Samedi dernier, aux pavillons médico-chirurgicaux des hôpitaux de Kouba et de Mustapha Pacha, à Alger, alors qu’il était 10 heures, régnait une ambiance de panique chez les patients atteints de maladies chroniques, dont des asthmatiques et des diabétiques, en pleine crise, qui se trouvaient dans les couloirs, avec leurs parents, à attendre… pour rien, faute de médicaments.
Une situation qui va à l’encontre des assurances du ministre de la Santé, selon lesquelles les pénuries de médicaments font parties du passé. Ce manque en médicaments «d’urgence» pour les maladies chroniques n’est pas propre à ces deux hôpitaux mais touche toutes les structures hospitalières.
Des sources hospitalières et pharmaceutiques ont affirmé, au Temps d’Algérie, qu’il était quasiment impossible de trouver une solution pour une séance d’aérosol, ainsi que des gouttes ophtalmologiques dans les structures de santé publique de la capitale.
«Depuis plusieurs mois, l’Algérie fait face à des pénuries fréquentes de médicaments pour toutes les catégories d’âge», rappelle un responsable d’une pharmacie à El Biar. Il a souligné que «les ruptures de stocks, le manque de coordination entre les structures de santé et les pharmacies ou les instituts chargés d’importer ces médicaments et la décision du gouvernement de réduire les importations de médicaments sont les principaux facteurs à l’origine de ces pénuries».
Dans les pharmacies, de nombreux médicaments manquent et les malades se trouvent souvent dans l’obligation de renoncer à leurs traitements ou de les acquérir de l’étranger par leurs propres moyens. Pas de sérum, pas de seringues, pas d’insuline, pas d’Asthalin.
Ce dernier est une solution utilisée pour l’aérosolthérapie, sur laquelle reposent l’asthme, les bronchiolites, les laryngites et la décompensation d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). «Qu’elle soit mise en œuvre dans le cadre d’un acte de médecine d’urgence ou non, l’aérosolthérapie se révèle une pratique très efficace», a indiqué le médecin de garde.
Un produit qui ne coûte pourtant pas cher
Dans la salle d’attente des urgences de l’hôpital de Kouba, le contrôle des malades durait et la tension montait. A l’extérieur, un attroupement s’annonçait. Les agents de sécurité et les assistants des médecins étaient débordés et ont failli ne plus contrôler la situation.
Les malades hospitalisés nous ont dit qu’ils souffraient «énormément» et ils font face à des crises sévères toujours accentuées par le manque de remèdes. «Je suis hospitalisé depuis une semaine, je n’ai même pas reçu un traitement de base et mon état de santé ne cesse de se détériorer.
C’est très grave ce qui ce se passe ici. Il n’y a pas de médicaments dans un service spécialisé», nous a indiqué un patient. Un autre, la quarantaine passée, se trouve dans la même situation car même les tentatives de son épouse de lui procurer de l’Asthalin au niveau des pharmacies ont été vaines. Une patiente de 28 ans, hospitalisée pour asthme bronchique, nous a avoué qu’elle s’était toujours soulagée en se prenant en charge elle-même. «Je ne suis pas médecin, mais aguerrie par les malheurs que j’ai endurés,
je sais comment me soulager. Mais, aujourd’hui, avec la pénurie de médicaments, je me retrouve alitée dans un service spécialisé qui n’a rien de tel puisqu’il ne dispose pas de médicaments.» Le plus alarmant pour les spécialistes de la santé, c’est le prix de ce médicament qui ne dépasse pas les 100 dinars. «En principe, ce produit ne coûte pas cher, moins de 100 DA, et vu son importance pour les patients atteints d’asthme, je ne vois pas pourquoi on enregistre une telle pénurie ?»
s’est demandé un pharmacien de Bab El Oued. Plus grave encore, cette pénurie perturbe le programme des interventions ophtalmologiques chirurgicales et la stabilité de l’asthmatique qui se présente aux pavillons des urgences avec une crise grave parfois. «Si le manque de médicaments persiste, on assistera au retour de maladies plus sévères et plus graves», avertit un médecin interniste, soulignant que «cette situation n’est pas nouvelle».
Les générateurs d’aérosol et le mode ventilatoire en stand-by
Pour soulager les asthmatiques, il existe deux types de générateurs d’aérosol : les pneumatiques et les ultrasoniques, selon la résidente de garde du service pneumologie du CHU Mustapha. Elle explique que si l’on souhaite qu’un aérosol atteigne l’arbre trachéobronchique, les gouttelettes qui sont en manque sur le marché devront mesurer moins de 6 micromètres (2 à 6 pour les bronches, 0,5 à 3 pour les bronchioles et alvéoles).
Avec plus de détails, elle a indiqué que le mode ventilatoire du patient est, lui aussi, déterminant, en ce sens qu’un débit inspiratoire élevé ou une obstruction bronchique favorisent le dépôt proximal des grosses particules, alors qu’une inspiration lente et profonde favorise le dépôt distal des particules moyennes et de petites tailles.
La Pharmacie centrale de l’hôpital Mustapha interpelle la tutelle
Au niveau de la Pharmacie centrale du CHU Mustapha, les responsables confirment la pénurie et disent avoir signalé les ruptures de stocks et fait des commandes à temps mais qui ne sont pas honorées par la tutelle. «Dans notre hôpital, on a enregistré depuis quelques mois un manque de différents types de médicaments. Personnellement, j’ai fait plusieurs bons de commande et signé plusieurs décharges mais rien n’est venu de la tutelle.»
Ayant plus de 20 ans de service, une responsable a insisté sur le fait que, contrairement à une idée largement répandue, l’aérosolthérapie représente bien plus qu’un simple accessoire thérapeutique. «On doit faire face à ce problème et on doit aussi résoudre cet obstacle car la vie d’un malade chronique est liée à son traitement»,
a-t-elle dit, soulignant que «la quantité de médicaments distribuée à l’hôpital est vraiment insuffisante car la demande dépasse de loin l’offre». Elle a aussi précisé que les médicaments concernés par ce manque sont ceux de l’anesthésie-réanimation, du traitement du cancer, des maladies du sang ainsi que ceux utilisés dans les urgences.
Les flacons ophtalmologiques manquent aussi
Dans le service d’ophtalmologie du CHU Mustapha, les médecins spécialistes qui travaillent dans des conditions difficiles en raison du manque de médicaments et le nombre important de patients qui attendent, «négocient» avec la pharmacie de l’hôpital les flacons de Vancomycine et de Dexamethasone pour soigner leurs malades. Que faut-il faire devant une telle situation ? s’interroge l’infirmière chargée du programme des malades avant leur entrée en consultation ou au bloc opératoire.
Dans les salles d’attente, des personnes de tous âges venues de partout attendent et… patientent. Une mère qui accompagne son petit enfant pour un contrôle nous a indiqué qu’elle a passé pratiquement plus d’un mois dans ce service pour un problème de vue. «Je suis là depuis 6h du matin, hélas, je viens d’apprendre que les gouttes pour dilater la pupille pour faire le fond d’œil et d’autres flacons nécessaires aussi pour la vue sont en manque», a-t-elle dit.
Une quinquagénaire hospitalisée pour un décollement de la rétine a vu sa situation s’aggraver. «Les médecins, souligne-t-elle, ne cessent de me promettre de me programmer pour une intervention, mais toujours reportée pour manque de médicaments, de matériel nécessaire.»
Dans le cadre de l’urgence, les ophtalmologistes ont préconisé des injections intraoculaires (IVT), car les produits hospitaliers font cruellement défaut. La patiente risque de perdre son œil à tout moment sous le regard impuissant des spécialistes. Entre-temps, les résidents tentent de se procurer les flacons de Vancomycine et de Dexamethasone auprès d’autres infrastructures non concernées par la rupture de stocks. S’agissant de cette dernière, les résidents ont indiqué qu’elle est due à la lenteur dans la livraison.
«Les paramédicaux, de leur côté, combattent pour se procurer les sachets de sérum, produit simple mais devenu extrêmement rare, y compris au service diabétologie où il doit être disponible. Selon les ophtalmologues, la rupture ne s’est pas limitée aux flacons de Vancomycine et de Dexamethasone, elle a même atteint les tubulures et autres cathéters sans lesquels il serait impossible d’apporter les soins élémentaires aux malades.
Par Manal Chikh