’autre part, les études ont montré que la balance bénéfice / risque d’un même médicament peut varier d’un patient à un autre, c’est le cas des anti-inflammatoires non stéroïdiens par exemple. Une attention particulière a été portée sur les anxiolytiques, notamment les benzodiazepines(Lexomil, Tranxene, Valium, Temesta, Seresta, Alprazolam, Xanax).Ce sont des médicaments trop largement prescrits, ils peuvent être utiles sur une courte période, c’est-à-dire, ils permettent d’atténuer l’anxiété et aider le patient à sortir d’un cap difficile. Mais c’est le genre de médicaments qui est entaché d’un haut risque de pharmacodépendance lorsqu’ils sont pris trop souvent ou trop longtemps. Parfois une prise en charge psychothérapeutique peut s’avérer plus appropriée qu’un traitement par benzodiazepines au long court.

Ces vingt dernières années un mésusage a touché particulièrement les antibiotiques. Certains d’entre eux ont perdu leur efficacité, car les bactéries qu’ils sont censées éliminer sont devenues résistantes. Cette antibiorésistance pose un problème sérieux, notamment lorsqu’il s’agit des infections dites nosocomiales ou plus généralement liées aux soins. Ce phénomène de résistance aux antibiotiques touche beaucoup les pays de l’Europe du Sud. Il s’explique par l’usage trop important des antibiotiques et parfois sans pertinence, ni justificatif c’est le cas dans les infections virales. Les experts ont également souligné le rôle de la médecine vétérinaire dans l’émergence de la résistance à certains antibiotiques. En effet, lorsque nous consommons la viande d’un animal traité par les antibiotiques et sacrifié peu de temps après, nous ingérons sans le savoir des antibiotiques emprisonnés dans cette viande et notre organisme se trouve confronté à ces produits avec le risque de développer des résistances de microorganismes qu’on peut propager à notre tour. L’une des clés pour maîtriser ce phénomène d’antibiorésistance, est de réduire les prescriptions des antibiotiques aux stricts besoins, c’est-à-dire, uniquement aux infections bactériennes avérées, en respectant les doses et les durées de traitement. Par exemple, la grippe est une infection virale, contre laquelle les antibiotiques ne sont pas nécessaires.

La responsabilité du pharmacien

Le circuit du médicament concerne également le pharmacien, son rôle est clairement défini par le décret exécutif 92-276 du 6 juillet 1992, portant déontologie médicale. Dans l’article 115, le texte dit que tous les actes de pharmacie doivent être accomplis par le pharmacien lui-même ou il doit surveiller l’exécution des actes qu’il n’accomplit pas. Le décret ajoute que l’exercice de la pharmacie est personnel, En filigrane, tous les actes de pharmacie doivent être exécutés ou validés par un pharmacien responsable, il peut s’agir soit du titulaire même, de son adjoint ou de son remplaçant le cas échéant. On peut déplorer la suppression par la loi de février 1985, du corps des préparateurs en pharmacie. En France, par exemple, ils jouent un rôle très important aux côtés du pharmacien. Ils ont bénéficié d’un excellent niveau de formation sur les métiers relevant du domaine de la pharmacie, ils travaillent sous le contrôle effectif d’un pharmacien, mais de par leurs compétences, les préparateurs peuvent déceler toute anomalie sur une ordonnance et alerter le pharmacien par exemple.

L’acte de dispensation des médicaments ne se résume pas à vendre ou à remettre au patient les médicaments qui lui sont prescrits. Le pharmacien doit analyser chaque ordonnance pour détecter les mauvaises posologies (doses), les interactions médicamenteuses potentiellement dangereuses (article 144 du décret). Il doit prodiguer au patient tous les conseils et informations utiles pour la réussite de son traitement, insister sur l’observance et indiquer au patient le temps à observer entre une prise médicamenteuse par rapport à la nourriture, certains aliments ne font bon ménage avec les médicaments, c’est le cas du pamplemousse et dans certains cas les produits laitiers à cause de leur teneur en calcium. Le propre rôle du pharmacien doit être exercé indépendamment de celui du médecin. Le pharmacien est considéré comme l’expert du médicament, cette expertise le place au centre du dispositif pour la promotion du bon usage du médicament, la lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse, la pharmacodépendance, les conduites addictives et la toxicomanie.En outre, chaque patient constitue un cas particulier. L’adhésion du patient au traitement est un facteur primordial pour sa réussite. Par adhésion, il faut entendre la croyance aux bienfaits des médicaments que l’on prend. En effet, certaines études ont montré que des échecs aux traitements, sont liés à une considération erronée du patient à l’égard de ses médicaments. Le pharmacien doit engager un entretien pharmaceutique avec chaque patient, il doit rechercher les éléments, qui pourront prédire comment le patient va se comporter vis-à-vis de son traitement. Cet entretien d’évaluation est plus que nécessaire lorsqu’il s’agit d’un patient qui va gérer seul son traitement à son domicile. Le pharmacien doit prendre en compte la sensibilité particulière aux médicaments des enfants en bas âge et des personnes âgées et comme nous vivons sous un climat chaud, il faut sensibiliser pour prévenir le risque d’accident iatrogénique lié à la déshydratation.

En plus du rôle du médecin et celui du pharmacien, la place de l’infirmier est prépondérante, c’est à lui d’administrer au malade les médicaments en milieu hospitalier. L’infirmier est en contact permanent avec le patient, il est en mesure de recueillir ses éventuelles plaintes et observer l’évolution de sa santé au regard du traitement qui est prescrit. Par exemple, un malade sous antibiotiques alors que sa fièvre ne baisse pas, constitue un exemple classique d’alerte du médecin par l’infirmier. La présence d’ecchymoses chez un patient sous anticoagulants ne doit pas échapper à la vigilance de l’infirmier, la chute d’une personne âgée au cours d’un traitement antihypertenseur, doit faire l’objet d’un signalement au médecin par l’infirmier.

A la lumière des exemples ci-dessus, la politique du médicament doit accorder une place particulière pour le bon usage. Lorsqu’on dit qu’un médicament ne se prend pas à la légère, cette phrase a tout son sens dans la pratique quotidienne. Il existe un ensemble de mesures qui doivent être observées, afin que le traitement médicamenteux soit efficace et sans effets délétères évitables.Des études pharmaco-économiques ont démontré que le bon usage du médicament fait baisser quantitativement la consommation des médicaments. Ce sont des mesures et des actions qui permettent d’optimiser les ressources et qui génèrent des économies par une diminution des dépenses directes ou indirectes, une ré-hospitalisation pour cause d’échec thérapeutique médicamenteux, va induire un coût pour la collectivité.

Qu’a-t-on fait du livret thérapeutique?

On peut parler également des programmes d’éducation thérapeutique, les plus couramment déployés, concernent les patients porteurs de maladies chroniques: le diabète, l’insuffisance cardiaque, l’hypertension artérielle. Ces programmes sont animés par des équipes de professionnels pluridisciplinaires, dans lesquels les patients doivent s’approprier les facteurs clés et indispensables au bon usage des médicaments qu’ils sont censés prendre.

Le bon usage du médicament doit reposer sur un livret thérapeutique, sur lequel il faut inscrire uniquement les médicaments ayant un Service médical rendu (SMR) important ou qui l’améliore. Pour chaque composé ou Dénomination commune internationale (DCI) il suffit d’autoriser ou d’agréer seulement deux spécialités (marques); par exemple un princeps(copie d’origine) et un générique. La ventilation ou la dispersion des besoins sur tous les génériques existants, conduira à l’éclatement du marché et un surcoût considérable. Il est plus facile de négocier les prix avec un ou deux fournisseurs que lorsqu’il y a foison! Lorsque nous disposons d’un livret thérapeutique concis et complet, on doit établir des protocoles consensuels de prescription, au moins pour certains médicaments tels que les anticoagulants, les morphiniques pour lutter efficacement contre la douleur, les antibiotiques pour préserver leur activité et éviter l’antibiorésistance. Une attention particulière doit être accordée aux médicaments anticancéreux, ces derniers sont coûteux et peuvent s’avérer toxiques pour le patient et l’environnement, ils doivent faire l’objet de Réunions de concertation professionnelles (RCP) entre médecins – pharmaciens hospitaliers – infirmier(e)s. En outre, jusqu’à un passé récent, en France, les doses d’anticancéreux du patient, sont préparées par les infirmiers, malheureusement, il y a eu beaucoup d’évènements indésirables, graves, ayant pour origine des erreurs de calculs de ces doses, mais depuis quelques années, cette préparation des doses d’anticancéreux, est confiée aux équipes pharmaceutiques. C’est un progrès considérable, qui a permis une plus grande sécurisation d’emploi et des économies substantielles, car il y a très peu de pertes des reliquats, n’oublions pas que ce sont des médicaments très onéreux.

Une gestion optimisée des dépenses médicamenteuses repose sur un circuit du médicament de qualité, qui doit s’articuler avec la prise en charge globale du patient. En France, chaque établissement de santé subit tous les 4 ans l’expertise de certification, qui consiste à passer au crible toutes les pratiques de soins et les étapes du circuit du médicament. Celles-ci sont disséquées pour s’assurer de la solidité des digues de sécurité et de bon usage. La politique du bon usage du médicament est déterminée par un comité ad ‘hoc, et elle est conduite en grande partie par le pharmacien hospitalier garant de la bonne utilisation du médicament.

Dans notre pays, nous vivrons de plus en plus vieux du fait de l’amélioration des conditions de vie, notamment ces 15 dernières années, mais comme ce sont les personnes âgées qui consomment une grande partie des médicaments, à cause des dérèglements liés au vieillissement, cette donnée démographique doit intégrer toutes les réflexions à mener sur le budget médicament et l’organisation de la solidarité du remboursement. Les Allemands remboursent un forfait journalier par médicament. On peut extrapoler et imaginer le même schéma, le payeur (Cnas) fixera un forfait journalier à rembourser par médicament et déterminera l’enveloppe annuelle à consacrer, il lancera un appel d’offres pour un marché de 4 ans par exemple. Au passage, le laboratoire retenu doit contribuer au financement de la formation continue des praticiens de santé, cette formation doit être obligatoire et organisée par des sociétés savantes reconnues et contrôlées par les ordres professionnels des médecins et des pharmaciens.

Pour les médicaments particuliers comme certains anticancéreux, les bio similaires, les thérapeutiques innovantes, ils peuvent bénéficier d’un statut particulier avec un usage hospitalier exclusif et leur financement sera intégré dans la dotation budgétaire hospitalière avec un réajustement saisonnier.

* Pharmacien au CHU Henri-Mondor, France