En pleine saison estivale, de plus en plus d’estivants délaissent les plages traditionnelles au profit de coins reculés, nichés entre mer et montagne. Ces sites naturels, souvent invisibles sur les cartes touristiques classiques, offrent une expérience unique, à la croisée de l’aventure, de la détente et de l’évasion. Leur point commun : l’inaccessibilité routière.
Des criques préservées, accessibles uniquement à pied ou par bateau
Sur le littoral est de l’Algérie, plus d’une vingtaine de plages demeurent inaccessibles aux voitures. Isolées et sans surveillance, elles nécessitent une approche à pied à travers la forêt ou les reliefs escarpés, ou bien par voie maritime via des barques de pêche ou de plaisance. Ces plages se distinguent par leur isolement, leur silence naturel et leur environnement vierge, loin de toute forme d’aménagement urbain.
L’accès terrestre exige souvent plus d’une heure de marche dans des conditions difficiles. Certaines criques ne sont atteignables qu’après plusieurs kilomètres de sentiers forestiers, rendant leur exploration difficile pour les familles, mais plus accessible aux groupes de jeunes.
L’alternative la plus courante reste le transport maritime, depuis une plage surveillée vers ces criques retirées, contre une contrepartie financière.
Lakbiba (Skikda) : un joyau enclavé entre mer et montagne
À seulement deux kilomètres de la commune de Chéraïa (Skikda), une plage sauvage et préservée attire les aventuriers en quête d’évasion. Pourtant, son accès reste un défi : près de 45 minutes à une heure de marche à travers des reliefs montagneux difficiles, ou bien une traversée en bateau depuis la plage de Tamanart, plus accessible.
Pour ceux qui optent pour la mer, la traversée en bateau coûte 1300 DA (aller simple), à partager entre au moins six passagers. Les voyageurs négocient avec le batelier pour fixer l’heure du retour, généralement vers Tamanart, où la plage est surveillée. À l’arrivée, aucun poste de secours ni drapeau de vigilance : la plage est entièrement sauvage, loin de l’agitation urbaine.
Malgré son isolement, la plage n’est pas tout à fait déserte. Un vendeur solitaire y propose des snacks et des cigarettes à des prix élevés, parcourant chaque matin une heure de marche à travers les fourrés et les rochers pour rejoindre les visiteurs. Certains jours, il dort sur place si aucun bateau ne peut le ramener le soir.
Les visiteurs, autrefois majoritairement jeunes, sont désormais plus diversifiés, incluant même des familles. La plage offre plusieurs criques tranquilles, avec une eau calme, presque comme un lagon. Pour beaucoup, c’est un havre de paix, loin du bruit et de la foule, où la nature règne en maître.

Lakbiba – Skikda – Algérie
El Attaf (Jijel) : entre falaises et poissons en liberté
Perdu entre les régions de Béni Belaïd et Béni Béni Ferguène, historiquement la plage de El Attaf reste un secret bien gardé. Accessible uniquement après une heure de marche éprouvante à travers les rochers et les broussailles, ce site isolé a longtemps été fréquenté uniquement par les habitants.
Mais depuis l’arrivée de deux bateaux-taxi venus de Jijel, le lieu attire désormais explorateurs et campeurs.
Aucune route ni transport public ne dessert la plage. Un ancien maire de Béni Belaïd révèle qu’un projet de voie d’accès avait été proposé, mais rejeté pour préserver l’environnement.
Les opposants y voyaient même « un crime contre la beauté naturelle » du site, composé de deux criques où les poissons virevoltent entre les rochers, offrant un spectacle unique.
Pour y accéder, les visiteurs doivent payer 1000 DA la traversée en bateau, souvent bondé de jeunes en quête d’évasion. À l’arrivée, pas de réseau téléphonique, ni de commodités modernes – juste le calme absolu.
Sur place, un couple de sexagénaires, Zakaria et son épouse, s’installe chaque été dans une cabane rudimentaire pour vendre des plats simples (œufs durs, frites, café) aux campeurs. Zakaria défend les visiteurs, les décrivant comme « respectueux et éloignés des vices », venus chercher « un vrai dépaysement, loin des écrans et des rumeurs des réseaux sociaux ».
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En juin, certains ont même fêté l’Aïd El Adha sur place, partageant des grillades dans une ambiance joyeuse. La nuit tombée, le site se transforme en camping sauvage, où dormir sous les étoiles devient une expérience hors du temps.
El Attaf, c’est l’anti-destination touristique : pas de selfies, pas de bruit, juste la nature dans son état brut. Un luxe rare.

El Attef – Jijel – Algérie
Boutribicha (El Tarf) : entre forêt dense et criques secrètes
À quelques kilomètres d’El Kala, dans la commune frontalière d’Oum Touboul, se cache Boutribicha , une plage isolée que les locaux surnomment « l’île » – bien qu’elle n’en soit pas une. Loin de l’agitation des plages surveillées, ce joyau naturel exige une heure de marche éprouvante à travers une forêt dense, où l’on peut croiser sangliers, hyènes ou renards.
Pas de route, pas de bateaux réguliers : pour y accéder, deux options s’offrent aux visiteurs :
- À pied, avec l’aide de guides locaux comme Mohieddine, qui propose (contre 2000 DA) de garder les voitures et d’accompagner les randonneurs à travers la forêt.
- En bateau depuis La Messida, pour 2000 DA par personne – une option peu prisée en raison de la durée du trajet.
Boutribicha se compose de deux grandes plages séparées par une majestueuse roche en forme d’îlot, agrémentées de cascades et d’une rivière. Un cadre idyllique qui attire surtout des groupes en quête d’évasion, parfois même pour y camper sans se baigner, tant la beauté des lieux suffit à envoûter.
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Pourtant, ce sanctuaire naturel paie le prix de son succès : des montagnes de déchets abandonnés par certains campeurs, en l’absence totale de poubelles ou d’initiatives de nettoyage. Un paradoxe cruel pour un lieu qui vit sans réseau téléphonique, loin de toute modernité… mais pas de l’irresponsabilité humaine.
Boutribicha reste un test : celui de notre capacité à préserver ces fragments de wilderness, où la nature impose encore ses règles.
Plage Boutribicha – El Tarf, Algérie –
Sophia (Skikda) : La plage du navire fantôme
Perdue entre les bancs de sable et les vagues tumultueuses de la côte de Guerbès, près de Skikda, une plage longtemps ignorée des cartes touristiques porte désormais le nom d’un mystérieux géant de métal : Sophia.
Ce cargo maltais, échoué depuis 2008, a brisé l’isolement du site, transformant ce coin sauvage en une destination hors du commun, entre frisson et fascination.
En mars 2008, le capitaine du Sophia lance un appel de détresse après que son navire, chargé de marchandises, s’est ensablé à quelques mètres du rivage. Malgré l’intervention des secours algériens, les vagues monstrueuses (dépassant 4 mètres) et les courants violents scellent le sort du bateau… et coûtent la vie à un sauveteur.

Plage Sofia – Skikda – Algeria
Depuis, la carcasse rouillée du Sophia veille sur cette plage, offrant un spectacle à la fois poignant et envoûtant.
Les plus courageux grimpent sur l’épave pour des photos spectaculaires, tandis que d’autres préfèrent contempler le paysage, entre fascination et mélancolie.
Si l’épave attire désormais curieux et photographes amateurs, elle subit aussi les conséquences de sa popularité : déchets abandonnés, graffiti sur la coque, et risques liés à l’exploration non sécurisée du navire. Pourtant, pour beaucoup, la plage du navire fantôme reste un symbole de nature indomptée, où l’histoire humaine se fond dans le paysage.
Comme les autres criques secrètes d’Algérie, ce site soulève une question cruciale : comment préserver ces lieux uniques, sans sacrifier leur âme sauvage ?
Préservation nécessaire et encadrement à renforcer
L’intérêt croissant pour ces plages sauvages souligne l’attrait des Algériens pour un tourisme plus proche de la nature, loin des infrastructures bétonnées. Toutefois, cette fréquentation accrue, en l’absence de structures de gestion ou de sensibilisation, menace l’équilibre fragile de ces écosystèmes.
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Sans collecte des déchets, ni actions de nettoyage, certains de ces lieux finissent défigurés par l’incivisme. Le développement d’un tourisme écologique encadré, associé à des initiatives de préservation, semble aujourd’hui indispensable pour préserver ces joyaux côtiers, tout en les rendant accessibles de manière durable.