C’est dire que le pacte a été bel et bien conclu entre islamistes pressentis au pouvoir dans le Monde arabe et l’Occident.
Alors que les révoltes nées du Printemps arabe se déroulaient et revendiquaient l’avènement de la démocratie, les Occidentaux injectaient leurs hommes aux postes de commande et désignaient, selon leur bon vouloir, qui est le bon et qui est le mauvais. En Libye, en Tunisie, en Egypte et au Maroc, les Occidentaux courent après une situation qui leur glisse entre mains et qu’ils voudraient récupérer en l’orientant selon leurs souhaits. C’est dire que les grandes puissances n’aiment pas les bouleversements politiques qui leur échappent et contrecarrent leurs plans. Les événements qui ont fait vibrer le Monde arabe n’échappent pas à cette règle. Bien au contraire, les grandes puissances arbitrent le cours des évènements. On connaît «l’expérience»: prise de court en Tunisie, ressentie en Égypte, puis aux avant-postes en Libye et bien gérée au Maroc et dans certaines sultanats du Golfe. L’Occident a promptement tiré les leçons du grand mouvement de révolte, qui a plongé le Maghreb dans les feux du Printemps arabe. Il a su, en effet, tirer les marrons du feu. Les rôles respectifs des chefs de la diplomatie française et américaine, Alain Juppé et Hillary Clinton, n’ont pas été négligeables dans cette adaptation, dépassement puis ajustement qui ont permis, en quelques mois, de substituer aux images d’un Quai d’Orsay ou de la Maison-Blanche dépassés par les événements-celles d’une diplomatie en pointe, soufflant le chaud et le froid sur les capitales arabes. Cela dit, à l’évidence, le logiciel de la diplomatie occidentale était périmé, usé, mais les révolutions arabes l’ont renouvelé.
D’où, les jeux politiques et géostratégiques redéfinis avec un Monde arabe, où les partis religieux sont fin prêts aux postes de commande. Ainsi, les diplomates américains, britanniques et français au Caire, à Tunis ou ailleurs au Maghreb, n’hésitent plus à rencontrer les leaders des formations intégristes locales, forces (devenues) incontournables dans le nouveau paysage politique, hérité des dictatures renversées par les soulèvements populaires. «Surprenez-nous, on vous surprendra», avait déclaré en avril Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, lors d’un colloque organisé par le Quai d’Orsay à l’Institut du Monde arabe (IMA), qui réunissait des islamistes du Maghreb. Mieux encore, Alain Juppé avait même proposé, le 16 avril dernier, l’ouverture d’un large dialogue avec les courants islamistes du Monde arabe qui «respectent les règles du jeu démocratique et bien sûr, le principe fondamental du refus de toute violence».
Et en même temps, le chef de la diplomatie française avait appelé ses ambassadeurs à «élargir le spectre de leurs interlocuteurs aux courants islamiques ayant accepté le jeu démocratique et renoncé à la violence». Ainsi, au Caire, quelques semaines après, l’ambassadeur français Jean-Félix Paganon brisait le tabou en s’entretenant avec Mohammed Morsi, le chef du parti Liberté et Justice, émanation des Frères musulmans égyptiens. Aux journalistes, Jean-Félix Paganon a déclaré:«On demande aux Frères musulmans comment ils voient la transition. Quels sont leurs éléments de programme et leur stratégie électorale.» En Tunisie, l’ambassadeur français, Boris Boillon, s’est lui aussi entretenu régulièrement avec Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste Ennahda, interdit du temps de Ben Ali.
En Libye, encore, il y a eu des entretiens avec les intégristes activant sous la houlette de l’ancien djihadiste Abdelhakim Belhadj. Mais là, plus qu’ailleurs, les Occidentaux se sont succédé, l’un après l’autre, auprès des islamistes libyens. En Jordanie, une diplomate a rencontré récemment Zaki Ben Rachid, un dirigeant des Frères musulmans. Mais là «ce n’était pas une première», prévient-on à l’ambassade de France. On les rencontre régulièrement, ils font partie du paysage politique depuis bien des années.
C’est dire que le pacte a été bel et bien conclu entre islamistes pressentis au pouvoir dans le Monde arabe et l’Occident. Que de nouvelles dictatures soient établies ou des islamistes fondamentalistes soient arrivés au pouvoir, les Américains, les Britanniques et les Français ne s’en soucient guère tant que leurs intérêts ne sont pas touchés et remis en cause.
Et pour preuve: en Tunisie, au Maroc, en Libye et en Egypte, les islamistes bombent le torse, rassurent et se voient rassurés du côté de l’Occident. Néanmoins, les Occidentaux, qui qualifaient un Etat de voyou et/ou de terroriste dès qu’il s’agit d’une percée d’un parti islamiste il y à peine 10 mois, ne tiennent pas aujourd’hui à offenser les Egyptiens, Tunisiens, Libyens ou Marocains qui avaient fait des islamistes leurs favoris aux postes de commande, quitte à en exagérer la menace sur la stabilité de leur pays et détourner les objectifs des révoltes de leurs peuples.