Si certains le font comme une sorte de «troc» qui leur permet de financer leurs voyages, d’autres en ont fait un véritable commerce qui rapporte gros. Prenez vos cabas et suivez-nous dans ce monde d’import-export où les principales stars sont la cigarette, le Nutella et les chocolats… Appréciez-plutôt!
Khaled est un jeune cadre dans une multinationale. Il est de retour au pays après un petit week-end en Espagne, une nouvelle «tradition» pour lui et ses potes qui vont presque deux fois par mois pour, disent-ils, «décompresser». Il se fait tard, il fait froid et il pleut, mais malgré un week-end des plus festifs, la «team» ne rentre pas directement à la maison. Ils doivent faire la tournée des supérettes. Pourquoi s’infliger ce calvaire alors que Khaled et ses amis doivent se lever dans moins de 9h pour aller travailler? «On a des cabas à remettre…», lance notre ami avec un petit clin d’oeil. Des cabas dans une supérette? «En fait, tu vois nos bagages à main? Eh bien figure-toi qu’ils sont rempli de friandises, chocolats, Nutella et même de fromage que l’on revend à des supérettes», explique-t-il. «Cela nous permet de financer en grande partie notre voyage, il arrive même que l’on tombe sur de bonnes affaires ce qui nous permet de faire quelques petits bénéfices», ajoute-t-il non sans préciser que c’est le seul moyen pour eux de pouvoir s’offrir aussi souvent des «trip» surtout avec la flambée de l’euro sur le marché noir…Si Khaled et ses amis le font comme une sorte de «troc» qui leur permet de financer leurs voyages, certains en ont fait un véritable commerce.
Le «Marlboro du bled» comme capitale…
C’est le cas de Mohamed, un Franco-Algérien, rentré il y a quelques années au «bled» mais qui y fait souvent les «allers- retours» pour empocher ses «allocs» mais pas seulement! «Le cabas mon frère, je suis un trabendiste…», avoue-t-il. Un «métier» qu’il a pratiqué durant les années 1990 alors qu’il sortait à peine de l’adolescence avant de le reprendre il y a de cela 5 ans après son retour en Algérie. Néanmoins, le retour du trabendo s’est d’abord fait en sens inverse. «On prenait des produits algériens que l’on revendait en France. C’est un filon qui rapporte gros!», indique-t-il. «La disponibilité des marchandises, leur prix raisonnable et l’euro qui est vendu au prix fort font que les magasins du bled sont des plus attractifs. Alors on ne se fait pas prier! Tout est bon à prendre…», assure-t-il. «On ‘exporte » divers produits électroniques, de l’électroménager, démodulateurs numériques, téléphones portables, vêtements et même nourriture et cigarettes…», poursuit-il en rappelant que les étés précédents on a pu voir que c’était fini les sacs «Tati» surchargés qui ornaient les porte-bagages des voitures de nos émigrés de retour au pays.
Il est vrai que ces images sont toujours perceptibles en contrebas de l’ancienne citadelle, la Casbah. Sauf que…ces mêmes véhicules vont dans le sens inverse, au lieu de sortir du port, ils y rentrent pour prendre la direction de l’Hexagone… Il y a quelques mois, nous avions visité les quartiers les plus algériens de France, à savoir Barbès à Paris et Noailles à Marseille. On a été surpris par la forte présence de produits fabriqués en Algérie. Ils sont exposés fièrement dans les commerces. Ces quartiers sont en «made in bladi», ce label on le trouve aussi bien sur les fameuses cigarettes de contrebande que sur tout autre produit alimentaire tel que les pâtes, les limonades, les jus et même l’eau minérale…
«Mais depuis que la crise financière est arrivée, les douanes ont serré les vis. On ne peut pratiquement plus rien «exporter» du bled», fait savoir «Mouh» qui souligne que le «Marlboro du bled» est pratiquement devenu le seul produit «toléré». «Et encore, ce ne sont plus les mêmes quantités qu’auparavant», affirme pour sa part, Hani, un autre «trabendiste» habitué du circuit France- Algérie… Sans détour, Hani se réjouit du blocus «imposé» par les autorités sur l’importation de certains produits fabriqués localement à l’instar du chocolat, du fromage et certains produits cosmétiques. «Cela a permis au trabendo de faire son come-back. Comme une star après quelques années de retraite…», plaisante-t-il avant de révéler quelques «tuyaux» sur ce commerce des plus juteux. «Comme je vous l’ait dit on prend des cartouches de cigarettes Marlboro algériennes.
La loi nous autorise une cartouche par voyageur, les douaniers des deux côtés tolèrent deux cartouches. Mais beaucoup d’entre nous s’arrangent pour en faire passer près de dix. Je ne vous révèle pas le secret du métier, mais il y a certaines choses à faire pour pouvoir faire passer ces cigarettes…», admet-il en informant qu’il y avait le risque de se faire prendre avec, à la clé la saisie des cigarettes et surtout de grosses amendes qui peuvent aller jusqu’à 750 euros. «Mais le commerce ce sont des risques, il faut bien les prendre…», soutient-il en révélant qu’une dizaine de cartouches lui rapportent près de 400 euros nets alors que leur prix de revient est de près de 25 000 dinars (125 euros au marché noir, ndlr). 375 euros donc de bénéfices qui serviront à Hani et ses «collègues» de sources d’investissement pour acheter les produits qu’ils ramèneront dans leur cabas. «Ahhh, je ne donne pas mon chiffre d’affaires. Mais je peux vous dire que ces dernières semaines avec les soldes d’hiver qui me permettent de rajouter les vêtements dans la liste des produits que je propose à mes clients, je me fais plus que 100 000 dinars nets de bénéfices par voyage. Et ils sont exempts d’impôts….», atteste-t-il avec humour.
Même les cadres se mettent au cabas
Ces gains des plus considérables ont poussé même certaines jeunes filles à se transformer en trabendistes. «Et il ne faut pas croire que ce soit des chômeuses…», précise Alilou, spécialiste dans les cosmétiques de luxe et lunettes de soleil qui fait affaire avec beaucoup d’entre elles. «Ce sont beaucoup de cadres d’entreprises qui disposent de visas et donc de facilités de transport qui profitent de la situation pour arrondir gracieusement leurs fins de mois», certifie-t-il en soutenant qu’elle avait l’avantage d’être passe-partout. «Des jolies jeunes filles qui parlent bien, qui plus est cadres…cela n’attire pas l’attention et pourtant!», dit-il avec soulagement.
Soulagés du fait qu’elles existent pour pouvoir approvisionner son commerce qui vit des produits «importés» par cabas. Surtout qu’Alilou affirme que les hôtesses de l’air et les stewards qui étaient ses principaux fournisseurs ne peuvent plus assurer. «Ils leur ont fermé les vannes, ils ne peuvent plus nous fournir et cela tombe très mal du fait que le blocage des importations fait que ce soit une aubaine pour nous de se faire encore plus d’argent…», réplique-t-il non sans rappeler que la Saint-Valentin arrivait et que sans ses «mules» cela aurait été la catastrophe. Le trabendo est donc en train de défier l’Etat! Surtout qu’en plus d’ «approvisionner» certains commerces, il pullule sur la Toile.
Des apprentis «importateurs» sont en train de proposer sur le Net divers produits, à l’exemple de la fameuse Nutella, devenue une «priorité nationale» au même titre que la banane, mais aussi lunettes de soleil, cigarettes étrangères, alcool, certains chocolats, vêtements de luxe…Ils sont «affichés» fièrement sur les pages Facebook dédiées à la vente en ligne ou sur les sites spécialisés tels que Ouedkniss avec comme «label» produit «cabas». Les «vendeurs» se proposent même de le livrer à domicile! Ainsi, le trabendo, mort-né dans l’Ouest algérien et qui est tiré de la contrebande, s’est modernisé gardant toutefois son charme et surtout ses bénéfices…
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