Helg Sgarbi se faisait passer pour une sorte de James Bond au service du gouvernement suisse. Avant de faire chanter ses victimes en filmant leurs ébats.
Le scandale avait éclaté dans les médias allemands à l’automne dernier, en même temps que la crise financière. Cela explique certainement pourquoi l’affaire de la riche héritière de BMW, manipulée par un gigolo passé maître chanteur, a autant fasciné les tabloïds et leurs lecteurs outre-Rhin. La très discrète Susanne Klatten, la femme la plus fortunée d’Allemagne, n’a succombé ni à la faillite de la banque Lehman Brothers, ni à l’effondrement des exportations automobiles germaniques. Mais son coup de cœur pour un don Juan se faisant passer pour une sorte de James Bond a failli lui coûter très cher. Baptisé «La riche héritière et le gigolo» par la presse allemande, le feuilleton médiatique vient de connaître son épilogue avec la condamnation, lundi à Munich, de Helg Sgarbi, «le gigolo suisse», à six ans de prison.
Sgarbi, qui a fait chanter plusieurs femmes fortunées en menaçant de dévoiler des images de leurs ébats, a été condamné pour «escroqueries, tentatives d’escroquerie et chantage». Ses aveux ont toutefois épargné à Susanne Klatten, ainsi qu’aux trois autres victimes figurant dans l’acte d’accusation, l’embarras d’un déplacement devant le tribunal pour témoigner face à leur ancien amant. «Il était assez clair avant le procès que les femmes ne voulaient en aucun cas se présenter ici», a souligné le président du tribunal, Gilbert Wolf, en rendant sa décision, face à une foule de journalistes.
Un complice et «gourou» italien
Cependant, Sgarbi, qui risquait jusqu’à dix ans d’emprisonnement, «ne pourra obtenir aucune réduction de peine, car il n’a pas dit où son butin se trouvait», a précisé Wolf. Un seul témoin – l’un des enquêteurs – a été entendu. Il a reconnu que la justice «ne sait pas où peuvent se trouver les vidéos» tournées par Helg Sgarbi lors de ses rencontres intimes avec ses victimes dans des hôtels. Un complice présumé de Sgarbi, l’Italien Ernano Baretta, arrêté en Autriche en même temps que lui, a «probablement acheté une maison vers Pescara (centre de l’Italie) avec l’argent de Susanne Klatten», a-t-il encore dit. «Les enquêteurs italiens y ont trouvé de fortes sommes d’argent liquide», cachées dans des sacs en plastique et dans un vase en céramique. Ernano, interrogé puis relâché par la justice italienne, est présenté par la presse comme le «gourou» d’une secte à laquelle appartiendrait Helg Sgarbi. Il reste toutefois hors d’atteinte de la justice allemande.
Héritière de la famille Quandt, Susanne Klatten – une femme mariée de 46 ans, mère de trois enfants -, avait rencontré le Suisse Helg Sgarbi, de trois ans son cadet, dans un bar d’hôtel en Suisse en juillet 2007. Comme pour ses autres victimes, Sgarbi a prétendu qu’il parlait plusieurs langues et qu’il faisait office d’émissaire spécial du gouvernement helvétique pour les zones de guerre. En réalité, il était un simple vendeur de poulets dans un établissement de restauration rapide. Après leur première rencontre, Sgarbi téléphone sans cesse à la riche blonde aux yeux bleus, lui répétant qu’il a eu un coup de foudre pour elle. Finalement, elle cédera à ses avances lorsqu’il fera une apparition surprise mi-août sur son lieu de vacances dans le sud de la France.
Quelques jours plus tard, ils se retrouveront dans un hôtel Holiday Inn de Munich, où Sgarbi filmera ses ébats avec Klatten, dont il montera une vidéo de 38 minutes. L’héritière, qui ignore tout des talents de vidéaste amateur de son amant, tombe sous le charme. Le gigolo s’échappe rapidement en prétextant un «voyage d’affaires aux États-Unis». Dès la fin du mois d’août, il se manifeste de nouveau. Il a «de gros ennuis» et exige de la rencontrer immédiatement. Rendez-vous est pris à l’hôtel Tulip Inn de l’aéroport de Munich. Sgarbi prétend avoir renversé une fillette à Miami dans un accident de voiture. Il doit verser 10 millions d’euros pour dédommager la famille de l’enfant, faute de quoi un procès ruinera sa carrière. Sgarbi prétend avoir déjà rassemblé 3 millions et en réclame sept à son amie fortunée.
Susanne Klatten hésite. Mais elle est amoureuse et finit par céder en acceptant de lui offrir un «Seven Up», le nom de code imaginé par les deux amants pour le colis. Début septembre, elle lui remet un carton de déménagement contenant 7 millions d’euros en coupures de 500 euros dans le parking du Holiday Inn de Munich. «C’était tellement lourd que je n’arrivais pas à le soulever», a-t-elle confié dans un entretien à la presse. En arrivant en Suisse le soir, Sgarbi téléphone à Klatten pour la rassurer : tout s’est bien passé ; il a déjà transféré la somme aux avocats américains.
Fort de son succès, Sgarbi est alors saisi d’une folie des grandeurs. Au cours d’un rendez-vous début octobre, il exige de Klatten qu’elle quitte son mari pour vivre avec lui. Pour financer son train de vie, elle doit lui verser 290 millions d’euros. Entre-temps, elle avait déjà tout avoué à son époux, dont les soupçons avaient été éveillés par une note de téléphone portable. Mais le gigolo, qui pense avoir trouvé la victime idéale, se mue en maître chanteur. Il envoie une enveloppe contenant des photographies prises lors de leur première nuit à l’hôtel et réclame une rançon. Klatten dit avoir alors réalisé que ses intentions étaient criminelles dès le départ. Et que son seul but avait été de lui soutirer de l’argent.
Lui pense que la peur du scandale empêchera la femme d’affaires respectée de révéler l’affaire. Il menace de distribuer des vidéos de leurs ébats aux médias, au conseil d’administration de BMW et à son mari. Pour son silence, il réclame sept «Seven Up», soit 49 millions d’euros. Avant de ramener ses exigences à 14 millions d’euros et de fixer un ultimatum au 15 janvier 2008. Klatten, qui a révélé l’affaire à la police allemande, accepte. C’est la fin de l’aventure pour Sgarbi.
«Fascinée» par un homme si aimant
Car Susanne Klatten est décidée à enfreindre la légendaire discrétion à laquelle elle avait soumis son existence jusqu’alors. S’abstenant souvent de siéger dans les conseils d’administration des grands groupes industriels dont elle détient des actions, elle préfère tirer les ficelles dans les coulisses. Cette fois-ci, elle monte en première ligne. En janvier 2008, Klatten se résout à porter plainte pour escroquerie à Munich. Pour celle qui possède 12 % du capital de BMW et qui contrôle aussi le groupe de chimie Altan, c’est la promesse d’inconfortables coups de projecteur. La famille Quandt est également connue pour ses liens avec le régime nazi. Klatten, qui a hérité à la mort de son père, Herbert Quandt, «pèse» aujourd’hui près de 10 milliards de dollars, selon l’estimation de la revue Forbes, ce qui la classe au 68e rang du palmarès des plus grandes fortunes de la planète.
Pour justifier son coup de folie, l’héritière BMW explique qu’elle a été «fascinée» par cet homme si bien élevé, avenant et aimant. Elle aurait immédiatement ressenti «une grande proximité avec lui», raison pour laquelle elle aurait cédé à cette folle «passion». Sgarbi avait eu le loisir de roder son personnage avec ses précédentes victimes. Il se présentait comme un «conseiller spécial» pour des «gouvernements internationaux», un émissaire du gouvernement suisse pour les zones de conflit. Dans les soirées de la haute société où il réussissait à s’infiltrer, les femmes restaient suspendues à ses lèvres, lorsqu’il faisait ses récits à la James Bond.
Une fois la conquête «matérialisée», le gigolo complétait son travail avec l’envoi de lettres mielleuses, dans lesquelles il vantait toujours une «communion des cœurs» et s’étonnait des «forces amoureuses inouïes qui se déchaînaient en lui». L’une de ses victimes l’avait surnommé 007, d’après le célèbre agent secret britannique. En réalité, son talent d’espion se limitait à étudier de près les goûts et les passions de ses proies pour mieux les séduire.